Opinion
Le changement de
tactique des activistes palestiniens
dans les marques de protestation en zone
E-1
Amira Hass
12 janvier
2013. Des activistes palestiniens
arborent des drapeaux palestiniens dans
le nouveau « poste avancé »
de Bab Al-Shams (Porte du Soleil), dans
une zone appelée E-1, à proximité de
Jérusalem.
Mardi 15 janvier
2013 Les
Comités populaires palestiniens
sont confrontés à une contradiction :
Ils ont gagné l'attention du monde
entier, mais ne sont pas parvenus à
déclencher un mouvement de masse contre
l'occupation. L'idée d'installer un
village de tentes à E-1
en guise de protestation a gagné en
intensité ces quelques dernières
semaines parmi les Comités
populaires palestiniens - les
mêmes comités qui, depuis dix ans,
organisent en Cisjordanie
des manifestations hebdomadaires contre
l'occupation israélienne en général et
contre la clôture de séparation et les
colonies en particulier.
Les comités populaires ont compris
qu'ils étaient confrontés à une
contradiction interne : D'une part, ils
avaient gagné l'admiration du monde
entier et leurs protestations avaient
contribué au succès partiel des
batailles juridiques qui avaient été
menées - et le sont toujours - par
plusieurs villages contre le tracé de la
clôture de séparation.
D'autre part, ils n'étaient pas parvenus
à élargir leur zone d'activités et de
confrontations avec les forces de
sécurité au-delà de ces villages, pas
plus qu'ils n'étaient parvenus à
déclencher la formation d'un mouvement
de masse palestinien contre l'occupation
- même si, en termes d'indignation et de
frustration populaire, le moment
semblait particulièrement opportun de le
faire.
Lors des manifestations hebdomadaires,
les tirs des Forces de défense
israéliennes ont tué vingt-neuf
Palestiniens, dont onze mineurs
d'âge. Des dizaines d'activistes ont été
arrêtés. Pourtant, quelques éléments
très en voix, et tout particulièrement à
Ramallah, minimisent
souvent les activistes et leurs méthodes
- du fait que les comités prônent la
résistance non armée, ou que l'Autorité
palestinienne les soutient
(bien que comités eux-mêmes perçoivent
la chose comme une entrave des plus
paralysantes), ou encore parce qu'ils
ont attiré l'attention des diplomates
occidentaux.
Le désir de résoudre cette contradiction
et de façonner les outils nécessaires à
une insurrection populaire a obligé les
comités à imaginer des actions qui
enflammeraient l'imagination d'un plus
grand nombre de jeunes. Les actions,
ont-ils décidé, devraient concerner les
événements dont on parle dans les
informations - comme les plans
d'aménagement de la zone E-1
- de façon à susciter l'intérêt des
médias. Sous ces deux angles, le «
poste avancé » palestinien a été un
succès.
Le plan consistant à ériger un
village de tentes a été gardé secret. En
fait, en guise de tactique de diversion,
il a été annoncé sur Facebook, entre
autres, que les activistes prévoyaient
d'organiser un camp d'étude et
d'activités à Jéricho, les 10 et 11
janvier. Quelques hommes d'affaires
palestiniens qui se trouvaient sur place
ont contribué financièrement à l'achat
des tentes et à la couverture des autres
dépenses.
Mais, en raison de la tempête qui a sévi
toute la semaine dernière, il n'y a pas
eu d'autre choix que de dire à ceux qui
s'étaient inscrits pour le « camp »
en quoi consistait le véritable plan,
afin d'être certain du nombre de
personnes qui allaient en fait y
participer. Jeudi, malgré la neige, près
de trois cents personnes se sont rendues
à un meeting à Ramallah.
Mohammed Khatib, un
membre des comités populaires venu de
Bil'in, a dit qu'une
moitié environ des personnes venues
assister au meeting étaient des nouveaux
- des gens qui n'avaient jamais
participé auparavant à des activités de
protestation. Il est convaincu que, s'il
n'y avait pas eu ces conditions
atmosphériques, mille personnes au moins
se seraient présentées.
Les participants se sont mis d'accord
pour ériger le camp de tentes en un
endroit dont les photographies aériennes
montraient qu'il s'agissait d'un terrain
privé dont les propriétaires étaient
d'accord avec les protestataires. Par la
suite, il est apparu qu'en 2006,
Israël avait déclaré une partie
de ces terres comme « terres
de l'État ».
Quelque deux cents activistes ont passé
quarante-huit heures dans les vingt
tentes, jusqu'au moment où une force de
quelque cinq cents policiers ont
démantelé le « village », très
tôt le dimanche matin. Contrairement à
l'annonce par la police israélienne que
l'évacuation allait être non violence,
les organisateurs du camp ont rapporté
que vingt personnes avaient été frappées
à coups de bâton et que six d'entre
elles avaient dû être hospitalisés pour
des hématomes au visage et autres
blessures sanglantes.
Dans l'intervalle, Elias Khoury,
l'auteur libanais du roman «
Bab Al-Shams » (La
Porte du Soleil), qui retrace la
vie des réfugiés palestiniens au
Liban depuis la fondation de
l'État d'Israël, a
donné aux activistes sa bénédiction sur
sa page Facebook et a exprimé son
appréciation de voir qu'ils avaient
baptisé leur village de tentes en
reprenant le titre de son livre.
Ce n'est pas la première fois que les
comités populaires organisaient des
protestations allant au-delà des limites
des villages et du tracé de la clôture
de sécurité. Par exemple, il y a deux
mois, dans le cadre de la
Semaine de la Jeunesse palestinienne,
ils avaient organisé le blocage des
routes et des accès aux colonies et,
bien que l'opération ait été couronnée
de succès, elle avait presque aussitôt
disparu des mémoires en raison de
l'assassinat d'Ahmed Jabari
à Gaza et de
l'opération Pilier de Défense
qui avait suivi. Un mois avant
cela, ils avaient organisé une
manifestation contre l'achat des
produits des colonies au supermarché
Rami Levy, à l'est de
Ramallah.
Mais, ici, les comités se heurtent à une
autre contradiction : Des protestations
à caractère exceptionnel intéressent les
médias et le public pendant quelques
heures, puis tombent dans l'oubli. Seuls
des activités continues peuvent
développer les outils nécessaires à un
mouvement de résistance de masse.
Pour l'instant, toutefois, le public
palestinien, aussi frustré et indigné
qu'il puisse être, n'est pas enclin à
mener des activités continues et, en
tout cas, il éprouve des doutes quant à
sa capacité de lutte et à l'efficience
ultime de la résistance de masse.
Publié sur
Haaretz le 14/1/2013.
Traduction pour le site de la
Plate-forme Charleroi-Palestine : JM
Flémal.
Amira Hass est une
journaliste israélienne, travaillant
pour le journal Haaretz.
Elle a été pendant de longues années
l'unique journaliste à vivre à Gaza,
et a notamment écrit "Boire la mer à
Gaza" (Editions La Fabrique)
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