Ha'aretz
Prisonniers
vs criminels
Amira
Hass
Haaretz, 11 avril 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/847060.html
Version anglaise : Prisoners
or criminals ?
www.haaretz.com/hasen/spages/847289.html
Les
rassemblements de soutien aux soldats enlevés et à leurs
familles, comme moyen de pression sur la classe politique, suggèrent
une saine évolution : le public israélien met donc en doute
les motivations et la capacité du gouvernement Olmert pour tout
ce qui a trait à la libération des trois prisonniers. Il fut un
temps où la foi dans le souci du milieu politique pour le sort
des prisonniers de guerre était absolue.
Mais
le doute ne suffit pas, tout comme il ne suffit pas d’organiser
des rassemblements. Même si les derniers rapports donnés par les
médias sont vrais, qui parlent à nouveau d’un progrès dans
les négociations en vue de la libération de Gilad Shalit, le
discours dominant dans ces médias est celui de la Défense et du
gouvernement – ceux-là même qui ont échoué dans leur mission
de libération et ont conduit à deux offensives militaires
sanglantes, sous le prétexte habituel de la lutte contre le
terrorisme. L’une contre la Bande de Gaza et ses civils, et
l’autre contre le Liban et ses civils.
Les
coups portés aux Palestiniens armés et au Hezbollah sont rendus
dérisoires par le bilan des victimes civiles – les tués et les
blessés de Gaza et du Liban – et les atteintes aux
infrastructures civiles. Ces offensives ont seulement éloigné
les espoirs de libération et ajouté des mois de souffrances à
ceux qui ont été enlevés et à leurs familles.
Ce
sont la Défense et le gouvernement qui ont, à longueur d’années,
forgé les axiomes qui prévalent en Israël à l’égard des
prisonniers palestiniens. Un premier axiome veut que tout
prisonnier de sécurité palestinien est un criminel. Même durant
la période Oslo, Israël ne s’est pas libéré de cette définition
et n’a pas reconnu les Palestiniens comme des prisonniers dont
la libération ferait partie intégrante d’un processus de paix.
Israël en a, il vrai, libéré des milliers et des milliers, mais
il l’a fait au titre de geste du camp dominant. Il s’est également
illustré par une attitude raciste en libérant des gens condamnés
pour le meurtre de collaborateurs palestiniens, mais en ne libérant
pas ceux qui avaient été condamnés pour avoir assassiné ou
blessé des Juifs (dont des soldats).
C’est
ainsi qu’aujourd’hui encore sont détenus en Israël près de
400 Palestiniens condamnés pour des crimes (définis comme tels
par le code de lois de l’occupant) commis avant la signature de
l’accord Gaza-Jéricho (en mai 1994). Les responsables de ces
prisonniers – de Yasser Arafat à Mohamed Dahlan en passant par
Yasser Abed Rabbo – ont passé des heures et des heures à des
pourparlers et à des cocktails avec des représentants israéliens.
Mais leurs subordonnés sont censés payer jusqu’au dernier jour
de leur peine (de plusieurs dizaines d’années) ou rester en
prison à perpétuité, ce qui contraste scandaleusement avec le
sort des prisonniers juifs – en particulier des colons – qui
ont été condamnés pour meurtre « sur fond de nationalisme »
et sont rapidement libérés après remise de peine.
Il
en est parmi les prisonniers Palestiniens qui sont atteints de
maladies graves, mais, vindicatif, le système israélien refuse
de les libérer. Les familles de la majorité des prisonniers
n’ont pas été autorisées à leur rendre visite pendant de
longues périodes. Tous – et cela aussi est un axiome – font
l’objet de discriminations quant à leurs conditions de détention,
en comparaison avec les détenus juifs.
Depuis
la signature des accords d’Oslo, de nombreux Israéliens dénient
le fait qu’ils sont citoyens d’un Etat occupant et ils définissent
l’actuelle Intifada comme une guerre qui aurait été déclarée
par le fictif « Etat de Palestine ». Mais en dépit du
fait qu’on la définit comme une guerre, un axiome largement répandu
tient que les Palestiniens sont toujours des « terroristes »
– même lorsqu’ils agissent contre des soldats et non contre
des civils. Cet axiome a son propre axiome jumeau qui veut qu’il
n’y ait de « soldats » que de notre côté, même
quand ils sont envoyés pour opérer contre une population civile
sous occupation.
Le
dénominateur commun de ces axiomes est la distinction entre un
sang et un autre sang, entre tel être humain et tel autre. Le
Juif vaut toujours plus, beaucoup plus – quand il est victime,
quand il est soldat, quand il est prisonnier. Cette distinction
qui est faite joue un rôle non négligeable dans le soutien
palestinien à la tactique de l’enlèvement. Si la raison
politique, la négociation diplomatique et la conception d’une
égalité de base n’ont pas conduit à la libération de
prisonniers palestiniens, l’enlèvement d’Israéliens le fera.
C’est un fait : il n’y a que quand des soldats sont enlevés
qu’on se souvient en Israël de l’existence des prisonniers
palestiniens et libanais.
Mais
les rassemblements de soutien aux prisonniers ne contestent pas
ces axiomes et ils en restent au statut de rituels destinés à
plaire à ceux qui organisent ces rituels.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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