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Ha'aretz
La
génération des check-points
Amira
Hass
Haaretz, 29
novembre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/793930.html
Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/793975.html
Un
jeune homme palestinien est hospitalisé depuis environ un mois à
l’hôpital Beilinson : des soldats avaient ouvert le feu
sur lui à un check-point au nord de Naplouse, le samedi 4
novembre. Haytam Yassin, 25 ans, a maintenant repris conscience
mais il est toujours relié à un respirateur. Ces derniers jours,
il avait de fortes fièvres, conséquence, apparemment, d’une
infection abdominale, là où il a été touché. La famille n’a
toujours pas reçu de rapport de l’hôpital sur le nombre et le
type de balles qui ont occasionné une blessure aussi grave. Dans
le régiment de Samarie, l’enquête se poursuit encore pour
savoir ce qui s’est passé ce jour-là, au barrage fortifié qui
isole le village d’Assira A-Shmaliya et que ne peuvent franchir
que les habitants de quelques villages.
Cependant,
selon des témoignages recueillis par une enquêtrice de « B’Tselem »,
il apparaît que Haytam Yassin a énervé les soldats. Il a osé
leur faire remarquer que leur manière d’exiger des femmes
qu’elles « se palpent le corps » afin d’effectuer
un « contrôle de sécurité », n’était pas
convenable. Il les a tellement énervé qu’un soldat l’a
repoussé. Haytam Yassin, rentré de l’étranger il y a quelques
mois, n’a apparemment pas encore intériorisé le fait qu’il
est dangereux de rappeler à un soldat qu’un Palestinien est un
être humain. Le soldat l’a poussé. Haytam Yassin l’a poussé
en retour. Le soldat, d’après les témoignages, s’est mis à
crier, à injurier et à frapper. Il a rapidement reçu le renfort
de deux autres soldats qui ont tiré en l’air et vers le sol.
Bien que Haytam Yassin soit tombé par terre après les coups de
feu, les soldats – rapportent les témoins – l’ont jeté sur
un bloc de béton, ils l’ont menotté, frappé et lui ont donné
des coups de pieds. Ils lui ont aussi, d’après les témoignages,
donné des coups de pieds à la tête et frappé avec leurs
fusils.
Dans
un village de la région de Naplouse, Ch., un autre jeune
Palestinien, se remet du traumatisme entraîné par les coups
violents que lui a portés un soldat au barrage de Jit, à
mi-chemin entre Naplouse et Qalqilya. Le porte-parole de l’armée
israélienne a certes communiqué que c’était le jeune homme
qui avait poussé et frappé le soldat qui lui avait ordonné de
rentrer dans sa voiture et que le soldat l’avait seulement
repoussé. Mais le témoignage de Ch. est totalement différent.
Ce 9 novembre, alors qu’il se rendait à la colonie où il
travaille, il était sorti, comme beaucoup d’autres, de sa
voiture pour comprendre pourquoi justement à cette heure où tout
le monde se pressait pour aller au travail, la file n’avançait
pas. Aux dires d’un des chauffeurs de taxi, les soldats ont
annoncé que les voitures ne seraient pas autorisées à passer
avant midi. Ch., selon son témoignage, se préparait à rejoindre
sa voiture lorsqu’un soldat s’est approché de lui, en ayant
l’air de vouloir le frapper avec son fusil. Ch. a saisi le fusil
pour l‘écarter. Et cela a semble-t-il vraiment énervé le
soldat qui l’a alors attrapé, écarté des autres gens et jeté
par terre pour le frapper ensuite sur toutes les parties du corps.
Y compris à la tête.
D’autres
soldats, au barrage de Beit Iba, à l’ouest de Naplouse, se sont
aussi énervés : sur un étudiant qui se sentait étouffer
au milieu de la foule qui se massait au barrage, le 9 octobre, et
dans laquelle il se trouvait pressé, jusqu’à éprouver le
besoin de grimper à un poteau pour pouvoir respirer un peu
d’air. Quand il a, parce qu’il n’y avait ni place ni air,
refusé d’obtempérer à l’ordre des soldats qui lui disaient
de descendre, ils l’ont assailli en le frappant de leurs fusils.
D’après le témoignage de son ami, transmis à des militantes
de Machsom Watch, ils lui ont également cassé ses lunettes et
l’ont en outre puni en le retenant dans la « cellule de confinement » – sorte de cellule punitive dans
laquelle les soldats et les commandants jettent les Palestiniens
qui ont « transgressé
». Officiellement, la « cellule
de confinement » est destinée aux suspects d’atteinte
à la sécurité, mais trop souvent, on jette là – ou on
retient dans des cellules punitives d’un autre genre à
d’autres check-points – des gens qui osent discuter avec les
soldats.
Dans
des dizaines de milliers de maisons de Cisjordanie, vivent des
gens qui ne se sont pas retrouvés à l’hôpital mais qui
accumulent, jour après jour, de dures impressions sur la nature
et le comportement des seuls Israéliens, ou presque, qu’ils
rencontrent : les soldats aux barrages. Des gens qui ne sont
pas palestiniens et qui passent aux barrages peuvent, eux aussi,
en arriver à la même conclusion que la majorité des soldats qui
y sont postés sont grossiers, arrogants, vantards, et bien sûr
insensibles. Il apparaît trop souvent que les soldats font délibérément
traîner, longtemps, les files de voitures et de personnes. Bien
trop souvent, on les voit rire et sourire à la vue de ces
centaines de personnes amassées, pressées, dans la file lente
qui attend derrière l’étroit tourniquet du point de contrôle.
Les
Palestiniens ne s’intéressent pas et n’ont pas besoin de
s’intéresser aux explications qu’on entendra en Israël :
une mission difficile, la possibilité que quelqu'un vienne avec
une ceinture d’explosifs, des soldats qui ont peur, ils sont
jeunes, encore des enfants, ils défendent la patrie, s’ils n’étaient
pas postés à des check-points situés en profondeur dans le
territoire de la Cisjordanie, des terroristes-suicide
parviendraient à l’intérieur d’Israël. La vérité est que
ces explications ne devraient pas non plus intéresser les parents
de ces soldats. Ils devraient, par contre, être très inquiets de
ce que leur Etat envoie leurs fils et leurs filles pour une
mission d’apartheid : limiter les déplacements des
Palestiniens à l’intérieur du territoire occupé, réduire
l’espace palestinien pour offrir aux Juifs un libre déplacement
sur ce même territoire occupé et pour y étendre leur propre
espace. Pour accomplir pleinement cette mission, les soldats
doivent, face aux autochtones, se sentir « supérieurs »
et se comporter comme tels.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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