Ha'aretz
Le
pouvoir d’un roi d’Angleterre
Amira
Hass
Haaretz, 18
juillet 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/883032.html
Version
anglaise : Power
like the king of England
www.haaretz.com/hasen/spages/883350.html
A
la fin de la semaine, 256 familles fêteront la sortie de prison
de leurs chers proches et des mères éprouvent déjà un
soulagement de ce que la chasse à l’homme visant leurs fils
recherchés a pris fin. On éprouve aussi ce soulagement dans les
villes où vivent les hommes recherchés : ceux-ci – en
particulier ceux du Fatah – se sont enorgueillis de leurs armes
dans le cadre des jeux internes de pouvoir. Ce n’est pas
l’occupation israélienne qu’ils mettaient en danger mais
leurs proches. Jusqu’à quel point ces gestes [d’Israël] renforceront Mahmoud Abbas, il est possible de l’évaluer
non pas aux éloges adressés par George Bush à Ehoud Olmert,
mais à la manière dont ils sont reçus dans la société
palestinienne.
L’opération
de relations publiques intensive dont ont bénéficié les
« gestes » [d’Israël]
renforce chez les Palestiniens la conscience qu’Israël
s’offre à bon marché la capacité de poursuivre sa politique
d’occupation. La terre qu’il a volé à tout Palestinien, Israël
n’a pas l’intention de la rendre. Le réseau de barrages et de
routes séparées qui détruit le cadre social des Palestiniens ne
sera pas aboli et, au checkpoint, le soldat hargneux ne cessera
pas de faire du moindre déplacement une torture. Les Palestiniens
ont suffisamment d’expérience pour savoir que tous les sourires
échangés par Abbas et Olmert n’arrêteront pas les bulldozers
qui continuent de les emprisonner dans des enclaves coincées
entre des blocs de colonies qui ne cessent d’enfler. Les déclarations
de Saeb Erekat sur l’attachement à « un Etat dans les
frontières de 67 » ne parviennent pas à persuader le
public qu’un gouvernement OLP et Fatah parviendra à faire ce
qu’il n’a pas fait depuis 1994 : combattre le projet israélien
d’occupation et de colonisation.
La
notion d’ « amnistie » dont on a emballé l’accord
mettant fin à la chasse aux hommes recherchés montre à quel
point Israël est arc-bouté à sa position de pouvoir. D’après
la loi, le Président a autorité pour amnistier des « criminels ».
D’après la loi, un « criminel » est quelqu'un qui a
été jugé et condamné. Il est vrai que, lorsque l’opinion
majoritaire au sein de la Cour Suprême avait décrété que le Président
d’Israël avait le pouvoir d’amnistier comme le roi d’Angleterre
et le président des Etats-Unis, le Président Haïm Herzog avait
amnistié de hauts responsables des Services de la Sécurité générale
(Shabak) avant qu’ils ne soient jugés pour le meurtre des
kidnappeurs de l’autobus 300. Mais ici, c’est la Sécurité générale
et l’armée sur le terrain qui amnistient. La légèreté avec
laquelle la notion d’ « amnistie » est passée dans
les médias est encore une preuve de la carte blanche que les Israéliens
laissent à l’armée et à ses soldats pour agir comme
procureur, juge et exécuteur des arrêts de mort. Quoi d’étonnant
à ce que leur soit accordé le pouvoir d’un roi d’Angleterre,
d’amnistier avant jugement ?
Pour
ce qui est des prisonniers qui devraient être libérés au titre
de « geste », leur sort était arrêté avant même
qu’ils ne soient jugés dans ce grand show qu’on appelle le
« tribunal militaire israélien ». Un show, parce que
cette même structure militaire qui occupe et détruit et opprime
une population civile, est aussi celle qui décrète que résister
à l’occupation (y compris par des manifestations populaires ou
par des jets de pierres) constitue un crime. Ses juges sont voués
à la défense des intérêts de l’occupant et du colon. Ce
geste de libération est par conséquent une minuscule réparation
à un vice essentiel au plan légal.
Les
Palestiniens ne peuvent pas oublier que des milliers d’officiers
et de soldats israéliens qui ont tué des enfants et des femmes,
brisé des mains et des pieds, protégé avec leurs armes le vol
de terres, circulent librement. Si Olmert avait voulu sincèrement
renforcer Abbas, il aurait au moins dû répondre à la demande
que les représentants du Fatah n’ont cessé de répéter depuis
des années : faites montre d’une certaine égalité, libérez
tous ceux qui sont emprisonnés à vie pour leur activité contre
l’occupation, remontant à une période antérieure à la
signature de l’accord d’Oslo. Libérez ceux qui sont en prison
depuis 20 ou 30 ans déjà, et ceux qui avaient alors reçu leurs
ordres des plus hauts responsables parmi les « sujets modérés »
d’aujourd’hui. La non libération de ces prisonniers après
1994 compte parmi les facteurs importants dans l’affaiblissement
de la position de l’Autorité palestinienne et du Fatah.
Mais
les « gestes » [d’Israël]
s’inscrivent dans le cadre d’une conception israélienne
seigneuriale qui consiste à jeter quelques miettes à Abbas, dans
l’attente de l’obéissance et du « bon comportement »
de ce féal sujet. Quand tel est le dessein, on a aussi la recette
assurée pour affaiblir Abbas.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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