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Ha'aretz
Un sujet «d’agacement» pour la Sûreté Générale israélienne
Amira Hass
Amira Hass
Haaretz, 10 janvier 2008
Il y a environ un mois, le Dr Moustapha Barghouti
avait été invité au consulat d’Italie à Jérusalem pour y
recevoir, lors d’une cérémonie spéciale, une distinction
honorifique du gouvernement italien. Le consulat avait adressé
aux autorités israéliennes des demandes d’autorisation
d’entrer à Jérusalem pour Moustapha Barghouti et pour 14
autres invités - membres de la famille et amis. Le consulat avait
ensuite été informé de ce que 14 permis étaient accordés. Le
seul à ne pas en recevoir était Moustapha Barghouti lui-même.
Il raconte cela en riant.
Depuis mars 2007, avec l’instauration du
gouvernement palestinien d’union nationale, Barghouti, médecin
de profession, n’a pas obtenu de l’Administration civile
d’autorisations d’entrer dans la Bande de Gaza. Barghouti,
membre du Conseil législatif pour la liste de « l’Initiative
Nationale » qu’il a lui-même fondée, était Ministre de
l’Information dans cet éphémère gouvernement d’union. Cela
fait trois mois qu’il ne reçoit pas non plus de permis
d’entrer à Jérusalem. Il estime à 12 ou 13 le nombre de ses
demandes de pouvoir entrer à Jérusalem. C’était la plupart du
temps à l’invitation de diplomates européens et ce sont
ceux-ci qui introduisaient les demandes. Une fois, cela a été le
député au Parlement israélien Ophir Pines.
La Sûreté Générale [Shabak ou, anciennement,
Shin Bet - ndt] a fait savoir en réponse à Ha’aretz, que
« Moustapha Barghouti était interdit d’entrée en Israël
et cela, entre autres raisons, à cause de ses liens avec des
militants du terrorisme et à cause de son activité en faveur
d’une organisation terroriste, et sans rapport avec son
appartenance à la liste de "l’Initiative Nationale"
au sein du Conseil législatif. »
Comme dans des milliers d’autres cas de
personnes privées de leur liberté de mouvement, la Sûreté Générale
semble parler à mots couverts. Elle n’hésite pas à livrer une
réponse standard, partant du postulat qu’au sein de la société
juive israélienne, la majorité l’appuie et est persuadée que
ce qui guide la Sûreté, ce sont des considérations purement
professionnelles liées à la sécurité, que les officiers de la
Sûreté Générale sont dénués de mobiles personnels, qu’ils
ne sont pas influencés par les clins d’œil de l’échelon
politique et qu’il ne se peut pas non plus qu’instruction ou
conseil leur soit donné d’ajuster le prétexte sécuritaire sur
le dessein politique. En Israël, la plupart des gens sont persuadés
que si quelqu’un ne reçoit pas un permis de déplacement, cela
signifie que la Sûreté Générale dispose de preuves solides du
danger qu’il représente.
Serait-ce par un cafouillage de la Sûreté Générale
et de l’armée israélienne que Barghouti circule librement
entre Jénine et Naplouse, à Ramallah, ou Hébron, comme des
dizaines de milliers d’autres personnes « interdites pour
raison de sécurité » ? Car que peut conclure le
profane ? Qu’un homme qui « milite en faveur d’une
organisation terroriste », il y a lieu de l’arrêter, au
moins pour interrogatoire. Or Barghouti n’a pas été arrêté,
pas même lorsqu’à l’occasion du Ramadan, il a tenté
d’entrer à Jérusalem dans le cadre de l’autorisation accordée
aux plus de 50 ans : il a été retenu pendant trois heures
au barrage et renvoyé d’où il était venu, alors même qu’il
« milite dans une organisation terroriste ».
Les permis de déplacement sont, pour le patron
israélien, une façon de dire à des personnalités
palestiniennes qui il a envie d’honorer. Qui a une politique tolérable,
convenable ou insupportable. Indépendamment de la faiblesse électorale
de « l’Initiative Nationale » de Barghouti, les thèmes
associés à son nom sont clairs et populaires : Hamas et
Fatah doivent descendre de leur arbre, réparer les erreurs graves
qu’ils ont commises ces derniers mois et revenir sur la voie de
l’unité afin de combattre l’occupation. La lutte populaire -
le long de la clôture de séparation, face aux colonies, contre
les routes de l’apartheid - est le moyen efficace, qui implique
toute la société. Vendredi passé, Barghouti a participé, avec
des centaines de militants palestiniens et une centaine de
militants israéliens, à une manifestation contre la route 443,
fermée aux Palestiniens.
Les journalistes étrangers multiplient les
interviews de Moustapha Barghouti, pour sa facilité de parole ;
et c’est l’homme qui va donner des coups d’épingles dans
les ballons gonflés d’un faux optimisme portant sur l’avancée
des négociations, après qu’Ahmed Qorei et Tzipi Livni sont
parvenus à établir quelques règles pour les réunions de la
commission qui devra discuter des « questions centrales ».
Les messages de Barghouti viennent brouiller le nouveau cursus de
domestication qu’Israël essaie de faire passer aux dirigeants
de l’Autorité Palestinienne, et dont la leçon principale est :
comment alimenter la fracture avec le Hamas et comment gober les
colonies. C’est ce qui fait de Moustapha Barghouti un sujet
d’agacement pour la Sûreté Générale.
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