Ha'aretz
Duplication du gouvernement :
Crise politique sous couvert de crise constitutionnelle
Amira
Hass
Haaretz, 22
juillet 2007
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=884673
Version
anglaise (partielle) :
Hamas
names judicial committee to fill the gap
www.haaretz.com/hasen/spages/884498.html
L’opposition a conduit Abbas
à renoncer à deux décrets présidentiels lancés en
Cisjordanie.
Il
y a trois jours, l’avocat Raji Sourani, qui dirige le Centre
palestinien pour les droits de l’homme établi à Gaza, a averti
que les mesures adoptées par le Président Mahmoud Abbas
risquaient de pousser le Hamas à établir « des tribunaux
militaires et des tribunaux de la Charia à Gaza ». Dans une
conversation avec « Haaretz », il prédisait que cela
pourrait être la conséquence de la décision du Président de
l’Autorité de geler le travail du bureau du Procureur dans la
Bande de Gaza ainsi que de son appel aux membres des services
chargés de l’application des lois, comme la police, de ne pas
se présenter au travail.
« En
1967, il y avait trois juges dans ma famille. Je me souviens
d’une discussion qui avait eu lieu entre plusieurs juges, tout
de suite après l’occupation de la Bande de Gaza, avec mes
oncles disant qu’il fallait immédiatement mettre au travail le
système judiciaire local. Un de leurs collègues soutenait que
cela constituerait une manière de soutien à l’occupation mais
ils lui répondirent : ‘Nous ne nous soucions pas de
l’occupation, nous nous soucions des citoyens et ils ont besoin
de tribunaux civils qui fonctionnent’. Ce n’est pas cette
logique-là qui a guidé Abou Mazen et, en l’absence de
Procureur et d’une police qui fasse appliquer les arrêts des
juges, l’activité des tribunaux a été paralysée dans la
Bande de Gaza durant les deux dernières semaines », a dit
Raji Sourani.
Il
a semblé, hier, que sa prophétie se réalisait au moins
partiellement : le porte-parole de la force exécutive au
Ministère de l’Intérieur – un service de sécurité mis sur
pied par le Hamas au moment de son accès au pouvoir [début
2006] – a fait savoir qu’une commission juridique spéciale
avait été mise sur pied il y a quinze jours, avec pour fonction
de remplir le vide créé par le non-fonctionnement des tribunaux
et de discuter des plaintes déposées par le public, plaintes qui
s’accumulent. La commission est composée d’un avocat du
tribunal militaire palestinien, d’un spécialiste de la Charia
et du chef de la prison centrale de Gaza.
La
portée de cette décision n’était pas encore totalement claire
hier. Issam Younes, directeur de « Al-Mizan », autre
organisation des droits de l’homme travaillant dans la Bande de
Gaza, a déclaré à « Haaretz » qu’il avait
l’impression, à partir des propos du porte-parole, que le
projet est de traiter les plaintes qui s’accumulent précisément
contre la force exécutive et qu’il ne s’agit pas d’un
substitut aux tribunaux civils. S’il devait s’avérer qu’il
y a bien création d’un substitut aux tribunaux civils, estimait
Issam Younes, cette décision rencontrerait de l’opposition et
de la critique. Mais même avec une portée limitée, cette décision
renforce la situation de duplication institutionnelle qui a été
créée et elle l’importe aussi au sein du système judiciaire.
En
Cisjordanie, l’opposition aux mesures adoptées par Abbas a déjà
fait ses preuves. Dans un décret présidentiel pris le 6 juillet
dans le cadre de la situation d’urgence, il décrétait que
toute atteinte à des membres des services de sécurité ou à des
employés du secteur public serait traitée par le procureur
militaire et les tribunaux militaires. Un autre décret présidentiel,
du 20 juin, visait les organisations non gouvernementales œuvrant
dans les Territoires palestiniens et exigeait d’elles
d’introduire, dans la semaine, de nouveaux formulaires
d’enregistrement auprès du Ministère palestinien de l’Intérieur.
S’ajoutant à la suspension d’articles de la Loi fondamentale
portant sur les pouvoirs du Conseil législatif, cela apparaissait
comme autant de pas vers l’instauration d’un régime militaire
dans les enclaves de l’Autorité en Cisjordanie.
Des
organisations de droits de l’homme et des juristes ont
publiquement exprimé leur inquiétude à l’égard des décrets
présidentiels et de l’orientation annoncée par les mesures de
Mahmoud Abbas, même si beaucoup de ces critiques lui
reconnaissaient le pouvoir constitutionnel de démettre le
gouvernement d’unité et de former un gouvernement de
transition. Or voilà qu’il y a dix jours était annoncé que
ces deux décrets avaient été abrogés sous la pression de
l’opposition du public. Il est vrai qu’une déclaration écrite
de cette abrogation n’est pas parvenue aux mains des opposants
mais le juriste Camille Mansour a dit savoir avec certitude
qu’ils avaient été abrogés. Mansour qui se trouve depuis
septembre à la tête de la faculté de droit de l’Université
de Bir Zeit, a dit que ceci prouvait la force de la société
civile palestinienne. Si quelqu'un a pu craindre qu’Abbas ne
maintienne l’état d’urgence au-delà des 30 jours permis, le
voilà sorti d’erreur. La constitution palestinienne a en cela
montré sa force.
Néanmoins,
il y a bien une situation avec deux gouvernements en fonction qui
se considèrent comme gouvernements de transition constitutionnels :
le gouvernement réduit de Haniyeh et le gouvernement Fayyad qui a
besoin d’être confirmé par le Conseil législatif palestinien
pour être légal. Le Conseil législatif est censé se réunir
aujourd’hui à l’appel de son président en exercice Ahmad
Bahar, représentant du Hamas de Gaza. Bahar répond ainsi à
Fayyad qui a appelé à la réunion du Conseil afin de voter la
confiance dans son gouvernement.
Mais
il n’y a aucune chance qu’un tel vote ait lieu dans un proche
avenir : s’il avait lieu, les probabilités sont grandes que
Fayyad n’obtienne pas la majorité requise pour un vote de
confiance (67 voix) et il ne pourrait alors diriger aucun autre
gouvernement provisoire qu’Abbas chercherait à rétablir.
Abbas
ne pourra pas se permettre de perdre Fayyad. La faction du Fatah
au Conseil législatif a donc fait savoir qu’il s’agissait
d’une séance d’ouverture de la deuxième période et que,
selon la loi fondamentale, il fallait y choisir un nouveau président
et de nouveaux vice-présidents. Dans la situation actuelle, où
39 des 74 membres du Hamas sont emprisonnés en Israël, il est
possible que le Hamas perde la présidence du Conseil et il est
par conséquent opposé à la tenue du scrutin.
A
cause de la paralysie du travail du Conseil législatif, Abbas
affirme devoir se tourner vers une légitimité supérieure, celle
de l’OLP, et appelle à des élections anticipées en accord
avec la requête du Conseil central de l’OLP. Diana Buto,
ex-conseillère juridique de l’OLP, dit que selon la loi
fondamentale, et en dépit des obscurités et des défauts qu’on
y trouve, il n’est pas dans le pouvoir d’Abbas de contourner
le Conseil législatif et de convoquer des élections anticipées.
La
solution à la crise et à la duplication ne se trouve ni dans les
lois ni dans les interprétations de la loi fondamentale,
admettent Diana Buto, Camille Mansour et Raji Sourani : la
solution réside dans un dialogue entre les deux forces
politiques, le Hamas et le Fatah, à qui il revient tous deux de
trouver des échelles pour redescendre de la cime des arbres où
ils ont grimpé. Mais ils rappellent que comme Israël et les
Etats-Unis interdisent explicitement à Abbas de débattre avec le
Hamas, la solution politique logique, raisonnable, de compromis
paraît très lointaine.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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