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Ha'aretz
Sur
le toit de Khaled
Amira Hass
Amira Hass
Haaretz, 28 novembre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/928977.html
Khaled emmène de
moins en moins souvent ses enfants dans son village natal, à
l’ouest de la Cisjordanie, au sud de Qalqiliya. C’est dur pour
lui de s’asseoir sur le toit de la maison de ses parents et de
voir, à 500 mètres de là, la terre de la famille, sans pouvoir
s’y rendre. Cette terre a toujours été une espèce de
garantie, d’assurance : assurance d’un revenu fixe,
assurance que tous les frères et sœurs y travaillent et en
profitent, assurance de trouver la tranquillité après le tumulte
de la ville, et aussi une sorte d’épargne et de sécurité en
cas de besoin – maladie (le ciel nous préserve), études supérieures
pour les petits-enfants. Il est toujours possible de vendre un
dounam ou d’y bâtir pour réaliser un rêve.
Entre le toit et
cette assurance, entre le toit et la vingtaine de dounams
familiaux restants, passe la clôture de séparation :
affreuse cicatrice d’un haut grillage, de fils de fer et de
larges bandes de terre dénudée, dont la rangée d’arbres a été
arrachée, et leur absence est douloureuse comme une amputation.
Le toit de sa
maison d’enfance est un peu le Mont Névo de Khaled. Il voit la
terre promise mais ne peut y aller. Les gens de l’Administration
civile travaillent d’arrache-pied à inventer des démarches
bureaucratiques longues et compliquées pour l’obtention de
permis temporaires d’accès aux terres privées situées au-delà
de la clôture. Avant qu’on ait pu déchiffrer les démarches à
suivre, elles sont modifiées et les critères rendus plus sévères
encore.
Résultat :
les parents reçoivent un permis d’accès à leurs terres, mais
sont incapables de les cultiver seuls. Les enfants et
petits-enfants peuvent obtenir un permis, non pas comme membres de
la famille mais comme ouvriers. Le permis est limité à quelques
jours et n’est pas adapté pour quelqu'un dont le travail régulier
est ailleurs. En outre, l’obligation même d’avoir à demander
un permis pour se rendre sur une propriété familiale – et tout
cela seulement si vous donnez une raison solide à votre volonté
d’être sur votre terre – est à ce point outrageante qu’on
y renonce par avance.
En Cisjordanie,
il y a environ deux millions de Khaled. Chaque ville et village,
et de nombreuses familles ont une terre dont Israël empêche
l’accès au moyen de la clôture de séparation, de la route de
sécurité d’une colonie, d’une colonie construite sur une
partie des terres et qui suffit à barrer l’accès à la terre
qui n’a pas été expropriée, ou au moyen d’une route
interdite au trafic des Palestiniens, d’une zone militaire fermée,
d’un camp militaire ou d’un barrage militaire.
A chacun son Mont
Névo du haut duquel apercevoir cette terre chère affectivement
autant que matériellement, et qui s’échappe d’entre les
mains. Quand le feu éclate, comme c’est arrivé plus d’une
fois sur les terres de Kafin, il est impossible d’arriver à
temps pour l’éteindre. Si on veut cultiver des légumes, il est
impossible de les arroser parce que le puits se trouve dans la
partie des terres privées qui a été expropriée au profit de la
colonie proche, comme s’en plaint Abou Fahami, de Dayr Istya. Et
lorsque des colons font main basse sur une terre, il est
impossible de les en chasser, comme c’est arrivé à une terre
de la famille Kadan, d’Al Bireh, dont la propriété privée a
été transformée en lieu de prière par des jeunes gens de Beit
El. Certes, l’Administration civile a fait évacuer cet
avant-poste, mais de toute façon, l’armée interdit aux
Palestiniens de venir sur place. Résultat : la terre est
inutilisable.
Le gouvernement
israélien a droit aux louanges pour la « vision des deux
Etats pour les deux peuples » que ses dirigeants ont
apparemment adoptée et emmenée à Annapolis. Mais Israël refuse
de s’engager sur un calendrier de mise en œuvre de cette
vision. En attendant, ses délégués au sein de l’armée, de
l’Administration civile et des colonies mènent sur le terrain,
à la petite semaine, une négociation unilatérale sur la taille
et l’allure du futur Etat palestinien. Ils font tout pour
garantir que des millions de dounams de terres, la réserve
territoriale de cet Etat, ne retournent pas à leurs propriétaires
légaux. Ils s’arrangent pour que toujours plus de territoire
apparaisse comme terres à l’abandon ou ce qu’on appelle dans
le jargon orwellien israélien « terres des absents » ;
autrement dit ce que l’Etat du peuple juif a appris à décréter
comme sien.
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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