Opinion
Déboires d'une
puissance en déclin
Ali Hakimi
Jeudi 6 juin 2013
Le 8 novembre 2011, Alain Juppé,
l’ex-chef de la diplomatie française
disait, à propos du dossier syrien,
que « la Russie est aujourd’hui
profondément isolée et incomprise
surtout ». En ce temps-là, l’euphorie de
la « victoire » libyenne était à son
paroxysme.
Le ministre pouvait estimer que sa
chevauchée « printanière » ne pouvait
connaître aucun obstacle, surtout pas
celui des Russes qui ont laissé faire
l’OTAN contre l’Etat libyen. Le 28
février 2012, le plus sérieusement du
monde, le président tunisien provisoire,
Moncef Marzouki, annonce qu’il offre
l’asile au président syrien Bachar Al
Assad, ainsi qu’à ses proches. Tout
augurait que l’affaire était pliée et
que les « représentants légitimes du
peuple syrien », désignés par les « amis
de la Syrie », allaient tôt ou tard être
installés à Damas, comme ce fut le cas
du CNT de Mustapha Abdeljalil.
Le 19 juillet 2012, au Conseil de
sécurité de l’ONU, rien ne va plus, la
Russie et la Chine apposent leur veto
contre une résolution « contraignante »
pour le gouvernement syrien. Les
« révolutionnaires » ne devront pas
compter sur l’Alliance atlantique et se
contenter de l’appui logistique et
diplomatique de leurs amis. Alors même
que sur le terrain, il est mis fin aux
tergiversations relatives aux « missions
d’observateurs », ouvrant la voie à une
contre-offensive de l’armée syrienne
qui, jusque-là, restait assez réservée
dans ses opérations. Alors, la France,
en tête, où François Hollande a remplacé
Nicolas Sarkozy et Laurent Fabius Alain
Juppé, fait le forcing pour armer la
rébellion, aux côtés des pétromonarchies
du Golfe. Mais les Etats-Unis ne suivent
pas et les destinataires des armes sont
difficilement identifiables, car un
acteur de taille est entré en scène : le
Front Anosra qaïdiste, injecté dans le
territoire syrien par le Qatar et
l’Arabie des Saoud avec la complicité du
gouvernement islamiste turc de l’AKP.
Sans préjudice du fait de la grande
difficulté que rencontrent les « amis de
la Syrie » à construire une
« opposition » crédible, aussi bien à
l’intérieur qu’à l’étranger. A ce titre,
la CNS, qui a succédé au CNS, n’a
toujours pas trouvé de compromis, entre
ses membres et entre les différents pays
parrains de sa création.
Et le temps a fait son œuvre, des
« Grandes batailles » de Damas et
d’Alep, il ne subsiste plus qu’une
résistance désespérée devant la
récupération implacable, par l’armée
régulière, du terrain perdu. Seul Anosra
constitue encore une force organisée,
l’Armée syrienne libre, mythifiée, ayant
fini par s’avérer n’être que des groupes
autonomes disparates sans unité et sans
coordination. Sans que cela modifie
l’entêtement jusqu’au-boutiste du
pouvoir français. Qui vient, in fine, de
subir une douche froide. Les deux
grandes puissances, Washington et
Moscou, ont décidé de se charger seuls
du dossier et ont programmé une
conférence dénommée Genève 2 pour le
mois de juillet. Prise au dépourvu, la
France s’engage dans une pitoyable
tentative de démontrer aux Etats-Unis
que la Syrie a franchi la « ligne
rouge », c’est-à-dire l’utilisation
d’armes chimiques. La preuve est
rapportée… par des reporters du journal
Le Monde, sous forme d’« échantillons ».
Une hypothèse rejetée d’un revers de
main par les Etatsuniens et par le
silence méprisant des Russes. A
l’exception des Britanniques qui disent
détenir des « preuves physiologiques »,
la France de Laurent Fabius croit
pouvoir revenir au premier plan, amour
propre et intérêts confondus, et peser
dans la préparation de la prochaine
conférence qui, paradoxalement, dépend
fondamentalement de la participation du
« régime de Bachar Al Assad » et où
celle de l’Iran n’est plus exclue. Au
final, le pouvoir des « socialistes »
n’aura pas eu le bonheur qu’a connu le
pouvoir de droite, quand un « succès
syrien » aurait pu booster un tantinet
sa popularité. En avril 2011, Fabius
trépignait déjà : « Il faut une
intervention de l’ONU rapide » et
prenait les devants en prônant « dès
maintenant la saisine des biens de la
famille Assad à l’étranger ». Il était à
des lieues de réaliser la place de
puissance en déclin de son pays.
Publié sur
Reporters
Le dossier
Syrie
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