La journaliste
israélienne arrêtée ce mois-ci à Erez, alors qu’elle se rendait
dans la bande de Gaza pour y effectuer son travail de reporter,
interpelle la population israélienne, l’accusant de collaborer
"avec un régime de dépossession, de répression". Article publié
par The Palestine Telegraph
"En tant que juifs, nous profitons tous des privilèges qu’Israël
nous octroie, ce qui fait de nous tous des collaborateurs. Que
fait chacun d’entre nous pour réduire sa coopération avec un
régime de dépossession, de répression ?"
Laissons de côté ces Israéliens dont l’idéologie soutient la
dépossession du peuple palestinien au motif que « Dieu nous a
choisis ». Laissons les juges qui absolvent toutes les
politiques militaires de meurtres et de destructions. Ignorons
les chefs de l’armée qui sciemment enferment une nation tout
entière dans des enclos entourés de murs, de miradors fortifiés,
de mitrailleuses, de barbelés et de projecteurs aveuglants.
Laissons de côté aussi les ministres. Tous ceux-là ne sont pas
seulement des collaborateurs. Ils sont les architectes, les
planificateurs, les concepteurs, les bourreaux.
Mais il y a
les autres, vous tous. Les historiens et les mathématiciens, les
grands éditeurs, les personnalités médiatiques, les psychologues
et les médecins de famille, les avocats ni pour Gush Emunim ni
pour Kadima, les enseignants et les éducateurs, les amateurs de
randonnées et du chanter en chœur sur les chemins, les magiciens
de haut vol. Où êtes-vous ? Et vous, tous ceux qui font des
recherches sur le nazisme, l’Holocauste et les goulags
soviétiques ? Serait-il possible que vous approuviez une
législation de discrimination systématique ? des lois qui
déclarent que les Arabes de Galilée ne seront même pas
indemnisés pour leurs dommages de guerre aux montants auxquels
leurs voisins juifs ont droit ? (Aryeh Dayan, Ha’aretz, 21
août)..
Serait-ce possible que vous soyez favorables à une loi sur la
citoyenneté qui soit raciste, une loi qui interdise à un Arabe
israélien de vivre avec sa famille dans sa propre maison ? que
vous vous rangiez du côté de ceux qui exproprient toujours plus
de terres et arrachent toujours plus de vergers pour un nouveau
quartier de colons ou une nouvelle route réservée aux juifs ?
que vous tous souteniez les bombardements et les tirs de
missiles tuant les vieux comme les jeunes dans la bande de
Gaza ?
Qu’est-ce que signer une pétition et marquer sa réprobation ? On
ne nous tuera pas, on ne nous enfermera pas dans des camps de
concentration, on ne nous privera pas de notre gagne-pain, on ne
nous interdira pas les loisirs à la campagne ou à l’étranger !
Serait-ce possible que vous soyez d’accord, tous, pour qu’un
tiers de la Cisjordanie (la vallée du Jourdain) soit interdit
aux Palestiniens ? que vous soyez en faveur de la politique
israélienne qui interdit à des dizaines de milliers de
Palestiniens qui ont obtenu une nationalité étrangère de
retourner dans leurs familles dans les Territoires occupés ?
Serait-ce
possible que vous vous donniez bonne conscience avec l’excuse de
la sécurité, utilisée pour interdire aux étudiants de Gaza
d’aller apprendre l’ergothérapie à Bethléhem et la médecine à
Abu Dis, et pour empêcher les malades de Rafah de recevoir leur
traitement médical à Ramallah ? Trouvez-vous, vous aussi, qu’il
est facile de se cacher derrière le « nous ne savions pas » :
nous ne savions pas que la discrimination pratiquée pour la
distribution de l’eau - entièrement sous contrôle d’Israël -
faisait que des milliers de foyers palestiniens étaient privés
d’eau pendant les chauds mois de l’été ; nous ignorions
totalement que les barrages des Forces de défense israéliennes à
l’entrée des villages les empêchaient aussi d’accéder aux
sources et aux réservoirs d’eau.
Mais il ne se peut que vous n’ayez vu les portes en fer tout au
long de la route 344 en Cisjordanie, des portes qui bloquent
l’accès de cette route aux villages palestiniens qu’elle
contourne. Il ne se peut que vous souteniez l’interdiction faite
à des milliers d’agriculteurs d’accéder à leurs champs et à
leurs plantations, que vous souteniez la mise en quarantaine de
la bande de Gaza qui empêche l’entrée des médicaments pour les
hôpitaux, la distribution d’électricité et l’approvisionnement
en eau d’un million quatre cent mille être humains, qui leur
coupe tout contact avec le monde depuis des mois.
Serait-ce
possible que vous ne sachiez pas ce qu’il se passe à quinze
minutes de vos facultés et de vos bureaux ? Est-il vraisemblable
que vous approuviez un système où les soldats hébreux, sur les
check-points au cœur de la Cisjordanie, laissent des dizaines de
milliers de personnes attendre, chaque jour, pendant des heures
et des heures sous un soleil de plomb, tout en faisant le tri :
vous, les habitants de Naplouse et de Tulkarem de moins de 35
ans, vous ne passerez pas ; yallah (allez !), retournez à Jénine ;
aux habitants de Salem, vous n’êtes pas autorisés à être ici ;
une femme malade a franchi la ligne, donnons-lui une leçon et
mettons-là résolument en détention pendant des heures. Tout le
monde peut accèder au site de Machsom Watch où de tels
témoignages, et des pires, sont innombrables, comme une routine,
jour après jour. Alors il ne se peut que ceux qui sont
scandalisés à chaque croix gammée peinte sur un tombeau de juif
en France, ou par un titre antisémite dans un journal local en
Espagne, ne sachent comment s’informer ici, et ne soient donc ni
scandalisés ni indignés.
En tant que juifs, nous profitons tous des privilèges qu’Israël
nous octroie, ce qui fait de nous tous des collaborateurs. La
question est, que fait chacun d’entre nous, de façon
quotidienne, active et directe, pour réduire sa coopération avec
un régime de dépossession, de répression qui n’a jamais son
content ? Qu’est-ce que signer une pétition et marquer sa
réprobation ? On ne nous tuera pas, on ne nous enfermera pas
dans des camps de concentration, on ne nous privera pas de notre
gagne-pain, on ne nous interdira pas les loisirs à la campagne
ou à l’étranger ! Par conséquent, le poids de la collaboration
et de la responsabilité directes pèse incommensurablement sur
nous."
Amira Hass