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Ha'aretz
Qu’est-ce que 20 tonnes d’explosifs ?
Amira
Hass
Haaretz, 18
octobre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/776301.html
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/776076.html
Le
Hamas aurait fait passé 20 tonnes d’explosifs dans la Bande de
Gaza, sans compter les missiles antiaériens et antichars. C’est
l’estimation faite par l’armée israélienne qui a pris soin
d’asséner, pendant plusieurs jours, aux médias israéliens
cette information effrayante qui suscite des scénarios à la manière
du Hezbollah.
Malgré
les démentis donnés sans conviction par le Hamas, on peut se
fier à ce chiffre. Ce qui renforce cette information israélienne
sur des transferts d’armes, c’est le penchant à l’imitation
existant chez les organisations palestiniennes armées et leur idée
simpliste : Le Hezbollah a défait Israël ?
Armons-nous comme le Hezbollah. La résistance par les armes a
fait ses preuves au Liban ? Elle fera ses preuves chez nous
aussi. Des questions accessoires comme un espace géographique très
différent, une forte densité de population, le fait que la Bande
de Gaza soit coupée du reste du monde, sont sans influences sur
les considérations des imitateurs. Pas davantage que les analyses
plus élaborées qui montrent que le Hezbollah s’est trompé
dans ses calculs politico-militaires et ne s’attendait pas à
une réaction israélienne aussi destructrice. En particulier, les
imitateurs ne s’embarrassent pas de questions comme celle
de savoir à combien d’enseignants grévistes il serait possible
de payer leur salaire avec l’argent versé à ceux qui
fournissent les armes et à ceux qui creusent les tunnels, ou si,
en six ans, la démonstration n’a pas été faite que toucher à
des civils israéliens à l’intérieur des frontières de l’Etat
ne fait que renforcer le soutien du public israélien à la
politique d’occupation de son gouvernement. Les imitateurs
palestiniens se trouvent du même côté de la barricade que tout
l’appareil de défense israélien : les uns comme les
autres gonflent l’importance et la signification des armes
palestiniennes.
Chaque
fois que des responsables militaires israéliens font des
comptes-rendus sur les dangers qui nous attendent du côté des
Palestiniens, ils se voient aidés par trois phénomènes. Le
premier : en Israël, une information de sources militaires
concernant des Palestiniens (mais pas la dernière guerre au Liban
et autres guerres de généraux) est tenue pour neutre, dépourvue
d’intérêts individuels ou de groupe, animée purement et
simplement de mobiles patriotiques orientés vers le bien de la
nation. Deuxième phénomène : les expériences militaires
à profusion d’un pourcentage important d’Israéliens sont
comme effacées. Tous – y compris ceux qui ont été par le passé
ou sont actuellement des soldats d’unités de combat, ainsi que
leurs familles – deviennent, en conscience, de naïfs et
innocents civils pour qui des images télévisées d’hommes armés,
cagoulés, circulant dans les villes palestiniennes assiégées démontrent
combien « l’autre
camp fomente la guerre » (quand nous aspirons tant à la
paix). Troisième phénomène : contrairement à l’armement
palestinien, qui est quantifiable, il n’est pas possible d’évaluer
la quantité d’ « explosifs »
aux mains d’Israël, tous les types d’obus et de bombes, tous
les moyens de combat qu’emploient ou emploieront les soldats
israéliens. Le porte-parole de l’armée israélienne n’offre
pas généreusement ce type d’informations et de toute façon,
il s’agit de quantités énormes, fréquemment renouvelées,
tant par l’importation que par la prospère industrie israélienne
de l’armement. Jusqu’à la dernière guerre au Liban,
quelqu'un avait-il calculé de combien de millions de bombes à
sous-munitions l’armée israélienne disposait dans ses arsenaux
(comme Israël en a lancé 1,2 million lors de la guerre au Liban
– ainsi que l’a rapporté Meron Rapoport dans « Haaretz »,
le 12 septembre 2006) ?
Et
c’est ainsi que ce qui est présent à la conscience israélienne,
ce ne sont pas les millions de bombes à sous-munitions, autrement
dit les mines volantes, ni les dizaines de millions de bombes,
d’obus et autres balles mortelles qui se trouvent dans nos
arsenaux, dans nos canons et le ventre de nos hélicoptères et de
nos avions – et dont la quantité d’explosifs se compte en
millions de tonnes. Ce qui est présent à la conscience israélienne,
ce sont les 20 tonnes d’explosifs palestiniens et les quelques
milliers de fusils. Ce dont les Israéliens sont convaincus,
c’est que nous sommes exposés à un danger existentiel. Ce qui
est gommé de la conscience israélienne, c’est qu’Israël est
une puissance militaire, que son armement est, par nature,
meurtrier et effrayant. Les médias israéliens collaborent évidemment
à cette distorsion de la réalité. Ils rendent compte avec
ferveur de chaque coup de feu tiré par un Palestinien, chaque
roquette lancée – même quand il n’y a eu aucun dégât. Mais
les tirs et les bombardements israéliens, routiniers,
n’existent pas dans les médias sauf lorsqu’il y a des morts,
et cela même est bien vite oublié.
Instiller
la peur chez les Israéliens vise à obtenir un soutien permanent
à la politique de constante escalade qui est celle de l’armée
israélienne. L’establishment de la défense n’est pas neutre :
comme au sein de n’importe quel autre establishment, ses membres
veulent pérenniser la logique de leur existence et de leur
salaire. Ils ont besoin du silence du public devant le libre usage
que fait l’armée israélienne des divers types d’armes et de
munitions déposées entre les mains de ses soldats. Instiller la
peur en série est destiné à donner carte blanche à l’armée
israélienne, alors qu’elle étend son infrastructure opérationnelle,
pour aller peut-être jusqu’à lancer des milliers de bombes à
sous-munitions sur Gaza également. En Israël, l’establishment
militaire est lié par un cordon ombilical à l’establishment
des preneurs de décisions politiques : amplifier la menace sécuritaire
qui pèse sur les Israéliens – tout en la coupant parfaitement
de la réalité de l’occupation israélienne – assure le
maintien du soutien israélien à la fable qu’il y a une
« solution »
militaire, et pas politique, autrement dit le soutien à la
continuation du régime d’occupation et de dépossession, avec
les privilèges qu’il procure aux Israéliens.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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