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Ha'aretz
Deux
lobbies protègent l’oppression
Amira
Hass
Haaretz, 8
novembre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/785318.html
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/785096.html
Il
n’eût pas été possible de trouver pire moment pour publier le
rapport de Human Rights Watch sur la violence à l’égard des
femmes dans la société palestinienne et dans la famille
palestinienne. Soit hier, 7 novembre, juste au moment où les
forces de l’armée israélienne quittaient Beit Hanoun au terme
d’une offensive de six jours qui a fait 53 morts parmi lesquels
au moins 27 civils non armés, dont dix enfants et deux
ambulanciers volontaires du Croissant Rouge, et environ 200 blessés
dont 50 enfants et 46 femmes. A cela s’ajoutent de nouvelles
destructions de maisons, des infrastructures routières et des réseaux
de distribution d’électricité et d’eau.
Dans
la concurrence qui règne entre les médias israéliens sur le créneau
palestinien, il est clair qu’un rapport critique à propos de la
société palestinienne et ses institutions l’emportera sur
l’occasion qui s’offre à la presse de compléter un rapport
lacunaire, avant que d’autres incursions militaires ne l’éclipse
complètement. A la manière dont les médias israéliens ont
ignoré Ramzi A-Sharafi, cet étudiant de 16 ans, de Jebaliya,
frappé ce lundi matin, sur le chemin de l’école, par un
missile israélien, et ignoré aussi l’enseignante qui a été
grièvement blessée par le même missile, et les étudiants et
les enfants du jardin d’enfants qui ont été blessés ou sont
en état de choc.
C’est
précisément pour cela qu’il ne peut y avoir de moment opportun
ou inopportun pour la publication du dernier rapport de
l’organisation américaine des droits de l’homme qui discute
du phénomène grave du harcèlement des femmes et des filles chez
elles et dans leurs familles, et de l’impuissance de la société
et des institutions à les protéger de leur persécuteurs –
essentiellement des membres de la famille.
Le
rapport américain repose sur le travail incessant
d’organisations palestiniennes aussi bien indépendantes
qu’officielles, qui sont à la tête du combat contre cette
maladie sociale et masculine de harcèlement et d’oppression des
femmes. Des organisations féministes palestiniennes
s’appliquent à extirper l’indulgence manifestée par la société
et la loi à l’égard de meurtriers de femmes à l’intérieur
des familles, les échappatoires offertes aux violeurs et cette idée
que les situations de femmes et de filles battues ainsi que
d’inceste sont une affaire « familiale interne
». Le rapport de Human Rights Watch, ainsi que le travail de
ces organisations palestiniennes, en particulier les organisations
féministes, nous enseignent que les droits de l’homme ne
connaissent pas de frontières ethniques, politiques, géographiques
ni sexuelles, et qu’il n’y a pas non plus de frontières dans
l’exigence que ces droits soient respectés ni pour ceux qui
exigent qu’ils le soient.
Le
lobby masculin traditionnel dans la société palestinienne enrôle
l’occupation israélienne pour s’en faire aider, afin de
mettre des limites au débat public d’ordre moral et de
dissuader les critiques et les exigences de changement social.
Depuis le début de l’année 2006, douze femmes palestiniennes
– huit à Gaza et quatre en Cisjordanie – ont été assassinées
par des proches sous prétexte d’ « honneur
familial ». Quelle commodité pour le lobby traditionnel
qu’Israël attaque sans trêve, permettant ainsi de garder le
secret sur ce chiffre et de perpétuer l’idée que la femme est
la propriété du mari dans la famille.
Dans
la même mesure, pour Israël et ses lobbies à l’étranger, le
démon de l’antisémitisme est bien commode pour pouvoir
continuer à prendre à la légère les résolutions
internationales (touchant, par exemple, au tracé de la clôture
de séparation qui travaille à l’annexion), à fouler aux pieds
des accords avec des Etats (comme dans la discrimination qui est
faite à l’entrée en Israël entre citoyens étrangers, selon
qu’ils sont juifs ou palestiniens), et pour écraser, tuer, détruire
dans la Bande de Gaza surtout mais aussi en Cisjordanie, lors
d’offensives routinières dont personne ne parle chez nous.
La
majorité du public israélien se protège derrière une frontière
claire, une muraille infranchissable qu’il a dressé et qui
distingue entre les droits des Juifs et les droits des autres,
entre la douleur des Juifs et la douleur des autres. Ce mur de séparation,
qui donne toute liberté d’action aux chefs militaires et aux
membres du gouvernement qui les envoient, ne fait pas seulement
barrage à tout débat public d’ordre moral mais aussi à toute
considération de realpolitik.
Cela
fait six ans qu’on nous dit que les offensives de l’armée
israélienne ont obtenu des résultats importants en frappant
l’infrastructure terroriste, en tuant et en arrêtant des
terroristes, en mettant la main sur des caches d’armes. Au début,
il s’agissait de résultats obtenus contre des lanceurs de
pierres, puis contre des lanceurs de cocktails Molotov et des
hommes armés qui tiraient sur les routes de Cisjordanie, ensuite
contre les attentats-suicides. Au début, on découvrait des
fusils artisanaux, puis les fusils standard n’ont cessé d’être
découverts en nombres croissants. Plus on en saisit et plus ils
foisonnent.
A
Gaza, avant les roquettes Qassam, on parlait des résultats
obtenus contre ceux qui s’infiltraient dans les colonies et
contre ceux qui plaçaient des charges explosives sous les chars.
Maintenant, depuis deux ou trois ans, il s’agit toujours de succès
concernent des lanceurs de roquettes. Autrefois, la portée de
celles-ci était courte – travail d’amateurs. Maintenant, aux
dires des spécialistes, leur portée ne cesse de croître. Et
notre armée continue de moissonner les succès. Elle menace de
lancer d’autres offensives et, à Gaza, la position du Hamas se
renforce. Ce sont en effet ses hommes armés qui se lancent dans
des combats perdus d’avance – héroïques à leurs yeux –
face aux puissantes forces israéliennes entrées dans Beit Hanoun.
Se
peut-il que l’armée et les hommes politiques qui l’envoie ne
s’aperçoivent pas de cette effrayante corrélation entre le
renforcement de l’oppression militaire israélienne et la
poursuite de l’armement par les Palestiniens ? Entre
l’oppression militaire et le soutien palestinien à cet armement
– si pauvre et dépassé soit-il en comparaison de la puissance
militaire israélienne ? Ou peut-être est-ce précisément
ce que veut le gouvernement israélien, avec ou sans Avigdor
Lieberman : éterniser le conflit militaire et renforcer le
lobby militaire palestinien, afin d’éloigner toute possibilité
de solution politique ?
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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