Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Profondeurs stratégiques algériennes et
sécurité des frontières (15e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Jeudi 21 février
2013
Pierre Khalaf (chercheur au Centre
d'études stratégiques arabes et
internationales de Beyrouth) écrit :
«Dans le front complexe et varié mis en
place par les Etats-Unis, Al-Qaïda et
ses ramifications semblent s’être
transformées en outil de division et de
terrorisme soutenu par l’Occident. Son
but est de détruire le tissu social des
peuples arabes en répandant la violence
et la terreur, couplées d’une culture de
discorde confessionnelle, en
transformant une contradiction virtuelle
et illusoire en contradiction
principale.»
Aujourd’hui, «l’islamisme» bénéficie de
la mansuétude occidentale et la
«question touareg», du capital sympathie
lié à l’exotisme des hommes bleus.
Voire, le terrorisme est devenu
ouvertement un outil de politique
étrangère pour de nombreux pays, comme
l’a clairement montré la crise libyenne
et comme le montrent surtout les crises
syrienne et malienne : la Turquie, les
Emirats, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la
Jordanie, l’Angleterres, les Etats-Unis,
la France et l’Allemagne disent
officiellement fournir des armes aux
groupes armés d’une «armée syrienne
libre» que tout le monde sait composée
essentiellement de mercenaires étrangers
dont certains affiliés à Al-Qaïda et An-Nousra.
La préméditation existe dans la crise
malienne, sa transformation en
Sahelistan l’est moins bien que de
nombreuses déclarations d’officiels
incitent à le penser, tout comme la
création future d’une base de lancement
de drones au Niger. Espérons que ce qui
s’y passe n’est qu’un scénario
américano-franco-qatari pour contraindre
Bamako à leur donner des concessions
dans les nouveaux gisements de pétrole
et que les bases pour leurs soldats ne
servent pas à la propagation du
terrorisme, mais qui dit action dit
réaction. Espérons que ce scénario ne
soit pas apocalyptique et qu’il ne
s’agit que d’une course aux puits de
pétrole maliens par terroristes
interposés et que les contrats
permettraient de les assagir. Et que les
doubles menaces (division ethnique et
islamiste par MNLA et djihadistes
interposés) exercées sur les pays de la
région ne soient que passagers. En tout
cas, c’est ce que laisserait penser
l’absence de réaction des terroristes d’Aqmi,
du Mujao et d’Ansar Dine face à
l’avancée des troupes françaises
engagées au Mali, ce qui soulève
toujours des interrogations. La «menace
contre la civilisation occidentale», le
risque de terrorisme en Occident à cause
de la proximité malienne sont un
mensonge honteux brandi pour fustiger
des mercenaires créés de toutes pièces
avec l’ami qatari, et qui sont en fait
une «légion étrangère» au service des
intérêts stratégiques et économiques de
l’Occident. Il est indéniable maintenant
que l’intervention armée était inscrite
dans un agenda, pour utiliser le terme
de M. Medelci. Il est à espérer que les
velléités occidentales de sécurisation
de leur profondeur stratégique ainsi que
de protection et d’extension de leurs
intérêts dans la région ne visent pas à
créer une régression féconde ou un
«chaos constructeur», comme en Irak, en
Afghanistan, en Somalie et au Nigeria.
Le «chaos constructeur» est un concept
de politique étrangère américaine qui
préconise la création du désordre dans
une région riche et instable pour y
imposer un ordre nouveau. «Pour les
théoriciens du chaos constructeur, c'est
après la violence et le chaos que les
Américains peuvent créer des États à
souveraineté négative afin d'exploiter
leur sol et sous-sol sans grande
résistance,» écrit Mahatma Julien Tazi
K. Tiena-be de l’université de Kinshasa
dans son diplôme d'études supérieures en
relations internationales 2009 intitulé
«La politique étrangère des Etats-Unis
d'Amérique vis-à-vis de la République
démocratique du Congo : de 1990 à 2006».
Il ajoute : «L'objectif américain dans
le Moyen-Orient était donc simple : le
contrôle des zones appelées “l'arc de
crise”. Cette région est riche en
hydrocarbures. Elle porte sur l'arc
rejoignant le golfe de Guinée à la mer
Caspienne, en passant par le golfe
Persique. Pour y arriver, l'impératif
américain est d'imposer une redéfinition
des frontières, des Etats et des régimes
politiques. Il s'agit bien d'un
remodelage du Grand Moyen-Orient (…)
L'idée est simple : substituer aux Etats
hérités de l'effondrement de l'Empire
ottoman des entités plus petites à
caractère mono-ethniques, et neutraliser
ces mini-Etats en les dressant en
permanence les uns contre les autres. En
d'autres termes, il s'agit de revenir
sur les accords conclus secrètement, en
1916, par les empires français et
britannique, dit Accords Sykes-Picot et
de consacrer la domination désormais
totale des Anglo-Saxons sur la région».
Sur la question malienne, Pékin et
Moscou ont observé un grand silence qui
donne l’impression que cette partie de
l’Afrique n’existe plus pour eux. Cela
fait-il partie du deal entre Russes et
Américains sur la Syrie ? Chacun son
territoire ? Russes et Américains
traversent encore une grave crise sur la
question syrienne qui vise directement
les intérêts russes. Les Russes ont déjà
tout perdu en Afrique… Les «printemps
arabes» sont venus jeter dans les bras
de l’Amériques les régimes que l’ex-bloc
soviétique a pourtant sauvés de maintes
recolonisation ces trente dernières
années et qui semblent ignorer qu’ils se
sont jetés dans la gueule du loup. Le
Mali était sur la bonne voie
démocratique car le président ATT a
donné l’exemple de bonne gouvernance,
malgré les pressions du FMI qui ont mis
son pays à plat, davantage appauvri et
fragilisé économiquement, socialement
avant qu’une invasion terroriste suivie
d’un putsch téléguidé ne viennent créer
une situation de non-droit autorisant
l’intervention. Les Occidentaux sont
venus souiller l’image de ce pays qui
n’a jamais connu les extrémismes et qui
était en train de donner l’exemple de
l’alternance au pouvoir. Le coup d’Etat
contre le président malien ATT est lié à
l’intervention française et entre dans
le même plan des putschs des «printemps
arabes» contre des présidents élus
(Kadhafi, Ben Ali, Moubarak, Al-Assad)
et qui engendrent les mêmes chaos, et le
même développement de la violence
terroriste, les mêmes divisions tribales
et ethniques ou religieuses ainsi que
d’autres conditions du développement de
la misère et de la violence. Le but, au
Mali, en Syrie ou ailleurs n’est pas
obligatoirement de créer un «califat»
dit «islamiste» mais un Etat faible et
fragile, instable et violent, que l’on
jettera par la suite sous prétexte de
terrorisme. Washington ne prend-elle pas
ses distances avec la Libye ? Beaucoup
de médias occidentaux malintentionnés ou
mal informés mettent en exergue la
«marginalisation» des Touareg maliens
qui, pourtant, vivent dans les mêmes
conditions que les autres communautés au
Mali, en Algérie, au Niger, en Libye ou
au Burkina Faso, avec des différences
liées à la santé économique de chacun de
ces pays. Ils pourraient le faire pour
l’Algérie où leur situation économique
et sociale est catastrophique. Si l’Etat
ne fait rien pour eux dans un plan
d’extrême urgence, les manipulateurs
pourront trouver quelques cibles faciles
pour en faire des mercenaires.
D’ailleurs, toutes les populations du
Sud algérien ont dénoncé la politique de
l’emploi qui ne privilégie pas les
autochtones, ouvrant ainsi le champ à
tous les scénarios possibles. Ce qui est
incroyable, c’est que des médias
algériens continuent à parler de
l’Azawad comme si cela existait, non
conscients des dangers sur la communauté
touareg tout entière que le MNLA veut
débaucher non seulement à l’échelle
locale mais à l’échelle régionale (lire
3e et 4e parties). La décision de fermer
les frontières est-elle une solution
face au péril terroriste et aux menaces
qu’une intervention risque d’induire ?
Quid des atteintes aux droits humains
chez nos voisins ? Une attitude de
conciliation et/ou de neutralité face au
conflit malien serait inefficace sans
une nouvelle stratégie de politique
étrangère dans tout le Sahel, pour
contrecarrer celle des pays occidentaux
et des pays du Golfe qui tirent les
ficelles. L’urgence n’est pas
strictement militaire ou sécuritaire
mais également politique, économique et
culturelle, en commençant à renforcer la
profondeur stratégique du pays (aide,
solidarité, coopération et échange
économique, partenariat…). Se bunkériser
sans agir sur le mal et ses causes, là
où elles se trouvent, équivaut à une
attitude de l’autruche. Un minuscule
Qatar active pour déstabiliser notre
pays et les pays voisins à des milliers
de kilomètres de ses frontières ; et
l’Algérie se replie dans sa coquille,
sans se défendre ! L’attitude défensive
adoptée par Alger n’a pas éloigné les
risques et a donné l’impression de
faiblesse d’un Etat qui ne va pas
au-devant des menaces qui le visent. En
laissant se rapprocher ces menaces, on
paie aujourd’hui le prix fort de devoir
fermer les frontières, en espérant que
n’advienne pire que l’attentat d’In
Amenas. M. Medelci a dit que la crise
malienne obéissait à un agenda : il
signifiait donc qu’il s’agissait d’un
acte de guerre. A un acte de guerre,
l’Algérie a répondu par les salamalecs
et la stratégie de l’autruche. Il faut
oser traiter le terrorisme comme un acte
de guerre dirigé par des pays, et non
pas de groupes ! L’Algérie a traité le
terrorisme des années 1990 comme un acte
de guerre venant de l’étranger et pas
seulement comme un fléau local, et c’est
ce qui lui a permis de s’en débarrasser,
contrairement à l’Irak et la Syrie qui
traitent aujourd’hui le terrorisme in
situ, au lieu de le frapper à la racine.
L’Algérie au cœur du problème malien
L’Algérie a une frontière instable
de 1 400 km avec le Mali et de 1 000 km
avec une Libye encore très instable avec
comme trublions Aqmi, Ansar Eddine,
Mujao et MNLA. Elle a de centaines de
kilomètres fragiles avec le Sahara
occidental et la Mauritanie. Ce qui est
beaucoup à sécuriser même s’il n’y avait
pas ce diable qatari qui attise le feu
islamiste et séparatiste. L’Algérie a
les mêmes ingrédients islamistes et
ethniques que le Mali. Si certains
manipulateurs ont exploité ces poches
pour recruter des mercenaires pour
attaquer le Mali, ils pourraient le
faire pour viser l’Algérie, plus
directement, selon un même scenario que
celui concocté contre notre voisin.
L’influence algérienne, dans les années
1960-1970, s’étendait dans toute
l’Afrique, dans le monde arabe et
musulman et sa voix était entendue dans
le monde entier grâce à l’organisation
des Non-Alignés. Après la mort de
Boumediène, l’Algérie semble abandonner
le champ africain et sa profondeur
stratégique pour se tourner vers une
hypothétique nation arabe aux Etats
désolidarisés les uns des autres. Cette
nation arabe est plus fragile que jamais
aujourd’hui et les Maghrébins se
retrouvent seuls face à leurs problèmes
et à des complots déstabilisateurs
venant parfois de cette même nation
arabe. Désormais entourée de pays
fortement instables, l’Algérie fait face
à des risques majeurs avec un Mali
brusquement devenu une poudrière sinon
une bombe à retardement pour lui-même et
ses voisins, dont notre pays qui, il
faut la rappeler, a lutté tout seul
contre le terrorisme islamiste soutenu
par les pays occidentaux, Etats-Unis et
France en tête, ainsi que par les pays
du Golfe. Si les conditions objectives
(crise économique et plus d’une décennie
de terrorisme) ont fait perdre à
l’Algérie son rôle de leader arabe et
musulman, il n’y avait pas de raison de
perdre le rôle de leader africain et,
plus grave, de laisser le Qatar parader
dans les parages. Mais la nature ayant
horreur du vide, les nains nous prennent
notre place dans notre voisinage
immédiat et voilà des terroristes non
seulement implantés au Sahel mais sur le
point de faire exploser une plateforme
gazière à In Amenas. Tout en négociant
avec Ansar Eddine et le MNLA, l’Algérie
n’a pas su leur tendre à eux et à leurs
maîtres une main d’acier dans un gant de
velours. Elle a tendu l’autre joue,
donnant l’impression de faiblesse :
l’Algérie est donc le mauvais camp, à ne
pas suivre ni écouter. Rien à offrir que
des leçons de nationalisme à des
mercenaires sans foi ni loi, ni patrie.
C’est cette faiblesse politique que les
maîtres de l’agenda ont exploitée. Il ne
suffit pas d’avoir une armée puissante
si la politique détruit cet atout et les
autres… Au Mali, ce n’est pas l’armée
qui a failli, c’est l’argent qui a fait
défaut à Bamako, à cause du FMI qui l’a
sucé, pour préparer le terrain aux
mercenaires. Le but caché de cette
intervention comme dans toutes les
autres interventions depuis 2011 est de
faire barrage à la tentative
d’émancipation économique, énergétique,
technologique, politique et militaire
des Arabes et des Africains. Avant
l’attentat contre In Amenas, l’auteur
français indépendant, David S. J.
Borrelli, écrivait de manière lucide et
surtout prémonitoire : «La scission, la
partition et la déstabilisation du Mali
ainsi que l’islamisation du conflit, ont
été planifiées et organisées par des
puissances étrangères (notamment
française et les Qataris), tout comme
l'éviction d'ATT et la division du
peuple malien, tout cela dans le but de
pouvoir faire entrer les forces de
l'OTAN (sous mandat de l’ONU) sur le sol
malien afin de cibler directement le Sud
libyen et les forces loyalistes du guide
de la Jamahiriya (Maâmmar Kadhafi) via
le Niger voisin et de faire
indirectement pression sur l'Algérie
(qui sera sûrement ciblée à son tour
très prochainement, probablement tout
d’abord par ces mêmes islamistes qui
balkanisent le Nord-Mali).»(1) Mais bien
avant cela, en mars 2004, le général
Charles Wald, commandant en chef adjoint
des forces américaines en Europe (Eucom),
disait que des membres d’Al-Qaïda
tentaient de s’établir «dans la partie
nord de l’Afrique, au Sahel et au
Maghreb. Ils cherchent un sanctuaire
comme en Afghanistan, lorsque les
talibans étaient au pouvoir. Ils ont
besoin d’un endroit stable pour
s’équiper, s’organiser et recruter de
nouveaux membres(2)».
A. E. T.
(A suivre)
1. http://www.mathaba.net/news/?x=632417
2. Le Monde diplomatique, février 2005.
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Publié sur
Le Soir d'Algérie
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