|
Ha'aretz
La
Cour suprême n’est pas pressée
Amira
Hass
Haaretz, 17
janvier 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/814294.html
Version
anglaise : The High Court of Justice is in no
hurry
www.haaretz.com/hasen/spages/814345.html
Si
le Ministre de la Défense, Amir Peretz, avait voulu démontrer
aussi par des actes que le racisme était à ses yeux une
conception bannie et dangereuse – comme on a pu le comprendre
des propos qu’il a adressés avant-hier à Avigdor Lieberman,
son collègue au gouvernement – il aurait joué de son autorité
afin d’abroger à temps l’ordonnance émise par le général
Yaïr Naveh, du commandement central, et qui entrera en vigueur
après demain. Mais il ne l’a pas fait, et à dater du 19
janvier 2007, il sera donc interdit aux Israéliens et aux étrangers
de véhiculer des passagers palestiniens dans leurs voitures, en
Cisjordanie.
Si
la Ministre de l’Enseignement, Youli Tamir, avait réellement
souhaité changer les modèles qui, en 40 ans d’occupation, se
sont solidement établis dans le système d’enseignement, elle
aurait usé de son poste élevé pour remuer ciel et terre au
Parlement et au gouvernement contre l’ordonnance du général
qui porte atteinte aux droits des Palestiniens et des Israéliens
de nouer des liens sur une base amicale, familiale et idéologique.
Elle en avait tout le temps : l’ordonnance a été signée
le 19 novembre 2006.
Si
le Vice-ministre à la Défense, Ephraim Sneh, qui a ‘découvert
l’Amérique à Hébron’, en y ‘découvrant’ ce qu’on
savait déjà, et est arrivé à la conclusion qu’on ne faisait
pas respecter la Loi efficacement dans cette ville, y avait
vraiment été intéressé, il aurait pu faire barrage à cette
ordonnance qui ajoute sa pierre au pouvoir des colons en
Cisjordanie : aux termes de l’ordonnance de Yaïr Naveh en
effet, seuls des Israéliens (essentiellement des colons mais
aussi des gens qui vivent en Israël même) employant des
Palestiniens sont autorisés à transporter leurs employés.
C’est dire que cette ordonnance renforce une conception selon
laquelle les seuls rapports naturels possibles entre un
Palestinien et un Israélien juif sont d’employé à employeur.
Si
les médias israéliens, qui ont été choqués à la vue de cette
jeune femme colon injuriant, avec des airs souverains, ses
« voisins »
palestiniens d’Hébron ([i]),
avaient eu aussi le dessein d’être efficaces, ils se seraient
organisés à temps pour exprimer leur émoi profond devant la
nouvelle ordonnance du général Naveh qui fera un criminel de
tout Israélien qui véhiculera, en Cisjordanie, un ami
palestinien ou un membre de sa famille qui ne serait pas du
premier degré. Mais les médias dans leur ensemble,
l’association des journalistes et les juristes spécialisés
dans les médias, ont abandonné le travail aux organisations de
droits de l’homme et à quelques journalistes isolés. Si les médias
n’avaient pas oublié les innombrables articles qu’ils ont
eux-mêmes publiés à propos des exactions des colons d’Hébron
et du pouvoir militaire à Hébron, ils auraient pu conclure que
la séparation démographique imposée par la nouvelle ordonnance
de Naveh est fille du même mode de pensée et d’action qui a
engendré et continue d’engendrer la pureté ethnique dans le
vieux Hébron.
Si
l’émoi unanime causé par une femme colon qui a été filmée
n’était pas une affaire de taux d’audience, mais qu’il reflétait
une position morale largement répandue dans la société, la Cour
suprême aurait émis un arrêt provisoire pour suspendre l’entrée
en vigueur de l’ordonnance du général Naveh. Mais elle n’a
rien fait de tel en dépit du fait que huit organisations de
droits de l’homme, représentées par l’avocat Michael Sfard,
lui en ont donné l’occasion. N’y voyant pas non plus la
moindre urgence, Edmond Lévy, juge à la Cour suprême, a remis
le débat sur cette requête au 12 février.
La
Cour suprême ne s’est pas pressée parce que l’ordonnance du
général Naveh est logique, très demandée, et que la voie qui y
mène a été pavée au fil des dernières années,
minutieusement, graduellement, par une série d’ordres et
ordonnances, de lois parlementaires, par la politique des routes séparées
et le tracé de la clôture des services de la Défense. Et
toujours avec l’approbation de la Cour suprême. La nouvelle
ordonnance s’accorde parfaitement avec d’autres interdictions
de déplacement imposées par Israël aux Palestiniens de
Cisjordanie et de Gaza, dans un territoire où les juifs ont le
droit de se déplacer, de résider, de commercer et de faire des
affaires sans obstacles. Ces interdictions de se déplacer empêchent
depuis des années des milliers de Palestiniens de Cisjordanie de
rendre visite à leur famille et à leurs amis à Gaza. Elles sont
responsables de milliers de sagas où des gens ne sont pas autorisés
à vivre avec leur famille, dans leur propre maison, à prendre
soin de leurs parents sur leur lit d’agonie. Elles empêchent
des étudiants de choisir leurs études dans des institutions
convenables. Elles éloignent les malades des cliniques, les
parturientes des maternités, les élèves des écoles, les
travailleurs de leurs lieux de travail. Ces interdictions ont fait
d’un tiers de la Cisjordanie – la vallée du Jourdain – un
territoire vide de Palestiniens, sauf les 50.000 qui sont, d’après
leur carte d’identité, domiciliés dans la vallée.
L’ordonnance
dont il est question ici complète un ordre qu’un général a
lancé en octobre 2000 et qui, au motif connu de la sécurité, a
interdit aux Israéliens l’entrée dans les « territoires
A » de Cisjordanie. La nouvelle ordonnance sera particulièrement
efficace car elle mettra tout spécialement en danger les
Palestiniens qui la violeront : pour des raisons juridiques,
il sera difficile de poursuivre les Israéliens devant un tribunal
civil. Mais les Palestiniens « criminels »
se retrouveront, eux, brimés à l’intérieur et à l’extérieur
des tribunaux militaires, persécutés par la Sécurité générale
[Shabak] et exposés à
des peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans. Ce fait-là
dissuadera des Israéliens de recourir à la désobéissance
civile non-violente du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King –
ou de violer cette ordonnance parfaitement illégale. Les
fondateurs de l’apartheid en Afrique du Sud auraient été fiers
d’une ordonnance pareille.
*
Amos
Harel, Haaretz, 18 janvier 2007 :
« L’armée israélienne a gelé l’entrée en vigueur de
l’ordre interdisant aux citoyens israéliens de véhiculer dans
leurs voitures – sans autorisation spéciale – des
Palestiniens dans le territoire de la Cisjordanie. Cet ordre avait
fait dernièrement l’objet de vives critiques de la part de
juristes et d’organisations de droits de l’homme et des requêtes
avaient même été déposées devant la Cour suprême à son
encontre. Le général Yaïr Naveh, du commandement central, a
justifié la décision de geler cette ordonnance qui devait entrer
en vigueur demain [vendredi
19 janvier 07], par l’existence de plusieurs problèmes
pratiques et juridiques non encore résolus. »
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
|