Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Fermer les frontières quand le feu est
dans la maison ! (16e partie et
fin)
Ali El
Hadj Tahar
Samedi 23 février
2013
L’Algérie a refusé de participer à
l’intervention au Mali même dans le
cadre d’une force africaine : elle
donnait l’impression d’être sûre qu’il
s’agissant d’un plan inscrit dans un
agenda, comme l’a laissé entendre M.
Medelci. Et probablement convaincue
qu’une intervention avec des agents
troubles dans les parages, comme le
Qatar, serait un Sahelistan, soit un
bourbier pour toutes les armées de la
région, Algérie incluse. Un Sahelistan
est fait pour durer, et il ne peut durer
sans le soutien des pays qui
instrumentalisent le terrorisme. Sans la
Turquie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite
et le Qatar y aurait-il eu autant de
destruction, de morts et d’actes
terroristes en Syrie ?
Le MNLA, trublion des Français, et
Ansar Dine, trublion qatari, ne sont en
fait qu’un seul et même groupe
d’opportunistes manipulés que l’Algérie
aurait pu facilement récupérer si sa
diplomatie avec les pays manipulateurs
était aussi stricte que son sérieux dans
sa mission de bons offices avec les deux
groupes qu’elle a appelés au dialogue à
Alger. Mais à cause de sa mollesse avec
les Etats responsables de la situation,
Alger perdra son temps avec le menu
fretin en donnant l’impression d’un Etat
faible. Par contre, en plus de
l’impression qu’il donne de force et de
vigueur, le Qatar distribue du fric… Le
choix était facile à faire pour le MNLA
et Ansar Dine qui n’avaient pas été
créés sur la base de principes moraux ou
politiques pour avoir des repentirs à
suivre le plus offrant. Pour comprendre
que le terrorisme n’est aucunement
indépendant et qu’il dépend
intrinsèquement de l’Occident – le Qatar
n’étant que son outil –, il nous fallait
revenir à ses premières alliances durant
la première guerre d’Afghanistan qui l’a
généré et en a fait un phénomène
international. Car sans cette guerre, il
n’y aurait pas de terrorisme
international ; et si le monde était
encore divisé en deux grands blocs, l’un
communiste et l’autre capitaliste, il
n’existerait pas non plus. On ne peut
pas comprendre les causes véritables de
l’attentat contre le site gazier de
Tiguentourine le mercredi 16 janvier si
on n’a pas été au fond des choses pour
déduire qu’il est lié à la crise
malienne et que l’Algérie fait partie de
la crise malienne, qu’elle le veuille ou
non. Mais dès le début, au lieu d’agir
dans le cadre idoine du Comité
d’état-major opérationnel conjoint entre
les pays du champ (Algérie, Mauritanie,
Niger et Mali), l’Algérie a fait dans
l’attentisme, par mollesse, jusqu’à ce
que le pourrissement de la situation
rendît leur rôle caduc, offrant ainsi
sur un plateau l’initiative aux
manipulateurs de l’ombre et autres
acteurs exogènes. Cela a permis
d’engendrer une crise humanitaire qui a
touché des centaines de milliers de
Maliens et failli engendrer la
destruction du complexe gazier d’In
Aménas, voire la mort de centaines ou de
dizaines de milliers de personnes.
Mohamed Chafik Mesbah, officier
supérieur de l’ANP en retraite,
politologue et analyste en relations
internationales et questions
stratégiques, disait dans une interview
publiée avant l’attaque d’In Aménas que
l’Algérie «est en train de prendre pied
dans un système de sécurité régionale où
elle risque malheureusement de
s’enferrer avec, subséquemment, une
incapacité à exercer sa souveraineté
nationale. Ce qui se déroule au
Nord-Mali résulte, directement, de cette
volonté d’intégrer l’Algérie, de force
au besoin, dans un mécanisme dont elle
ne pourra plus se libérer». Pour ce
spécialiste, il est donc clair que le
Mali est en passe de devenir un nouvel
Afghanistan. L’offre de survol de
l’espace aérien algérien est-il une
preuve de l’engagement algérien dans ce
«système de sécurité régionale» ? Il est
clair que par l’euphémisme de «système
de sécurité régionale», Mohamed Mesbah
entend une afghanistanisation du Sahel.
L’Algérie est-elle allée au-delà de
cette offre ? L’ANP est-elle d’accord ?
L’hebdomadaire Jeune Afrique, en
joignant des cartes, dément que
l’aviation française ait survolé le ciel
algérien. L’armée s’est-elle opposée à
ce survol en dernière minute ? Quand a
eu l’accord de survol du territoire
algérien ? Lorsque Hollande était à
Alger ou lorsque Hamad a visité notre
pays ? Pareil accord se prend-il par
simple coup de fil ? Mohamed Mesbah
croit savoir que «le président Abdelaziz
Bouteflika ne semble pas avoir pu
susciter l’adhésion de l’institution
militaire à une démarche qui ne semble
pas, encore, consensuelle».
Un Zia Ul-Haq pour compléter la
trahison
Ce point de vue semble rejoindre
celui des observateurs qui disent que le
Mali serait une sorte d’Afghanistan, et
l’Algérie son Pakistan comme base
arrière. La lutte contre les Russes en
Afghanistan a induit la transformation
de ce pays en terre du terrorisme et de
désolation, et le Pakistan, idem. Mais
sans la complicité des autorités
pakistanaises, rien ne se serait passé.
Autrefois, l’ISI (Inter-Services
Intelligence) pakistanais, et les
Renseignements généraux d’Arabie
Saoudite travaillaient pour la CIA pour
soutenir les mercenaires afghans et
afghans-arabes afin de déstabiliser le
régime socialiste de Kaboul, alors aidé
par les Russes et qui permettait aux
femmes de travailler, d’étudier… Zia
Ul-Haq, un président traître
inconscient, a mené son pays, le
Pakistan, et un pays voisin à une
catastrophe dont le monde entier paie
aujourd’hui le prix, ce terrorisme dit
«islamiste» qui a été inventé pour
détruire les Etats musulmans et
discréditer l’Islam. Pour afghaniser le
Sahel, il faut un Zia Ul-Haq. Si les
Américains ne trouvent pas ce Zia Ul-Haq
au Mali ou au Niger, ils le trouveront
ailleurs, peut-être… L’argent saoudien
et qatari fera le reste, comme
d’habitude. Mohamed Mesbah écrit : «Il
existe une corrélation directe entre la
position algérienne vis-à-vis de la
crise au Nord-Mali et l’état de
déliquescence du système de gouvernance
en Algérie.» Pendant que la diplomatie
et la défense algériennes essayaient
d’isoler les groupes Ansar Dine et du
MNLA des autres groupes terroristes, El
Mouradia recevait émirs et ministres
qataris. Quelle efficacité lorsque la
diplomatie et la défense travaillent
dans un sens et la présidence donne un
autre son de cloche, du moins un autre
ton ? Sous le fallacieux prétexte
d’offrir de mirobolants protocoles
d’accords, les Qataris allaient et
venaient à El Mouradia pour cacher leur
jeu à nos frontières. D’ailleurs,
l’Algérie avait-elle besoin d’argent
qatari ou bien de projets à caractère
vraiment national qui rendent leur
dignité au peuple ? Les Etats-Unis en
arrière-plan veillaient au grain, en
avançant un pion tantôt l’autre dans une
nouvelle guerre de la ruse. La guerre
cognitive est une guerre de stratégie et
de mensonges. Aujourd’hui, les guerres
d’Occident nécessitent moins d’armées et
de généraux que d’idiots, de traîtres et
de lâches dans l’autre camp. Ils les
trouvent à la pelle, a dit Obama, en
parlant de «partenariat aussi puissant
que l’alliance anticommuniste»,
signifiant une immense chaîne de
traîtres parmi les musulmans.
L’autorisation du survol du ciel
national, qui est non seulement une
atteinte à la souveraineté nationale
mais en contradiction avec le refus
d’ingérence du pays à l’étranger, est un
dérapage qui n’a pas tardé à se
transformer en drame le lendemain même
[évidemment il se préparait depuis deux
mois] et qui a failli faire exploser une
base n’était l’intervention de l’armée
qui, encore une fois, vient de sauver la
baraque Algérie. Mais jusqu’à quand le
pourra-t-elle ? Il est impossible qu’une
armée tienne seule lorsque la politique
fait le contraire sur le terrain.
L’Algérie est un hard power régional ;
défiée à ses frontières, elle se devait
de le prouver sur le terrain en
défendant son espace vital. L’Algérie
n’a pas les moyens de devenir un soft
power ni sur le court terme ni sur le
moyen-terme : sa seule force aujourd’hui
réside dans ses hydrocarbures – cette
Sonatrach qui se contente d’être un pis
nourricier – et dans son armée, l’ANP.
Or, ce sont ces deux forces que l’ennemi
veut frapper. A Alger, le système
continue à monopoliser El Mouradia et
les autres institutions et à
marginaliser les forces vives, en
fragilisant davantage le pays. La chance
du pays est que notre jeunesse ne
s’engage plus dans le terrorisme, comme
l’a montré l’attentat d’In Amenas où
seulement trois de nos ressortissants
étaient impliqués ; attentat qui prouve
le caractère mercenaire des groupes
terroristes et leur filiation avec les
forces de l’ombre au premier rang
desquels le Qatar, le recruteur en chef
de la nouvelle secte des assassins. Le
sursaut algérien viendra de l’armée ou
ne viendra jamais. La crise malienne et
l’attentat d’In Amenas vont indiquer le
positionnement de l’armée, et dire si
elle est capable de donner à l’Algérie
une assise plus rassurante non seulement
par rapport à ce qui se profile au Sahel
mais par rapport à l’avenir du pays, un
avenir gravement hypothéqué comme l’a
révélé l’affaire malienne doublée d’un
attentat au cœur même du champ de gaz
national. En plus de la grave
déclaration d’Ould Kablia…
«Parallèlement aux critères de puissance
traditionnels (autonomie stratégique,
économie, puissance militaire), ceux
fondés sur la capacité à rassembler
(crédibilité et légitimité
internationales) et le soft power
(culture, technologie) devraient compter
de plus en plus», écrit le rapport 2012
de la défense français pour la
perspective 2060. L’attaque d’In Amenas
vient mettre à nu les contradictions
politiques, diplomatiques et militaires
du pouvoir algérien, tout comme la
fragilité de nos «richesses».
Révèlera-t-elle la faiblesse ou la force
de la défense algérienne, à tout le
moins sa position vis-à-vis de ce qui se
passe dans le monde et dans la région ?
Bientôt, le ministère des Finances devra
payer la facture de la crise malienne
qu’on n’a pas su anticiper sur le plan
politique en marginalisant le côté
défense et profondeur stratégique du
pays, et en ne donnant 50 millions
d’euros aux Maliens que lorsque le mal
était fait. Seule une position forte sur
ce qui se passe dans le monde pourrait
sauver le pays, pas la mollesse. Si
l’Algérie peut faire face aux dépenses
exigées par la crise malienne pour
défendre son territoire, les autres pays
ne le pourront pas (Mali, Niger,
Mauritanie, Burkina Faso, Tchad…). Or,
les frontières sont perméables. Lorsque
le bâtiment est en feu, on ne se
contente pas de protéger son
appartement. Fermer les frontières avec
le Mali jusqu’à quand ? Le feu rentre
par les interstices… Les centres de
recrutement de Tunisie et de Libye sont
encore actifs, et ils n’envoient pas des
mercenaires uniquement vers la Syrie.
A. E. T.
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15e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
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