Ha'aretz
Pas une affaire intérieure
palestinienne
Amira
Hass
Haaretz, 4
octobre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/770255.html
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/770053.html
L’expérience
a réussi : les Palestiniens s’entretuent. Ils font ce
qu’on attendait d’eux à la fin de cette longue expérience,
dont l’intitulé est : que se passe-t-il lorsque l’on
emprisonne 1,3 million de personnes sur un territoire fermé,
comme des poulets dans un poulailler moderne ?
Voici
le protocole expérimental avec ses composants : on
emprisonne (depuis 1991), on coupe les sources normales de revenus
de ceux qui sont emprisonnés, on ferme hermétiquement presque
toutes les ouvertures sur le monde extérieur, on ruine les
sources de revenus existantes en ne permettant pas la mise sur le
marché des produits ni l’entrée des matières premières, on
empêche l’entrée régulière de médicaments et d’équipements
pour hôpitaux, on ne laisse pas entrer d’aliments frais pendant
des semaines et pendant des années, on interdit l’entrée de
membres de la famille, de professionnels, d’amis, et on amène
des milliers de personnes – malades, chefs de famille,
professionnels, enfants – à être retenues, des semaines
durant, derrière les portes fermées de l’unique entrée et
sortie de la Bande de Gaza.
On
pille des centaines de millions de dollars (frais de douane et
taxes prélevées en Israël mais qui appartiennent au Trésor
palestinien), entraînant ainsi pendant des mois la retenue du
salaire déjà bien pauvre de la plupart des agents publics. On présente
les tirs de roquettes Qassam, de fabrication artisanale, comme une
menace stratégique à laquelle on ne mettra fin qu’en portant
atteinte à des enfants, des femmes et de vieilles gens. On
bombarde des quartiers d’habitation densément peuplés, en
recourant à l’aviation et à l’artillerie. On écrase
vergers, champs et potagers.
On
envoie des avions semer la terreur avec leurs bangs supersoniques.
On détruit la nouvelle centrale électrique et on contraint les
habitants de la Bande de Gaza bouclée, à vivre la plupart du
temps sans électricité depuis quatre mois – et cela devrait
durer, dit-on, un an. Cela signifie un an sans réfrigérateurs,
sans ventilation, sans lumière pour étudier et lire et sans télévision.
On les contraint à se débrouiller sans approvisionnement régulier
en eau, lequel dépend de la fourniture d’électricité.
C’est
une vieille expérience israélienne : « Mettons-les dans une cocotte-minute et voyons ce qui se produira ».
Et c’est une des raisons pour lesquelles il ne s’agit pas
d’une affaire intérieure palestinienne.
La
réussite de l’expérience s’illustre dans l’atmosphère de
désespoir qui règne dans la Bande de Gaza, dans les querelles
qui y éclatent presque chaque jour entre clans, davantage que
dans les combats qui ont opposé hommes armés du Fatah et du
Hamas. On ne peut que s’étonner de voir que les querelles ne
soient pas plus fréquentes et que des liens de solidarité
interne subsistent, sauvant les gens de la famine.
Contrairement
aux querelles entre clans, les combats de dimanche à Gaza et les
campagnes de destruction et d’intimidation, essentiellement dans
les villes de Cisjordanie, n’étaient pas le fruit d’une perte
de contrôle momentanée. Sans doute ces combats sont-ils perçus
comme opposant deux milices qui représentent chacune une moitié
de la population, mais ce sont quelques groupes du Fatah qui en
ont pris l’initiative, pour planter encore quelques clous dans
le cercueil des dirigeants élus.
Les
forces de sécurité de l’Autorité Palestinienne, autrement dit
du Fatah, autrement dit encore celles dont Mahmoud Abbas a la
responsabilité, s’abritent derrière la détresse et la plainte
réelles des agents publics qui vivent sans salaire régulier. Et
cela alors que tout le monde sait que si les salaires ne sont pas
payés, ce n’est pas par un défaut de gestion mais avant tout
du fait d’une politique israélienne. Ces forces sont dépêchées
pour semer une anarchie organisée, comme elles ont appris à le
faire à l’école de Yasser Arafat.
Pourquoi
est-ce aussi l’affaire d’Israël ? Parce que ceux qui
envoient ces hommes armés ont un intérêt commun avec Israël.
Revenir en arrière, à une situation dans laquelle les dirigeants
palestiniens collaborent à une apparence de négociation de paix,
tandis qu’Israël poursuit son occupation et que les pays du
monde versent l’argent du silence sous forme de salaires pour le
secteur public palestinien.
Il
y a une autre raison encore d’y voir une affaire intérieure
israélienne : quel qu’en soit le résultat, les querelles
des Palestiniens et le risque d’une guerre civile concernent
directement 20% environ des citoyens israéliens, les Arabes
d’Israël. Cela les concerne, ainsi que la part du public qui
n’a pas oublié qu’Israël demeurera la puissance
d’occupation et de contrôle sur les Palestiniens tant que ne
sera pas concrétisé l’objectif de la création d’un Etat
palestinien sur tout le territoire occupé en 1967.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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