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Chroniques de la Palestine occupée

La métamorphose d'un humain en vermine
Aline de Diéguez


Photo CPI

Jeudi 29 octobre 2009

"Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé en une véritable vermine."
Franz KAFKA, La Métamorphose

Lorsque mes yeux se furent accoutumés à pénombre, j'eus un hoquet d'horreur. Je vis la masse répugnante d'une bête monstrueuse occuper l'espace. Pendant que certaines de ses innombrables petites pattes s'affairaient à grappiller voracement une pitance gluante et malodorante happée goulûment par une gueule large comme un four, de nombreuses autres petites pattes "pitoyablement grêles" grattaient le sol, donnant l'impression de chercher à mouvoir une panse gélatineuse collée au sol .

C'était donc ça, un collaborateur, traître à sa cause, traître à ses frères, traître à sa propre dignité, un être superficiellement affairé et dévoué, mais en réalité fuyant et avide, un glouton jamais repu . Il faut négocier, négocier et avancer patiemment dans les négociations, chante-t-il à tue-tête entre deux bouchées, sur l'air des trompettes d'Aïda dans l'opéra de Verdi , tout en prenant bien soin de faire du sur-place.

La métamorphose du résistant en collaborateur se fait en un éclair: on se jette dans la félonie comme on se jette dans le vide au saut à l'élastique. "Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé en une véritable vermine" nous apprend Kafka dans La Métamorphose.

C'est ainsi que des combattants autrefois courageux comme Mohammed Dahlan - ancien compagnon de Yasser Arafat - ou Mahmoud Abbas - quoique ce dernier n'ait jamais été un résistant de terrain - se réveillent, un matin, avec "un dos dur comme une cuirasse" très utile pour empêcher les scrupules d'atteindre leur conscience. Je ne parle pas de Salam Fayyad, l'actuel Premier Ministre nommé par Abbas. Comme ancien fonctionnaire du FMI, il n'est qu'un bureaucrate en service commandé, imposé à ce poste par les Américains.

Tout le monde connaît l'histoire du juif, persécuteur acharné des premiers chrétiens que fut Saul de Tarse et devenu Saint Paul. Un jour, brusquement alors qu'il se rendait à Damas, foudroyé par une révélation subite, il est devenu un apôtre fervent du nouvel Évangile. La traîtrise et la lâcheté ne sont pas génétiques et d'anciens héros peuvent, comme saint Paul , être le siège, un beau matin, d'une conversion, une conversion à rebours pour Grégoire Samsa, Mahmoud Abbas ou Mohammed Dahlan, la métamorphose d'un être humain en une bestiole qui se demanderait: "Quel métier suis-je allé choisir? ", alors qu'il est si facile d'ouvrir toute grande une gueule armée de dents voraces et de mains crochues.

A l' instant où il se pose cette question, la conversion du résistant en vermine est consommée. L'humain est anéanti. La vermine est née. La bête peut alors s'épanouir et donner toute la mesure de ses capacités de nuisance.

Le plus étonnant dans le changement d'état, c'est qu'une fois devenue vermine, c'est avec des yeux de vermine que la vermine voit le monde et juge ses anciens compagnons d'arme.

C'est avec des mâchoires de vermine "très robustes" que la vermine essaie de tourner la clé qui lui ouvrira les portes de sa nouvelle vie. Loin d'être effondrée ou accablée par son nouvel état, la vermine s'adapte avec une aisance admirable à ses nouvelles fonctions et à sa nouvelle apparence : "Je me suis passée de serrurier, se dit-elle avec un soupir de soulagement". Le chemin de la trahison est une douce pente descendante dans laquelle il suffit à la bête de se laisser glisser.

L'état de vermine devient donc instantanément la norme et la vermine n'a plus que des problèmes, des soucis et des objectifs de vermine, à savoir, comment maîtriser des petites pattes nombreuses, mais grêles et toujours en mouvement, un dos dur comme une carapace, un gros postérieur difficile à traîner et qui a du mal à passer inaperçu. Impossible de franchir discrètement les portes et de se glisser incognito d'un endroit à un autre. D'ailleurs, elle ne se cache nullement et se laisse complaisamment photographier en compagnie de ses nouveaux maîtres. L'état de vermine est devenu une seconde nature, sa nouvelle vraie nature.

Mais des bouffées de mauvaise conscience la hantent néanmoins par instants. C'est pourquoi la ruse et l'hypocrisie deviennent les piliers de la stratégie officielle de la vermine. Négocier, négocier et encore négocier clame-t-elle à tout instant, tout en connaissant la totale inutilité. Tel est son credo officiel , répété ad nauseam. Ne pas se décourager, telle est sa justification officielle. Négocier pendant dix ans, pendant vingt ans, pendant mille ans s'il le faut. Faire semblant de ne pas voir que pendant ce temps, l'occupant aura avalé toute la Cisjordanie et qu'il n'y aura plus rien à négocier. Accepter la farce de discuter d'"accords de principe", de "projets de paix", "d'étape transitoire", accepter de d'évoquer l'éventualité, la possibilité, la probabilité, la virtualité, la potentialité, d'un "Etat provisoire", d'une "situation temporaire", d'une "fenêtre d'opportunité" .

Les ressources de l'imagination sémantique de l'occupant sont inépuisables et la bête collaboratrice se prête complaisamment à cette comédie en serrant obséquieusement dans ses bras maigrichons, les uns après les autres, les maîtres successifs de l'occupation.

Brasser l'air ou faire des ronds dans l'eau tout en faisant semblant de croire que les négociations peuvent aboutir un jour, qu'Israël abandonnera volontairement ne serait-ce qu'un mètre carré des territoires conquis, telle est l'illusion qu'affichent les collaborateurs. Pendant ce temps, l'occupant par la bouche d'un de ses ministres les plus influents - Lieberman - proclame tranquillement qu'il "refuse tout accord global avec les Palestiniens ". "C'est la réalité", insiste-t-il.

En effet, c'est la réalité et il n'est pas le premier à proférer cette affirmation catégorique que les vermines et leurs soutiens occidentaux feignent de ne pas prendre au sérieux. Or, ceux qui ont des oreilles pour entendre et ne serait-ce qu'un embryon de mémoire, savent qu'il y trente ans déjà, Moshe Dayan, le général borgne, l'homme au bandeau noir sur l'œil, en avait publiquement averti toutes les parties et il avait claironné ironiquement ce fait urbi et orbi, le gravant dans les colonnes de l'International Herald Tribune: "Vous, les Américains, vous pensez que vous nous forcerez à quitter la Cisjordanie. Mais nous sommes là et vous êtes à Washington. Que ferez-vous si nous maintenons nos implantations? Pousser un cri? Que ferez-vous si nous maintenons notre armée là-bas? Envoyer des troupes?"

Et depuis lors, non seulement rien n'a changé, mais tout a empiré et personne ne lève le petit doigt pour exiger réellement un changement.

On voit que telle est bien l'impasse devant laquelle se trouve M. Obama aujourd'hui. Les navettes du "négociateur" Mitchell et la stupéfaction des gouvernants américains devant le refus catégorique des Israéliens de seulement geler - même temporairement - l'extension des colonies et la poursuite du vol des terres palestiniennes, prouvent qu'ils n'ont toujours rien compris à la psychologie des sionistes.

Or, de l'autre côté du mur, de l'autre côté des checkpoints, une nourriture tentante attend la vermine: "Il y avait là un bol de lait sucré où nageaient de petits morceaux de pain blanc". Pas seulement du pain blanc, mais de juteux bénéfices concernant notamment l'attribution d'un second réseau de téléphonie mobile dans lequel l'entourage familial de la vermine en chef possède d'importants intérêts. Tout comme dans les contrats d'association avec des entreprises du bâtiment ou de distribution de cigarettes, dans lesquels s'est spécialisé le deuxième fils d'Abbas, le richissime Yasser, lequel a grassement profité de la "substance collante" que "sécrète le bout de ses pattes" de son collaborateur de père.

Et c'est cette "substance collante" associée au pouvoir corrupteur des colonisateurs sionistes qui a permis à la nomenklatura du Fatah de s'enrichir avec les subventions internationales dépensées sans aucun contrôle aux dépens du peuple palestinien. Et voilà pourquoi la perte du pouvoir à Gaza à la suite d'élections unanimement reconnues dans le monde entier comme non frauduleuses - ce qui constitue un miracle régional - fut si douloureusement ressentie par les apparatchiki du Fatah . Elle explique leur haine pour les Gazaouis ainsi que leur soutien au blocus et au génocide de ce petit territoire.

La jouissance des satisfactions immédiates emporte dans une grande vague les éventuels scrupules, les sentiments de solidarité et les réflexes de loyauté, si de tels sentiments avaient survécu au changement d'état: "Il en aurait presque ri de plaisir tant son appétit avait augmenté depuis le matin."

Les somptueuses limousines allemandes aux vitres teintées, alignées devant l'église de Bethléem durant le congrès de l'OLP tenu avec la bénédiction et sous la protection de l'occupant, les demeures des mille et une nuit, les luxueuses résidences à l'étranger, l'acquisition d'appartements dans de nombreuses capitales européennes et arabes réussissent aisément à étouffer d'éventuels remords ou des bouffées d'honnêteté.

Une vermine se trouve mille et une excuses. Elle "se fourre la tête jusqu'aux yeux dans l'écuelle" et parvient même à se convaincre que son action est bénéfique à sa famille, à sa communauté, à sa nation et qu'elle accomplit une sage opération au service de la résistance.

On sait combien le pouvoir exerce un pouvoir fascinateur sur certains esprits. Ebloui, le collaborateur est entraîné insensiblement, imperceptiblement, insidieusement là où il ne voulait peut-être pas aller en toute lucidité au départ. Comment se comporter dignement quand l'ennui vous harcèle, que la situation semble bloquée et que l'énergie de résister et de combattre vous a quitté ? Comment continuer de résister lorsqu'on vit dans la misère et le danger depuis toujours et qu'on se trouve sollicité, alléché et appâté par des promesses? "Qui sait d'ailleurs si ce n'est pas la bonne affaire", se dit le collaborateur au moment de faire le grand plongeon. Lorsque les héros sont fatigués, ils abandonnent le navire en difficulté et tentent de se sauver tout seuls, ce qui, en l'occurrence, signifie qu'ils se mettent au service de l'ennemi car "il n'y a rien d'aussi abrutissant que de se lever toujours si tôt".

Voilà pourquoi l'ancien videur de boîte de nuit moldave et actuel représentant des forces d'occupation à l'étranger, a pu révéler publiquement que la guerre contre la population Gaza avait été préparée avec l'aide et les conseils de la vermine en chef Mahmoud Abbas et de l'entourage direct de l'Autorité palestinienne - notamment de Mohammed Dahlan - lesquels ont demandé aux forces d'occupation d'aller jusqu'au bout de l'anéantissement des résistants du Hamas, et tant pis pour les massacres de civils coupables, à leurs yeux, d'avoir mal voté en votant pour la résistance. On a même vu certains membres du Fatah exprimer un enthousiasme bruyant lorsque les bombes incendiaires de "l'armée la plus morale du monde" carbonisaient les enfants de Gaza et distribuer des bonbons à la ronde en signe de réjouissance.

Obama a depuis lors soudoyé et menacé l'Autorité palestinienne afin qu'elle coopère avec le projet israélo-étasunien de ranger dans les poubelles de l'histoire le rapport Goldstone de l'ONU sur les crimes de guerre israéliens, commis pendant l'attaque barbare de l'armée israélienne contre la population civile sans défense du ghetto de Gaza. Il continue de menacer Abbas de lui couper les vivres s'il signe un accord de réconciliation avec le Hamas sans que celui-ci ait reconnu la légitimité d'un "Etat juif" - ce qui, en langage clair, signifie que la résistance doit renoncer à résister, accepter la purification ethnique présente et à venir et reconnaître la légitimité de sa mise en esclavage dans des banthoustans.

Devenue la sous-traitante du régime d'occupation et son instrument docile - la responsable administrative d'une sorte de "Judenrät" palestinien - la vermine a tout avalé. Elle a dégluti sans problème le mur de la honte qui balafre la terre palestinienne et embastille des villages entiers en dépit de sa condamnation universelle par le monde entier. Elle est restée de marbre face au boycott de l'économie palestinienne grâce au système d'asphyxie créé par les checkpoints et les moyens de contrôle les plus pervers en Cisjordanie. Le vol des terres et des nappes phréatiques n'a mis en action aucune de ses innombrables pattes grêles et elle a signé, en toute illégalité, l'attribution à l'occupant de l'exploitation des gisements gaziers découverts au large de Gaza.

Elle a même accepté de mettre sa police sous le contrôle direct d'un général américain et continue de pourchasser frénétiquement et d'emprisonner les résistants dans la partie du gruyère que l'occupant lui laisse déguster … pour le moment.

Non seulement la vermine tolère le blocus du plus gigantesque camp de concentration jamais ouvert sur la planète depuis l'origine de l'histoire, mais elle en est l'initiatrice, la complice et la gardienne.

La collaboration est un engrenage dont on ne peut s'extraire. Les compromissions deviennent un boulet de plus en plus lourd à porter ou, pour employer une autre métaphore, un garrot qui serre, qui serre de plus fort la gorge du félon et le contraint d'accéder à tous les diktats de l'occupant et de son protecteur, donc de s'engager de plus en plus loin dans la trahison.

Ainsi, après que l'occupant lui a mis un révolver sur la tempe sous la forme d'un chantage la menaçant de publier les enregistrements de ses trahisons antérieures - notamment sa participation au déclenchement de l'étrange "maladie mortelle" de l'ancien chef, Arafat - la vermine s'est appliquée à mettre les assassins à l'abri de l'application du droit international en retirant, dans un premier temps, sa plainte pour crimes de guerre et génocide. C'est sous ces menaces que la délégation s'est retrouvée contrainte, par écrit, de n'accorder aucune autorisation à quiconque en vue de l'adoption par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU du rapport Goldstone - rapport qu'elle s'était d'abord sentie obligée de déposer sous la pression de l'indignation universelle provoquée par le carnage de Gaza et auquel elle est finalement revenue, sous une autre contrainte, celle de l'opinion publique mondiale et de la fureur des Palestiniens.

Aux dernières nouvelles, l'Autorité Palestinienne est allée jusqu'à accepter que des officiers des milices collaborationnistes fassent partie intégrante d'unités israéliennes arabisées à Jérusalem afin de participer à la répression des manifestations de leurs frères . Elles participent également à la chasse aux Palestiniens résistants, le tout en compagnie des sinistres "gardes frontières" d'un pays sans frontières.

La panse de la bête grossit à chaque traîtrise et à chaque reculade. Pendant qu'il est encore temps, elle se bâfre "du choix de comestibles" étalés par l'occupant "sur un vieux journal : des trognons de légumes à moitié pourris, des os du dîner de la veille couverts d'une sauce blanche, des raisins de Corinthe, un fromage déclaré immangeable quelques jours auparavant, un pain rassis", le tout complété par une "écuelle d'eau".

Méprisant la fraîcheur des raisins, la vermine se jette "avec des yeux mouillés de satisfaction" sur le fromage moisi de la reprise des prétendues négociations, lesquelles évoquent irrésistiblement la course de l'écureuil tournant sur sa roue dans une cage hermétiquement close.

Mais le destin de la vermine, prévient Kafka, est de mourir, victime de la "pomme pourrie" de la trahison "incrustée dans son dos", qui aura gangrené le corps tout entier et provoqué "l'inflammation des parties environnantes".

Devenu "le machin d'à-côté", le cadavre, transformé en détritus et "crevé comme un rat", sera expédié dans les poubelles de l'histoire à grands coups de balai.

C'est ainsi que de petites compromissions en grosses soumissions, le collaborateur complaisant met en mouvement ses innombrables petites pattes de vermine et finit dans la peau d'un traître.

Publié le 30 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de Aline de Diéguez



Source : Aline de Diéguez
http://pagesperso-orange.fr/aline.dedieguez/...


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