Opinion
Alors qu'Israël assassine et
mutile, la presse s'offusque des propos prétendument
« indignes » d'Helen Thomas
Alison Weir
Helen Thomas
Samedi 3 juillet 2010
Chaque fois qu’Israël commet de nouvelles atrocités, les médias
détournent aussitôt l’attention de l’opinion publique du lieu du
crime.
La presse fait en ce moment
de gros titres sur les propos prétendument « antisémites » de
Mme Helen Thomas, la doyenne des correspondants de presse de la
Maison-Blanche. Tout au travers des États-Unis, les experts
clament leur indignation suite à sa déclaration impromptue de 25
secondes à un homme qui lui a braqué une caméra en pleine
figure.
Helen Thomas a présenté des
excuses
publiques pour ses paroles, mais cela n’a pas suffi à apaiser
l’indignation de ses puissants ennemis et elle a dû prendre sa
retraite, après une longue et brillante carrière.
Avant d’examiner ses propos
et leur éventuelle pertinence, jetons un regard sur d’autres
évènements récents concernant Israël.
Le 31 mai, des commandos
israéliens ont tué au moins neuf militants humanitaires non
armés qui tentaient d’apporter de l’aide à Gaza.
Selon les
témoins oculaires et des preuves médico-légales, la plupart
de ces militants humanitaires ont été tués à bout portant. Parmi
eux un
jeune citoyen américain de 19 ans, tué de quatre balles dans
la tête et une dans la poitrine, tirées à une distance de 45
centimètres.
Israël a immédiatement emprisonné les
témoins directs et les centaines
d’autres passagers, leur a confisqué caméras, ordinateurs
portables, et autres effets personnels, et les a empêchés de
parler à la presse durant plusieurs jours. Parmi les personnes
incarcérées, il y avait des
vétérans américains décorés, et un
ancien ambassadeur de 80 ans qui avait été, sous
l’administration Reagan, directeur adjoint de la Task Force pour
la Lutte contre le Terrorisme.
Quand finalement ils ont été
relâchés et qu’ils ont pu raconter ce qui leur était arrivé,
beaucoup ont décrit les scènes d’horreur des commandos
israéliens visant de leur tirs les humanitaires en pleine tête,
de blessés au ventre, de gens en train de saigner à mort, alors
même que les humanitaires agitaient des drapeaux blanc et
appelaient à l’aide.
Les passagers - y compris
ceux qui se trouvaient à bord des navires où, de l’avis des
médias US, il n’y eut « aucune violence » - ont également dit
avoir été battus brutalement, à maintes reprises, par les forces
israéliennes.
Paul Larudee,
un accordeur de pianos de 64 ans originaire de Californie, a
décrit comment des centaines de commandos israéliens avaient
pris d’assaut son navire. Comme il refusait de coopérer avec
eux, les soldats l’ont roué de coups, d’abord sur le navire,
puis à terre, après qu’il ait été jeté en prison. Finalement, il
a été transporté par ambulance vers un hôpital israélien. Mais
il a été laissé sans soin ce qui fait dire à Paul Larudee qu’il
y a été transféré uniquement parce qu’Israël ne voulait pas que
la presse le voie avec son œil tuméfié, ses articulations
déboîtées, ses mâchoires meurtries et son corps couvert
d’ecchymoses.
Le vétéran des Marines,
Ken O’Keefe [1],
a parlé des mêmes violences pendant sa détention par les
Israéliens. Dans son cas, le public a pu voir son visage
ensanglanté, meurtri, dans des clips vidéo et sur des photos,
mais seulement sur Internet car les grands médias étas-uniens
n’ont pas couvert sa conférence de presse et se sont gardés de
publier les photos de ses blessures.
D’autres photos tout aussi
affreuses, à la disposition du public états-unien montraient
Emily Henochowicz, une étudiante américaine de 21 ans dont
l’œil venait d’être crevé par les forces israéliennes. On lui a
depuis retiré le globe oculaire et posé trois plaques
métalliques sur le visage ; sa mâchoire est fermée par un fil.
Henochowicz, n’était pas sur
la flottille ; elle participait à une manifestation non violente
contre l’assaut israélien quand un soldat israélien lui a lancé
une grenade lacrymogène en pleine figure.
Un citoyen suédois, qui était avec Henochowicz, témoigne :
« Ils ont bien vu que nous étions des
internationaux et ils nous regardaient vraiment comme s’ils
cherchaient à nous viser. Ils ont tiré sur nous, à un rythme
accéléré, plusieurs grenades lacrymogènes. Deux grenades sont
tombés de chaque côté d’Emily, et une troisième l’a frappée en
pleine figure ».
Henochowicz n’est pas la
première personne à avoir été frappée par de telles grenades
lacrymogènes.
Un Palestinien âgé de trente ans,
Basem Ibrahim Abu Rahmeh, a été tué par un soldat israélien
qui lui a lancé à bout portant une de ces grenades alors qu’il
participait à une manifestation contre la confiscation de terres
agricoles palestiniennes par les Israéliens. Une
vidéo des faits est disponible sur You Tube ; les médias
états-uniens ont également fait le choix de ne pas diffuser
cette information.
Un Californien,
Tristan Anderson, a été touché à la tête par une grenade
similaire alors qu’il prenait des photos dans une autre
manifestation. Une partie du cerveau d’Anderson a dû lui être
enlevée, et il est resté « quasi inconscient » pendant 6 à 7
mois. Il est maintenant dans un fauteuil roulant ; il ne peut
presque pas bouger son bras et sa jambe gauche, il est aveugle
d’un œil, et ses fonctions mentales sont très altérées. Des
photos de l’agression dont il a été victime sont également
disponibles sur Internet.
Depuis 2006, les forces
israéliennes ont coupé la bande de Gaza du reste du monde,
emprisonnant ainsi un million et demi d’hommes, de femmes et
d’enfants, en les privant de denrées alimentaires, de
médicaments, de matériaux de construction, comme l’ont indiqué
des organisations telles qu’
Amnesty International,
Oxfam, et
Christian Aid, qui ont déclaré qu’Israël
utilise la nourriture et les médicaments comme une arme.
L’une des innombrables
victimes de ce siège illégal est
Taysir Al Burai, 5 ans. Taysir souffre d’un trouble
neurologique aigu et a besoin de soins 24 h sur 24. Selon
The Guardian de Londres, il pourrait guérir
si Israël lui permettait de sortir de Gaza mais, à ce jour, les
demandes répétées de ses parents ont toutes été refusées.
Une autre victime est
Mohammad Khader, 7 mois, dont l’œdème au cerveau nécessitait
un traitement spécialisé impossible à donner dans les hôpitaux
de Gaza démunis par le siège israélien. Les demandes de ses
parents, complètement désemparés, pour l’obtention d’une
autorisation de se rendre à l’étranger, ont également toutes été
refusées. Leur petit enfant est mort, il y a quelques jours.
De tels récits, il y en en a
beaucoup d’autres…
La
déclaration prétendument « indigne » d’Helen Thomas
Pourtant, la rage qui se
déverse dans les médias états-uniens n’est pas dirigée contre ce
qui vient d’être dit. On assassine des êtres humains d’une balle
dans la tête, on leur massacre les yeux et une partie de leurs
fonctions cérébrales, on frappe des personnes âgées, on provoque
la souffrance et la mort de petits enfants et de nourrissons, on
jette au désespoir leurs parents, mais rien de tout cela ne
suscite la moindre colère. En réalité, tout cela est considéré
comme trop insignifiant pour mériter d’être signalé.
Par contre, les médias
étalent leur indignation au sujet des propos « anti-israéliens »
tenus par la vieille dame de 89 ans, Helen Thomas.
Au cours de la vie d’Helen
Thomas,
Israël a procédé au nettoyage ethnique de plus d’un million
de personnes, il les a remplacées par des colons venus du monde
entier, il a perpétré des dizaines de massacres, torturé des
milliers de personnes, tué et mutilé un nombre incalculable
d’enfants, estropié des gens, commis des outrages sur des
femmes, des personnes âgées, des déficients et des infirmes.
Il a assassiné des gens dans
le monde entier, envahi de nombreux pays, espionné les
États-Unis, tué et blessé 200 militaires états-uniens, et
emprisonné et torturé des
États-Uniens. Tout cela alors qu’il a reçu plus
d’argent des États-Unis qu’aucun autre pays dans le monde.
Pendant des années, bien
avant de tenir ses propos, Helen Thomas a été la cible de ces
haineux partisans états-uniens d’Israël ; la blogosphère
sioniste regorge de
calomnies nauséabondes à propos de son « look » ;
et son ascendance libanaise est régulièrement soulignée par les
médias, bien qu’elle soit née et qu’elle ait été élevée dans le
Kentucky.
Une des raisons de cette
animosité féroce à son égard est le fait qu’Helen Thomas est
l’une des rares journalistes de la grande presse à contester les
mensonges répandus par les néocons ; mensonges qui ont entraîné
les États-Unis dans des guerres, semé massivement la mort, la
destruction et la tragédie, et qui continuent à alimenter des
politiques de violence et de cruauté.
Alors que ces mêmes groupes
et individus qui avaient
poussé les États-Unis à attaquer l’Irak ont, ces dernières
années, multiplié leurs
efforts pour qu’ils détruisent de la même manière les
Iraniens au prétexte que l’Iran pourrait développer l’arme
nucléaire, les questions qu’Helen Thomas posait à Obama visaient
à obtenir qu’il reconnaisse qu’Israël possédait déjà l’arme
nucléaire. Alors que le reste de la presse conspirait pour
ignorer ce fait, et bien d’autres, Helen Thomas s’attachait à le
souligner.
Sans surprise, ce sont les
nombreuses personnes complices de ces manipulations, comme
l’ancien porte-parole de Bush,
Ari Fleisher, qui ont
mené la charge contre elle.
Il convient de regarder la
vidéo et le contexte dans lequel Thomas a tenu ses propos
prétendument « antisémites ».
Un homme, tenant visiblement
sa caméra droit sur son visage, lui demande de prononcer
quelques mots sur Israël. Elle dit, « Dites-leur
[aux juifs israéliens] de foutre le camp de la
Palestine. Rappelez-vous, ce peuple est occupé. Et c’est sa
terre... ». Ici, il l’interrompt et lui demande où ils
devraient aller. Helen Thomas répond : « Qu’ils
rentrent chez eux, en Allemagne, en Pologne, en Amérique, et
partout ailleurs ».
Bien que Thomas ait présenté
depuis ses excuses, et partant de l’idée que beaucoup
d’Israéliens ont le droit de vivre là où ils sont, il n’en
demeure pas moins que les colons israéliens, viennent
effectivement d’ailleurs. En réalité, ils occupent illégalement
la terre palestinienne - un fait reconnu même par le département
d’État des États-Unis - et le droit international exige qu’ils
partent.
Comme si Hitler était
toujours au pouvoir et prêt à bondir, de nombreux commentateurs
ont exprimé tout particulièrement leur colère parce qu’Helen
Thomas a inclus l’Allemagne et la Pologne parmi les endroits où
les colons israéliens devraient retourner.
Pourtant, le fait heureux est
que la Deuxième Guerre mondiale et l’holocauste nazi ont pris
fin il y a plus d’un demi-siècle. Dans la
Pologne d’aujourd’hui, il y a un renouveau juif dynamique
avec une Menorah haute de dix pieds éclairée dans le centre de
Varsovie durant la fête de Hanoukah, et l’Allemagne
est devenue, selon le New York Times, « un
pays où les juifs veulent vivre ». En réalité, ces dernières
années,
les juifs ont préféré immigrer en Allemagne plutôt qu’en Israël.
Quant à l’appel d’Helen
Thomas à ce que les colons retournent aux États-Unis (cette
destination a été omise dans bien des articles), il est loin
d’être scandaleux étant donné que de nombreux colons de
Cisjordanie viennent effectivement des États-Unis.
Dans l’ensemble, la
couverture de l’incident s’est largement écartée de la pratique
journalistique normale qui veut que, dans un différend, l’on
cite également les deux côtés. En effet, ceux qui soutiennent
Helen Thomas sont complètement ignorés, même si la page de You
Tube montrant la vidéo infâme contient de nombreux commentaires
qui lui apportent un soutien. En revanche, les détracteurs
d’Helen Thomas - presque tous des sionistes - sont omniprésents
et se gardent en général de révéler les conflits d’intérêts,
fréquents chez ceux qui se sont exprimés.
Par exemple,
Howard Kurtz du Washington Post, cite
Jeffrey Goldberg, sans mentionner que Goldberg est un
citoyen israélien qui a servi comme geôlier dans une prison
israélienne qui a maintenu en détention, sans inculpation, des
centaines de Palestiniens, dont certains ont été tués de
sang-froid par le commandant de la prison.
Les grands groupes de presse
ne semblent pas non plus avoir enquêté sur les
rapports révélant que l’homme qui a pris Helen Thomas en
vidéo, le rabbin David Nesenoff, a fait une autre vidéo, très
offensante, qui le montre lui en compagnie d’un autre homme
personnifiant un prêtre catholique bouffon, avec des immigrants
mexicains.
De même, des bulletins
d’informations qui nous apprennent qu’un lycée a annulé son
invitation à Helen Thomas en qualité de conférencière pour une
cérémonie de remise de diplômes, ont omis de dire à leurs
lecteurs que de nombreux parents d’élèves de ce lycée, et de
nombreux lycéens, avaient exprimé le souhait qu’Helen Thomas
vienne donner sa conférence ; alors même que ce groupe passé
sous silence représentait une majorité dans l’école. Les gens de
ce groupe ont créé une page Facebook, « Helen
Thomas aurait dû être notre conférencière » dans laquelle
ils notent :
« Le but de
notre groupe est de protester, sereinement mais fermement,
contre le fait qu’une petite minorité ait eu le pouvoir
d’imposer sa volonté à un groupe plus large en se lançant, ou en
menaçant de se lancer, dans un discours perturbateur. Notre
groupe affirme sa croyance dans un débat raisonnable et son
sentiment que, ici, une nette minorité a pu l’emporter sur une
grande majorité en dénaturant les questions et le débat. »
Le remplaçant d’Helen Thomas
à la prochaine cérémonie de remise de diplômes sera
Bob Schiefer, de CBS, qui a des
liens familiaux étroits avec George W. Bush, et qui a
rarement – voire jamais – contesté les mensonges d’une
administration qui a précipité la nation dans la guerre et qui
l’y maintient encore.
En ce qui concerne ses
articles sur la question israélo-palestinienne, l’observatoire
des médias Fairness and Accurate In Reporting
(FAIR) a publié une
alerte en 2006 contestant "la couverture
superficielle et dédaigneuse d’événements complexes et tragiques"
fournie par Schiefer.
On ne sait pas qui prendra le
siège du premier rang qui était celui d’Helen Thomas lors des
briefings de la Maison-Blanche. Vu l’état actuel de la presse,
il est probable que les partisans d’Israël poussent en ce moment
un ouf de soulagement.
Alison
Weir
israel-palestinenews.org
Le 9 juin 2010.
Alison Weir est directrice de "Si les
Américains savaient" (If Americans Knew). (http://ifamericansknew.org)
Traduit de l’anglais par JPH.
Texte original en anglais (09.06.2010) :
http://www.israel-palestinenews.org/2010/06/as-israel-kills-and-maims-outrage-is.html
[1]
Dans les vidéos (en anglais) présentées sous le lien
http://www.gilad.co.uk/writings/kenneth-okeefe-says-it-all-must-see-video.html
on peut voir une présentatrice de la BBC justifier à sa façon la
version israélienne officielle de l’opération meurtrière contre
la flottille. Elle veut sans aucun doute se faire l’avocat du
diable, mais elle n’y parvient pas : réplique après réplique,
Ken O’Keefe lui enseigne - et nous enseigne - ce que sont la
bonté et l’humanité.
Le
sommaire de Silvia Cattori
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