TLAXCALA
La
stratégie de sortie du conflit des responsables militaires et
politiques israéliens était prête dès le deuxième jour de la
guerre.
Le
différend entre le Premier ministre, la ministre des Affaires étrangères
et le ministre de la Sécurité intérieure a trouvé sa
traduction dans la faiblesse des préparatifs guerriers.
Olmert
est persuadé que c’est sa décision d’élargir l’offensive
terrestre qui a fait pencher la balance du côté israélien au
Conseil de sécurité de l’Onu.
Aluf
Ben et Akiva Eldar
in
Ha’Aretz, 01.10.2006
repris
in Al-Quds al-Arabiyy, 02.10.2006
La
deuxième guerre du Liban diffère des précédents conflits
impliquant Israël en ceci que ce pays jouissait d’un vaste
soutien international, qui lui a permis de prolonger les combats,
sans avoir à redouter que des immixtions politiques viennent
entraver l’action de ses avions et de ses blindés.
Néanmoins,
l’armée israélienne n’est pas parvenue à trancher
militairement le sort de cette guerre, ni à définir une issue
convenable. D’où le besoin d’une intense activité politique,
qui a conduit à l’adoption de la résolution 1701 du Conseil de
sécurité de l’Onu… Toutefois, Israël s’est vu contraint,
dans le cadre de cette campagne politique, d’en rabattre sur la
plupart des objectifs qu’il s’était fixés depuis le début
du conflit, notamment sur le premier d’entre eux : la libération
de deux soldats israéliens, dont la capture par le Hezbollah, le
12 juillet, avait mis le feu aux poudres – le second objectif
non-atteint par Israël étant le désarmement complet du
Hezbollah.
En
lieu et place de ces exigences, Israël a réclamé le déploiement
d’une puissante force internationale, en vue d’aider à
maintenir le calme et d’empêcher un afflux d’armement à
destination du Hezbollah. Ce fut là, en l’occurrence, un virage
stratégique dans la politique israélienne – constante depuis
de longues années – fondée sur deux principes : a)
« Nous nous défendons par nos propres moyens » et b)
« Il faut sauvegarder coûte que coûte la liberté de manœuvre
de l’armée israélienne »…
Ha’Aretz
a procédé à une enquête exhaustive au cours des semaines écoulées,
passant en revue à cette occasion le processus de prise de décisions,
grâce à l’analyse des conversations entre de hauts
responsables du ministère des Affaires étrangères, du cabinet
du Premier ministre et de l’appareil de la défense, ainsi
qu’avec des ambassadeurs étrangers en Israël et divers
diplomates israéliens en poste en Amérique et auprès du siège
de l’Onu. Cette enquête montre qu’un retournement
s’est produit dans la position israélienne, dix jours après le
début du conflit ; c’est en effet à cette période
qu’un accord s’est fait, au niveau de directions politique et
militaire israéliennes, sur la « stratégie de sortie ».
La
décision en a été prise en pleine guerre et elle n’a donc pas
suscité d’intérêt particulier, ni sur le plan politique, ni
sur le plan médiatique. Avant d’y parvenir, une divergence de
vues a persisté entre la ministre des Affaires étrangères, Mme
Tsipi Livni, qui en tenait pour l’arrêt de la guerre dès le
lendemain de son déclenchement, et Olmert, qui préférait donner
[toujours] plus de temps à l’armée.
Olmert
prétend que c’est sa décision controversée d’élargir
l’offensive en passant à la phase terrestre qui aurait fait
pencher la balance du côté israélien au Conseil de sécurité
de l’Onu, conduisant à l’adoption d’une résolution
favorable à Israël [la résolution 1701, ndt].
Mais,
au Conseil de sécurité, on voit les choses bien autrement :
aucun des diplomates étrangers que nous avons interrogés dans le
cadre de la préparation de cet article n’a indiqué avoir vu le
moindre rapport de cause à effet entre la décision d’élargir
l’offensive israélienne, et notamment de passer à la phase de
l’offensive terrestre, et la nature de la résolution finalement
adoptée…
13
juillet 2006 (deuxième jour de la guerre) : le ministère
israélien des Affaires étrangères commence à préciser une
« stratégie de sortie » du conflit
Au
soir du mercredi 13 juillet, le gouvernement israélien a tenu une
réunion spéciale, afin de déterminer la riposte israélienne à
l’enlèvement de deux soldats israéliens et au tir de roquettes
Katiouchas sur le Nord d’Israël [postérieur aux premiers
bombardements israéliens sur le Liban, ce que ne dit pas
Ha’Aretz ! ndt].
L’ambiance
était dramatique, et il était évident pour tous les
participants que la riposte serait puissante et que la patience
devant les provocations du Hezbollah n’était plus de mise,
d’autant qu’elles intervenaient après le kidnapping de Gilad
Shalit et les tirs de roquettes [artisanales, palestiniennes, ndt]
Qassâm sur le Sud d’Israël…
La
ministre des Affaires étrangères, Tsipi Livni, est arrivée au
conseil des ministres extraordinaire après une discussion interne
à son ministère au sujet de l’affaire Shalit et de la crise
dans le Sud [comprendre : dans la bande de Gaza, ndt] –
discussion interne brutalement interrompue lorsque le directeur général
du ministère se vit remettre un document urgent l’informant de
ce qui venait de se produire dans le Nord [à la frontière avec
le Liban, ndt].
« Il
était évident pour tout le monde que nous passions d’une
discussion pragmatique à une discussion stratégique" »
nous explique un des participants à cette discussion, ajoutant
que l’hystérie médiatique entretenue autour de la restitution
de Shalit aurait (de son point de vue) suscité la « jalousie »
de Nasrallah, ce qui l’aurait encouragé à procéder à ses enlèvements
de soldats israéliens dans le Nord…
« Il
vaudrait mieux supprimer l’entrée « Restitution des
kidnappés » de notre dictionnaire : ça n’est pas réaliste… »
a dit Livni aux autres ministres, en leur recommandant de se
focaliser sur la mise en application de la résolution 1559.
Après
la séance, le « groupe des 7 » s’est réuni sous la
présidence d’Olmert afin de valider la destruction du stock de
missiles à longue portée [du Hezbollah]. Livni est ressortie
avec l’impression que l’armée avait besoin [tout au plus]
d’une nuit supplémentaire, ou d’un peu plus de temps
[seulement] pour parachever l’opération, et que l’on serait
fixé sur ce point dans l’après-midi.
Le
lendemain matin, 13 juillet, tandis que cent dix fusées Katioucha
s’abattaient sur le Nord d’Israël et que l’aviation israélienne
pilonnait cent objectifs au Liban, le ministère des Affaires étrangères
commença à comprendre que l’armée était entrée en guerre
sans se fixer un scénario de sortie réaliste, et nous
sommes les premiers à révéler ici qu’il a été décidé dès
ce moment-là de rechercher une issue diplomatique.
Le
directeur général du ministère, Abramovitch, a chargé son
adjoint politique Yossi Gal de diriger une équipe secrète afin
de cristalliser une « stratégie de sortie » de la
crise. Gal a recruté l’adjoint de la ministre, Tal Bakkar, qui
était auparavant expert juridique à la délégation d’Israël
à l’Onu, ainsi que l’avocat Daniel Reizner, spécialiste en
droit international, qui a occupé précédemment un poste éminent
à la section des affaires militaires du ministère, et participé
aux négociations de paix avec les Palestiniens et avec les
Syriens. Appartenaient également à cette équipe Nimrod Barkan,
directeur des études politiques, Jacob Haddas, adjoint au
directeur général chargé du Moyen-Orient et Odeid Yosif, du
cabinet du directeur général du ministère.
C’est
ce même jour que se sont cristallisées les idées fondatrices du
cessez-le-feu finalement obtenu [bien plus tard… ndt].
L’hypothèse de l’ « équipe Gal » était que
l’opération militaire n’aboutirait pas à la libération des
deux soldats israéliens enlevés, ni au désarmement du
Hezbollah, et que l’armée ne réoccuperait pas durablement, à
nouveau, le Liban. La solution qui commençait à se faire jour
consistait en une puissante force internationale, en soutien à
l’armée libanaise, afin de l’aider à écraser le
Hezbollah…
Le
14 juillet, l’équipe proposa à Livni un premier projet
contenant les principes d’une « stratégie de sortie ».
Le dimanche suivant (16 juillet), tandis que les médias
traitaient essentiellement du missile ayant provoqué huit morts
en tombant sur la gare de marchandises d’Haïfa, l’équipe présenta
un projet plus détaillé comportant un premier jet de la résolution
à soumettre au Conseil de sécurité de l’Onu [on en voit
l’origine ! ndt]. Le document comportait notamment
l’affirmation que les opérations militaires pourraient peut-être
entraîner un certain affaiblissement du Hezbollah, mais qu’il
fallait impérativement parvenir à des accords politiques afin de
pérenniser durablement les acquis militaires. Les rédacteurs du
document mettaient en garde contre le fait que si Israël ne
prenait pas l’initiative [politique], cela risquerait
d’amener la communauté internationale à rechercher – et à
obtenir – des accords avec le Liban qui ne prendraient nullement
en compte les préoccupations israéliennes.
Mais
des saboteurs veillèrent à ce que la restitution des deux
soldats enlevés restât le premier point du document, ainsi que
de toutes ses annexes.
Les
autres principes énoncés dans le document étaient les suivants :
1
– Adoption d’une nouvelle résolution « fondatrice »
au Conseil de sécurité, se substituant à la résolution 1559 ;
2
– Déploiement de l’armée libanaise dans le Sud du Liban, en
appui d’une force internationale de rétablissement de la paix
(notons, à ce sujet, dans ce document, une hésitation entre
l’envoi d’une nouvelle force opérant sous mandat
international et le simple renforcement de la Finul déjà présente
au Liban depuis 1978 ; les membres de l’équipe ont procédé
à l’analyse de tous les types de missions internationales de
maintien de la paix, à la recherche d’un modèle applicable au
cas du Liban…) ;
3
– La force internationale jouit de prérogatives exécutoires,
sous l’empire du chapitre 7 de la Charte de l’Onu, et elle est
investie du pouvoir d’ouvrir le feu si cela est exigé par
l’accomplissement de sa mission ;
4
– La région située entre le fleuve Litani et la frontière
israélienne sera une zone non-militarisée ;
5
– Le désarmement du Hezbollah sera réalisé selon un plan mis
au point en concertation avec le réseau des observateurs
internationaux ;
6
– Israël et le Liban mettent sur pied un service conjoint de
coordination politique et sécuritaire ;
7
– La communauté internationale apporte au Liban une assistance
en fonction des avancées dans la mise en application de la résolution
1559 [en particulier en ce qui concerne le désarmement du
Hezbollah] ;
8
– L’Onu impose un blocus sur les armes à destination des
milices et de toutes les forces non-gouvernementales présentes au
Liban.
L’équipe
a proposé qu’Israël œuvre à faire avancer son initiative par
l’intermédiaire de Washington et de Paris, sans que cette
initiative « porte des empreintes digitales israéliennes »,
afin d’éviter l’apparition d’une opposition internationale
contre elle. Mais, auparavant, il avait été demandé aux
responsables du ministère israélien des Affaires étrangères de
« vendre » ce projet, en Israël même, en particulier
au Premier ministre et aux chefs de l’armée…
19
juillet : entre Olmert et Tsipi Livni, la rupture est consommée…
Tsipi
Livni a commencé à sentir qu’il y avait quelque chose qui ne
tournait pas rond, dès le 13 juillet au soir. Durant sa présence
dans les nouveaux studios de la télévision israélienne, elle
avait commencé en effet à entendre parler d’une opération de
longue haleine et de cibles supplémentaires. Sa conviction était
qu’il fallait que l’action politique entre en scène dès le
bombardement réussi [sic] des stocks de missiles à longue portée
du Hezbollah. Mais Olmert avait une vision différente : il
estimait que l’armée avait besoin de quelques journées supplémentaires
afin de détruire plus d’objectifs.
Le
lendemain matin, soit le vendredi 14 juillet, Olmert a convié le
« Conseil des 7 » [conseil des ministres restreint,
dit « de sécurité », ndt] à passer à une nouvelle
phase de l’opération militaire : le bombardement des
banlieues Sud de Beyrouth, notamment des bureaux des dirigeants du
Hezbollah et du domicile privé d’Hassan Nasrallah. On dit alors
aux participants à cette réunion que cette opération entraînerait
des tirs de roquettes sur Haïfa. Livni et le ministre de la Sécurité
intérieure Avi Dichter s’y sont opposés, mais l’opération
reçut néanmoins l’aval de la majorité, et la guerre fut par
conséquent élargie.
Le
dimanche 16 juillet, Livni a rencontré Olmert, et elle lui a
exposé l’idée de l’ « issue politique »,
mise au point par son équipe. Olmert ne fut pas emballé. Il
voulait donner plus de temps à l’armée. C’est à ce moment-là
qu’apparut la rupture entre Olmert et sa chargée d’affaires
– cette rupture qui ne s’est toujours pas refermée. Livni
comprit qu’elle n’avait pas la majorité et que la guerre bénéficiait
d’un énorme soutien tant politique que populaire. Elle décida
de décliner toutes les demandes d’interviews et elle réduisit
considérablement ses apparitions publiques, tout en poursuivant
ses efforts auprès d’Olmert afin de le convaincre de se rallier
à l’opération politique.
Ce
même soir, Odi Segal apprend aux infos de la 2ème chaîne
israélienne que le ministère des Affaires étrangères étudiait
la possibilité de déploiement d’une force internationale au
Liban. L’idée qu’Israël puisse s’appuyer sur une telle
force était alors considérée comme hautement improbable. La réplique
d’Olmert ne se fit pas attendre : le mardi 18 juillet, il a
rencontré un groupe de responsables du ministère des Affaires étrangères
désireux d’être nommés à des postes diplomatiques [hors
administration centrale]. Ceux-ci ayant mentionné l’hypothèse
d’une force internationale, Olmert répondit qu’il
s’agissait certes là d’un titre excellent, pour les journaux,
mais que notre expérience montrait que cette idée était une idée
sans contenu réel, la force internationale d’interposition
existant déjà au Liban, mais n’y faisant strictement rien…
Mais
Livni tint bon sur ses positions et poursuivit ses tentatives, et
elle persévéra à chercher à rencontrer Olmert, qui la fuyait
en invoquant les prétextes les plus divers… Le cabinet du
Premier ministre demanda à l’appareil de la défense de préparer
une doctrine sur la force internationale. Amos Gilaad participa
aux discussions sur l’appareil de défense et exprima son point
de vue selon lequel le fait d’éloigner le Hezbollah du Sud
Liban et d’introduire une force internationale effective représentaient
une excellente issue de la guerre. Quand, au cours d’une des
premières discussions, avait été évoqué le risque que cela crée
un précédent qui finirait peut-être par devoir être extrapolé
aux territoires [palestiniens occupés], Amos Gilaad répliqua
qu’il n’y avait « rien de tel à redouter ».
En
ces journées, le sentiment était, à Tel Aviv, que le monde était
du côté des Israéliens et qu’il s’agissait-là d’une
première dans l’histoire des guerres d’Israël… Le 16
juillet, le sommet du G8, réuni à Saint-Pétersbourg, décida de
faire siens les buts de guerre d’Israël, et il demanda avec
insistance que les deux soldats israéliens capturés soient relâchés
sans délai et que soit appliquée la résolution 1559. Les
dirigeants des pays du G8 prônèrent le déploiement de l’armée
libanaise dans le Sud et décidèrent d’étudier entre eux
l’envoi d’une force multinationale dans la région.
Quant
à la responsabilité de la crise, elle fut rejetée sur… le
Hezbollah [ !…] Parallèlement à cela, l’armée israélienne
commença elle aussi à prendre en compte l’idée de l’envoi
d’une force internationale, considérant que cela représentait
une base excellente en vue de nouvelles dispositions sécuritaires
au Liban. L’adjoint au chef de l’état major, le commandant
Moshé Kaplinsky, faisait partie des premiers partisans de cette
intervention étrangère. L’armée israélienne estimait qu’il
faudrait envoyer 8 000 hommes au Liban ; de même, on tâta
le pouls de l’Otan, afin de savoir à quel point cette organisation était prête à envoyer une
telle force. Cette idée [d’une force d’interposition de l’Otan,
ndt] fut rejetée, en raison de « l’opposition de la
France, désireuse de diriger elle-même ces forces
internationales ».
Le
dimanche 23 juillet, tandis que l’armée israélienne élargissait
ses incursions terrestres, et après la chute de 200 roquettes sur
le Nord d’Israël au cours du week-end, Olmert a rencontré
Livni, et il l’a informée qu’il avait décidé d’adopter le
plan d’intervention internationale. Le document du ministère
des Affaires étrangères intitulé « Changer les règles du
jeu, au Liban » fut adopté comme fondement de la position
israélienne. Mais l’accord d’Olmert ne mettait nullement un
terme au fossé qui s’était creusé entre lui et Livni, et il
n’a pas résolu leur divergence fondamentale autour de la
question du moment propice pour mettre fin à la guerre. Olmert,
ainsi que l’armée, désiraient disposer d’un délai supplémentaire.
Livni, pensait, quant à elle, que la prolongation des combats ne
servait absolument à rien. Depuis cette date, et jusqu’à la
fin de la guerre, c’est une équipe de ministres, placée sous
la direction de Torpovitch, et avec la participation du conseiller
politique Torjman, du cabinet du Premier ministre, qui supervisera
la communication politique : elle comportait notamment le
chef du conseil de la sécurité nationale, Ilan Mizrahi, le
directeur général du ministère des Affaires étrangères
Abramovitch, ainsi qu’Amos Gilaad.
La
décision prise le 22 juillet ne l’avait pas été indépendamment
des développements internationaux : Rice était en effet en
train de voler vers la région afin de finaliser un cessez-le-feu
et un nouveau règlement politique au Liban.
29
– 30 juillet : des Fermes de Shebaa à Kafr Qana :
Dick
Johns, ambassadeur des Etats-Unis en Israël, avait représenté
son pays à Beyrouth à l’époque de l’opération « Raisins
de la Colère », ce qui lui avait permis de prendre
connaissance des arcanes de la politique communautaire au Liban,
et notamment des manœuvres de Nasrallah, ainsi que de la
dynamique des bombardements israéliens, causant des milliers de
personnes déplacées. Deux jours après le déclenchement de la
guerre, il rédigea des principes en vue du règlement de la
crise, pouvant servir de base à une résolution de l’Onu, et
comportant, notamment, l’envoi d’une force internationale.
Mais, les premiers jours, Washington se focalisa sur le sauvetage
du gouvernement Siniora. Washington voulait aussi permettre à
Israël de détruire si possible le Hezbollah et ses alliés, sans
porter atteinte à l’infrastructure civile libanaise, tant il était
conscient des effets dévastateur qu’aurait sa destruction, même
partielle, sur le gouvernement Siniora. De son côté, Siniora
convainquit Rice que le plus grand succès qu’il pouvait
enregistrer serait l’évacuation des Fermes de Shebaa [occupées
par Israël], situées aux pieds du Mont Hermon. Il proposa donc
qu’Israël se retire de cette région et qu’il la remette aux
forces de l’Onu dans l’attente que son statut juridique [= sa
nationalité] soit établi. Siniora dit à Rice qu’il priverait,
de cette manière, le Hezbollah de l’un de ses principaux prétextes
de son activité militaire, ce qui ne pourrait que faciliter sa
transformation en organisation politique non-armée.
Cette
proposition emballa Rice, qui tenta de la vendre à Olmert, lequel
la rejeta, au motif que cela aurait représenté un dangereux précédent
dès lors qu’une telle initiative serait intervenue après
l’agression du Hezbollah contre la souveraineté israélienne.
Rice comprit immédiatement qu’elle devrait retourner bredouille
auprès de Siniora…
Le
différend autour des Fermes de Shebaa n’a pas entravé un progrès
indéniable dans la mise au point d’un projet d’accords
mutuels mis au point par Rice en fonction des positions
respectives du Liban et d’Israël. Mais, au plus fort de ces échanges
de vues, se produisit la catastrophe : le bombardement de
Kafr Qana…
Les
Libanais prièrent Rice de ne pas revenir à Beyrouth, et c’est
ainsi qu’a achoppé son plan en vue d’un cessez-le-feu.
Aujourd’hui, Olmert affirme que la catastrophe [comprendre :
le massacre] de Kafr Qana a repoussé la fin de la guerre d’au
moins dix jours.
30
juillet : les Français prennent la direction des opérations…
L’effondrement
du projet de cessez-le-feu américain eut pour effet de mettre le
projet français de résolution à faire adopter par le Conseil de
sécurité en exergue de l’ordre du jour du moment. Israël n’était
pas enthousiasmé par le projet français initial, qui prévoyait
l’arrêt des tirs, un échange de prisonniers et la remise des
Fermes de Shebaa à une tutelle internationale. A Jérusalem, la
conviction prévalait que les Français se faisaient les
porte-parole de la position libanaise, face à une position israélienne
soutenue par les EEtats-Unis Washington et Paris jouissaient alors
d’un même pouvoir de paralysie mutuelle. Chacun des deux
partenaires [ou plutôt : chacun des deux protagonistes] était
en mesure de mettre sur la table une proposition à soumettre aux
voix, tout en sachant pertinemment que sa contrepartie éprouverait
une difficulté certaine à lui opposer son veto, même s’il
n’était pas d’accord sur tous ses points, dans le détail…
Sur
ces entrefaites se déroulaient des pourparlers entre l’équipe
de Torpovitch et trois responsables états-uniens : le
directeur du service Moyen-Orient du ministère des Affaires étrangères,
David Welsh ; l’éminent juriste Jonathan Schwartz et
l’ambassadeur Johns. Contrairement à la position française,
Israël insistait sur la nécessité de citer nommément le
Hezbollah dans la résolution de l’Onu en tant que responsable
de la crise, afin de donner du poids à l’exigence que ce
mouvement soit désarmé.
Au
début, les Français ont tenté d’équilibrer la formulation de
la résolution au moyen de critiques à l’adresse des réactions
israéliennes démesurées, mais cette expression disparut,
finalement, du projet de résolution définitif.
On
assista alors en Israël à une discussion acharnée autour de la
question des prérogatives de la force internationale :
celle-ci serait-elle placée sous l’égide du chapitre 7 ou sous
celle du chapitre 6 [de la Charte de l’Onu] ? Dans l’armée,
les avis sur ce point étaient tout aussi partagés ;
d’aucuns voulaient une force « avec des dents [pour
mordre] », tandis que d’autres redoutaient que cela
n’entrave l’armée israélienne dans le cadre de sa riposte au
terrorisme en provenance du Liban… De même, le Liban s’opposa
à l’envoi d’une force internationale sous l’empire du
chapitre 7, préférant apparaître comme celui qui aurait invité
l’Onu à envoyer une force multinationale sur son territoire
afin d’y renforcer les forces armées [régulières] s’y
trouvant déjà [la Finul et l’armée libanaise, ndt]. La
solution médiane arrangeant tout le monde fut trouvée : on
utilisa les formulations du chapitre 7 sans le mentionner de manière
explicite…
Les
tractations autour du projet de résolution se poursuivirent
encore toute une semaine et ce, pendant que les responsables israéliens
hésitaient à faire pénétrer trois régiments au Liban afin de
« nettoyer » [sic] la région située au Sud du fleuve
Litani et de l’ « épurer » [re-sic], dans le
cadre des efforts entrepris afin de faire cesser les tirs de
roquettes Katioucha sur le Nord d’Israël. Amir Péretz poussa
à cette opération, tandis qu’Olmert était plus hésitant.
Mais il finit par donner son feu vert, le mercredi 9 août, tout
en demandant à ce que cette offensive soit ajournée, afin de
donner une chance supplémentaire aux démarches politiques.
La
journée décisive du 12 août
A
son réveil, au matin du 12 août, Livni a appris que le projet
amendé par le Conseil de sécurité était en retrait sur les
termes des accords auxquels elle était parvenue avec Welsh la
veille au soir. La conclusion qu’on en tira, en Israël, fut
qu’elle ne pouvait accepter la nouvelle mouture. Olmert a confié
que c’est ce matin-là qu’il a pris la décision d’élargir
les opérations militaires afin de faire pression pour obtenir une
amélioration de la résolution en voie de finalisation à l’Onu.
Aujourd’hui, Olmert se répand, disant qu’il n’a jamais douté
un seul instant que l’extension de l’incursion terrestre a été
l’élément qui a fait pencher le plateau de la balance en
faveur d’Israël au Conseil de sécurité, étant donné que
cette incursion a poussé les Etats-Unis à user de toute leur
influence afin que la résolution correspondît en tous points aux
desiderata d’Israël.
Les
Français comprirent alors qu’ils ne disposaient plus d’aucune
marge de manœuvre. Les paragraphes de la résolution furent donc
modifiés de manière à ce qu’Israël soit en mesure de prétendre
avoir atteint tous ses objectifs : renforcement de la Finul ;
surveillance des ports et de la frontière terrestre
libano-syrienne ; retrait de l’armée israélienne du Liban
en contrepartie du déploiement conjoint de l’armée libanaise
et de la force internationale…
Le
vendredi 13 août, à neuf heures du soir, la formulation définitive
était au point. Elle fut alors soumise au vote du Conseil de sécurité,
le lendemain, à trois heures du matin.
Et c’est ainsi que la Résolution 1701 du Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations unies fut adoptée,
à l’unanimité…
Traduit
de l’arabe par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau
de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction,
à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner
sources et auteurs.
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