Ha'aretz
Un
geste en faveur des services pénitentiaires israéliens
Amira Hass
Amira Hass
"... on
peut raisonnablement supposer que si les tribunaux militaires étaient
menés comme les tribunaux civils, beaucoup parmi les prisonniers
palestiniens n’auraient tout simplement pas été condamnés,
par manque de preuves solides, et que d’autres auraient été
condamnés à des peines beaucoup plus courtes. Dès lors, cette
libération de prisonniers est aussi un geste pour les juges
militaires qui auront ainsi sur la conscience moins de mois
de détention injustifiés." (A. H.)
Haaretz, 21 novembre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/926280.html
Version
anglaise : A
gesture to the Prisons Service
www.haaretz.com/hasen/spages/926357.html
Une nouvelle libération
de 440 prisonniers palestiniens constitue un beau geste à l’égard
des services pénitentiaires israéliens. Il allège, au moins
partiellement, la terrible surpopulation dans les prisons. Il réduit
quelque peu le fardeau qui pèse sur l’establishment de la Sécurité
qui ne parvient pas à se dérober totalement à son obligation de
permettre une visite aux détenus par une partie de leurs proches,
une fois tous les quinze jours.
La libération de
prisonniers qui « n’ont pas de sang sur les mains »
– ou dans un langage moins aseptisé : de ceux qui n’ont
pas été condamnés pour le meurtre de Juifs – est une légère
correction apportée par l’establishment de l’occupation aux
procédures d’arrestation, de jugement et de condamnation de
Palestiniens. La condamnation dans les tribunaux militaires est
presque toujours écrite à l’avance. Les peines sont lourdes et
exagérées sur chaque point de l’acte d’accusation. Elles
sont guidées par l’esprit de vengeance des représentants du
peuple occupant contre des représentants du peuple sous
occupation. A aucun détenu n’est accordé le droit minimum
requis pour se défendre des accusations. La menace d’une détention
(dans des conditions insupportables) jusqu’au terme de l‘enquête
pousse l’accusé et ses représentants à plaider coupable en échange
d’une condamnation moins lourde, sans examen des témoins à
charge ni contrôle de leur fiabilité.
Il est vrai que
les tribunaux civils ne sont pas non plus immunisés contre la
discrimination et les préjugés, mais on peut raisonnablement
supposer que si les tribunaux militaires étaient menés comme les
tribunaux civils, beaucoup parmi les prisonniers palestiniens
n’auraient tout simplement pas été condamnés, par manque de
preuves solides, et que d’autres auraient été condamnés à
des peines beaucoup plus courtes. Dès lors, cette libération de
prisonniers est aussi un geste pour les juges militaires qui
auront ainsi sur la conscience moins de mois de détention
injustifiés.
Dans les années
90, Israël a libéré un millier de prisonniers palestiniens dans
le cadre de l’accord d’Oslo. Comme en Irlande, comme en
Afrique du Sud, c’est une pratique qui a cours : lorsque
dans la lutte contre une oppression nationale, les parties sont
d’accord de faire la paix, l’occupant reconnaît que la
violence des prisonniers qu’il libère était une réponse à sa
propre violence. Ce n’est pas une question de geste
mais une démarche indispensable à une solution. Parmi les
Palestiniens libérés se trouvaient la grande majorité de ceux
qui avaient été condamnés pour l’assassinat d’autres
Palestiniens (sur le soupçon de collaboration). Mais Israël
avait refusé de libérer des Palestiniens condamnés pour
l’assassinat de Juifs, refusé de libérer des prisonniers de Jérusalem-Est,
des hauteurs du Golan et d’Israël. 84 prisonniers de ces quatre
groupes sont maintenant en prison depuis de 18 à 30 ans, pour une
condamnation à la perpétuité qui signifie jusqu’à la mort.
Si ces
prisonniers avaient été juifs, ils auraient été libérés
depuis bien longtemps : soit que, en tant que Juifs ayant
assassiné des Palestiniens, leur peine aurait été, une fois ou
deux, réduite par le Président de l’Etat (Ami Popper qui a
assassiné sept ouvriers et qui jouit de congés réguliers mais
n’a pas été libéré, est l’exception parmi les Juifs ayant
tué des Palestiniens) ; soit que d’emblée, ils auraient
été condamnés pour moins qu’un meurtre et n’aurait pas été
jugés par des tribunaux militaires.
Si Said Al-Atabeh,
de Naplouse, vétéran des prisonniers palestiniens, avait été
juif, il n’aurait pas commencé en juillet à purger sa 31e
année de prison, sans en voir la fin : il avait été
condamné comme commandant d’une cellule du Front Démocratique
dont un des membres avait dissimulé une charge explosive, qui
avait tué un Israélien et blessé 32 autres.
Si Moukhles
Bourgal, de Lod, avait été juif, lui qui a été condamné, il y
a 20 ans, pour avoir lancé une grenade, qui n’a jamais explosé,
sur un autobus qui transportait des soldats, il n’aurait pas été
emprisonné jusqu’aujourd’hui et pour encore 20 ans – privé
du droit à des congés, privé du droit d’aller embrasser sa mère
de 70 ans.
Ce sont là les
prisonniers dont la libération aujourd’hui, hier, ou il y a dix
ans, aurait fait la preuve qu’Israël est effectivement intéressé
par un changement, reconnaît sa propre violence à longueur
d’années et est désireux de la réduire.
Leur non libération
n’est pas seulement une amère déception pour leur famille et
leurs amis. C’est un coup pour tous ceux qui sont intéressés
par une solution de paix.
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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