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Ha'aretz
Un
malentendu administratif ?
Amira
Hass
Haaretz, 5 août
2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/758781.html
Version
anglaise : The slippery slope of expulsion
www.haaretz.com/hasen/spages/758676.html
Lorsque
l’officier de l’administration civile du camp militaire de
Beit El a prolongé d’un mois le visa touristique de Sam Bahour,
un homme d’affaires palestino-américain de Ramallah, et y a
inscrit « dernière
prolongation », il ne l’a pas fait de sa propre
initiative. Lorsque effectivement, l’officier a donné l’ordre
d’expulser cet homme de la ville où sa famille vit depuis des générations
et où il vit depuis 14 ans avec son épouse et ses deux fils, cet
officier n’était qu’un délégué.
Lorsqu’un
employé des frontières, au pont Allenby, a empêché, il y a
deux semaines, l’épouse jordano-palestinienne d’un jeune médecin
de Ramallah d’entrer avec son mari, il appliquait des ordres,
tout comme les employés des frontières qui n’ont pas autorisé
l’épouse espagnole de R. I., de Ramallah, à revenir avec sa
fille de deux ans, ni S.A., un Palestinien natif de Ramallah et
qui a la citoyenneté suédoise, de retrouver son épouse, ses
enfants et son travail à Bir Zeit. L’employé qui a refusé par
deux fois l’entrée à P.Z., un Palestinien américain qui a
investi 300 millions de dollars dans les Territoires et qui a une
fonction importante dans une société palestinienne
d’investissement, cet employé-là obéit lui aussi à de
nouvelles règles édictées par le Ministère israélien de
l’Intérieur.
Lorsque
les porte-parole du Ministère de l’Intérieur répètent
qu’il ne s’agit pas de nouvelles règles d’entrée mais
d’une « mise à jour
des procédures », ils ne font pas les idiots de leur
propre initiative. Pas plus que le haut fonctionnaire de
l’administration civile qui a expliqué à Zahi Khouri, l’un
des hommes d’affaires palestino-américains les plus en vue et
qui a jusqu’ici pu éviter le tampon de la « dernière
prolongation », qu’il s’agissait d’une « malentendu
administratif ».
Cette terminologie euphémique n’est pas une trouvaille de ce
haut fonctionnaire qui voulait dire que si jusqu’à présent
Zahi Khouri et ses semblables avaient reçu un visa touristique
tous les trois mois, c’était seulement par un « malentendu ».
« Malentendu
administratif » ? Comme celui qui a permis a des
milliers de Palestiniens et à leurs conjoints de vivre en
Cisjordanie et dans la Bande de Gaza dans une sorte de statut
intermédiaire : ne pas recevoir d’Israël un droit de résidence
mais aller et revenir en tant que touristes afin de pouvoir vivre
comme Palestiniens dans leur patrie, avec leur famille, durant de
longues années – 10, 15 et même 30 ans. Et voilà que tout à
coup quelqu'un d’appliqué, au Ministère de l’Intérieur, a découvert
le malentendu et dit à tous ces gens : allez-vous en !
En
2000 déjà, de telles directives de « mise
à jour » étaient lancées à l’encontre des
Palestiniens et des conjoints de Palestiniens ayant la citoyenneté
d’un pays arabe, et non pas occidental. Ils n’étaient plus
autorisés à revenir chez eux, dans leurs maisons. Entre 1994 et
2000, durant les années Oslo, des consignes ont été données
qui ont ralenti jusqu’au minimum dans les Territoires occupés
la procédure de « réunification familiale » attendue par des dizaines de
milliers de familles : celles-ci ne vivent pas à Haïfa ou
Ashkelon, mais dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie. Malgré
cela, en 2000, même ce processus minimal de réunification
familiale a été gelé, processus qu’Israël est seul autorisé
à approuver, et des milliers de familles ont été condamnées à
de cruelles séparations : entre des pères et leurs enfants,
entre des femmes et leur mari, entre des grands-parents et leurs
petits-enfants.
En
1996, les mêmes décideurs politiques – le gouvernement
travailliste et le gouvernement Likoud-Shass – ont donné une
directive semblable : retirer le droit de résidence à Jérusalem
à des Palestiniens qui y étaient nés et qui étudiaient ou
travaillaient à l’étranger, ou qui avaient bâti une maison
dans un quartier jouxtant Jérusalem parce que la politique de
discrimination délibérée et étalée sur des années imposait
une limitation à la construction palestinienne à Jérusalem-Est.
Dans le même esprit de manipulation démographique, Israël
interdit l’entrée des Palestiniens de Gaza en Cisjordanie, et
les Gazaouis vivant en Cisjordanie sont considérés comme étant
« en séjour illégal »
et sont expulsés vers Gaza.
Derrière
les fonctionnaires et les porte-parole dont les noms sont connus,
et derrière les « procédures »
invoquées, se cachent des gens qui donnent les ordres. Qui
sont-ils ? Des chefs de gouvernements (du Likoud,
Travailliste-Shass et Kadima) ou « seulement » leurs
ministres de l’intérieur ? Peut-être des directeurs généraux
qui savent de quel côté souffle le vent avec des conseillers
juridiques pour les seconder ? On ne le sait pas. Et ils ne
publient effectivement pas ouvertement leurs décisions, accompagnées
de leur signature. Dans 50 ans, les archives de l’Etat ouvriront
les documents officiels d’aujourd’hui, et alors on saura.
Ce
qui importe aujourd’hui, c’est qu’une seule et même ligne
continue relie diverses décisions similaires délivrées séparément
comme si elles n’avaient pas de lien entre elles. On attend
simplement le moment propice pour les étendre, les rendre plus
dures, pour inclure d’autres catégories de personnes expulsées,
et tout cela sans rencontrer la moindre résistance : ni de
la part d’organisations ou de personnalités politiques israéliennes
qui parlent pompeusement de paix, ni de la part des pays
occidentaux tout justes capables de venir avec des demandes à
l’adresse des gouvernements palestiniens mais qui déclarent ne
pouvoir se mêler des décisions souveraines d’Israël. Les décisions
souveraines d’un Etat occupant.
Si
ces mystérieux décideurs ne se heurtent pas à une forte résistance,
ils continueront de forger de nouvelles directives qui nous feront
tomber toujours plus bas dans la pente de l’expulsion.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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