Opinion
Egypte. Une page
des Frères est tournée
Ali Hakimi
Jeudi 31 janvier
2013 Mais
étaient-ils préparés à la gestion d’un
pays en effervescence et à répondre aux
insoutenables attentes socio-économiques
de l’écrasante majorité des Egyptiens ?
Rien n’est moins sûr.
Après leur score sans appel aux
premières élections législatives, ils
ont vu leur électorat fondre
drastiquement lors de l’élection, à une
faible majorité, de leur candidat
Mohamed Morsi à la présidence du pays.
Un Président qui n’a même pas bénéficié
d’un état de grâce et qui a presque
immédiatement été confronté à la grogne
de la rue. Emporté
par son succès, il a lui-même provoqué
la colère qui n’a pas fini de
s’amplifier. S’accaparant auparavant de
tous les pouvoirs en faisant passer en
force son projet de Constitution qui,
bien qu’adopté par référendum, il n’a
recueilli que 16% des voix des électeurs
inscrits. Soutenu par les Etats-Unis et
l’Union européenne, faisant des
concessions à Israël, il est
certainement dans des dispositions qui
lui font croire qu’il aura les coudées
franches pour mater le front intérieur.
Ce qui se confirme dans la réponse qu’il
a donnée à l’insurrection en cours, en
décrétant l’état d’urgence et en
menaçant de «faire plus si nécessaire»,
attisant le ressentiment contre sa
personne et sa confrérie et réveillant
les démons de la dictature. Son dernier
discours, plein de morgue, montre un
Morsi offensif et prêt à tout. Se
décrétant, en passant, défenseur d’une
«révolution» dont il a lui-même dessiné
les «objectifs», contre les
«contre-révolutionnaires», c'est-à-dire
ceux dont il omet le rôle qu’ils ont
joué dans la chute de la dictature
personnalisée par Hosni Moubarak. Il
n’est plus question, il faut le noter,
du slogan «l’islam est la solution»,
mais d’une détermination à faire aboutir
des engagements que l’on peut aisément
identifier à travers la consolidation
des liens avec les puissances
occidentales et les institutions
financières internationales.
A ce propos, le néolibéralisme,
puisqu’il faut bien en parler, exige une
gouvernance qui ne peut souffrir d’une
«démocratie» générique dans une Egypte
exsangue. Les Frères pouvaient faire
illusion pour qui espérait que le
discours religieux serait plus fort que
les ressorts d’un quotidien fait de
privations et d’injustices sociales
insupportables, depuis que la parole a
été libérée un certain 25 janvier 2011.
Ils sont, en réalité, en train de perdre
l’essentiel de leur crédibilité, avant
même d’avoir entamé l’application des
mesures autoritaires exigées par les
politiques qu’ils ont adoptées, en
espérant se montrer en «meilleurs
gestionnaires du système capitaliste».
En arrière-plan, c’est l’islam politique
qui subit son épreuve de feu, dans les
pires conditions qui soient. Les
ruptures en cours et les désillusions
qui les accompagnent vont certainement
avoir un impact considérable sur le
mouvement islamique dans son ensemble.
Morsi ne semble pas en tenir compte et
veut, peut-être, jouer son va-tout, dans
l’espoir de voir l’insurrection
s’essouffler. Il
peut compter pour le moment sur une
attitude conciliante, quoi que prudente
de Washington, mais ce sera au prix
d’une victoire rapide. Sinon ce seront
les partis du Front du salut national
qui pourraient, en l’absence de
direction unifiée des insurgés, rallier
l’appui de l’armée et des Occidentaux en
tant qu’alternative à un éventuel chaos.
De toutes les façons, le sang qui a
coulé fera que jamais plus les Frères
musulmans ne pourront se prévaloir
d’appartenir au camp des opprimés. Une
page vient d’être tournée. «Je veux un
gouvernement représentatif en Egypte,
avait claironné Barack Obama, et précisé
ceci: «Nous l’avons dit, vous devez
engager (...) une transition ordonnée.»
Des vœux qui doivent bien décevoir.
Publié sur
Reporters
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