Reportage
Le printemps arabe
: une révolution contestée
De l'axe de la résistance à l'axe de la
trahison (14e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Lundi 20 mai 2013
Le remodelage du
Moyen-Orient et d’une partie de
l’Afrique et de l’Asie s’inscrit donc
dans des velléités de domination
anciennes mais revues et corrigées après
la chute du communisme. Le NOM et le GMO
sont donc des plans postcommunisme
visant à asseoir la domination
définitive de l’Occident sur la planète
entière.
The New York
Timesdu 8 mars 1992 ayant publié un
document émanant du Pentagone qui dit
textuellement : «Le Département de la
Défense affirme que la mission politique
et militaire des Etats-Unis, dans la
période de l'après-guerre froide sera de
s'assurer qu'il ne soit permis à aucune
superpuissance rivale d'émerger en
Europe occidentale, en Asie, ou sur le
territoire de la Communauté des Etats
indépendants (CEI). La mission des
Etats-Unis sera de convaincre les rivaux
éventuels qu'ils n'ont pas besoin
d'aspirer à un rôle plus important ni
d'adopter une position plus agressive,
les dissuader de défier notre suprématie
ou de chercher à renverser l'ordre
politique et économique établi.» Dix
jours après les attentats du 11
septembre 2001, Donald Rumsfeld, le chef
du Pentagone, présentait au général
Wesley Clark (révélation faite dans une
interview de celui-ci le 2 mars 2007) un
mémo dans lequel il est précisé que sept
pays arabo-musulmans devaient «passer à
la casserole» : l’Afghanistan, l’Irak,
la Libye, le Liban, la Syrie, le Soudan
et l’Iran. L’Irak fut le premier… La
balkanisation avait commencé. Le GMO
était entré en action. Dans son livre
The High Priests of War (2004), Michael
Collins Piper abordait la question de la
déstabilisation et du chaos constructeur
du Moyen-Orient, écrivant : «La guerre
contre l’Irak est menée à des fins
beaucoup plus ambitieuses qu’un simple
“changement de régime” ou une
“élimination des armes de destruction
massive” ; elle entre d’abord et avant
tout dans le cadre d’un effort global
pour faire des Etats-Unis l’unique
superpuissance internationale. (…) Ce
n’est qu’une première étape d’un plan
inscrit dans le long terme et de grande
envergure et incluant des frappes encore
plus agressives contre l’ensemble du
Moyen-Orient, afin de “refaire le monde
arabe” pour assurer la survie – et
élargir la puissance – de l’Etat
d’Israël.» Treize ans après, grâce au
«Printemps arabe», l’antagonisme entre
le «front du refus» et de la résistance
à l’hégémonie américaine et sioniste, et
«l’axe modéré» prend nettement
l’avantage au profit de «l’axe modéré»
devenu l’axe de la trahison et de la
compromission avec Israël. La
«révolution arabe», dont l’objectif
stratégique était aussi le placement du
Qatar comme chef de file au sein de la
Ligue arabe et sur la scène musulmane.
L’intrusion de ce pays sur scène a
carrément dopé la tentation de la
trahison et donné des cornes aux Emirats
et à l’Arabie Saoudite qui n’ont
auparavant jamais compté dans le concert
arabe et dont la proximité américaine en
fait aujourd’hui les ténors de la parole
diplomatique arabe, d’autant qu’ils ont
fait main basse sur la Ligue du même
nom, et même sur l’Organisation de la
coopération islamique. Autrefois sans
voix, les valets de l’Occident sont
devenus des faucons qui imposent leur
loi. Leur voix est prépondérante,
notamment sur la question palestinienne
et sur un Iran diabolisé, Téhéran étant
leur grand ennemi à cause de son
«hégémonie chiite» et de sa «bombe
atomique», car il leur faut toujours un
prétexte pour la fitna. Depuis que ces
faucons ont fait des «révolutions
arabes» et de l’Iran les thèmes
centraux, la Palestine est dans le
brouillard, voire complètement sortie du
champ du rétroviseur. Des Palestiniens
meurent, oubliés des Arabes, et même les
démocrates américains osent dire que
Jérusalem est la capitale d’Israël.
Finance, pétrole,
armements, Israël et FMI
Devenu une sorte
de loge maçonnique dictatoriale qui
pratique une diplomatie
excommunicatrice, le Qatar a d’abord
exclu la Libye de la Ligue arabe en
2012, puis la Syrie et fermé ses chaînes
de télévision sur Nilesat avant de
l’exclure de l’OCI où la voix de la
lâcheté a dominé. Le «Printemps arabe» a
été concocté à la Maison-Blanche et
exécuté par le Qatar, une monarchie
archaïque qui n’a même pas de Parlement
et qui prétend donner des leçons de
démocratie ; une oligarchie
ploutocratique qui n’autorise ni mixité
ni syndicat qui parle de promouvoir la
liberté en envoyant des armes aux
terroristes islamistes dans des cargos
de l’OTAN. Finance, pétrole, gaz et
mines, armements et militarisation,
globalisation, géostratégie, intérêts
d’Israël et FMI : ce sont là les faces
d’une seule et même médaille appelée
Nouvel Ordre mondial (NOM). Un Nouvel
Ordre mondial avide qui ignore la pitié
et qui fait du pillage sa règle : plus
on lui donne, plus il en demande.
«Défenseuse» assidue du NOM, Hillary
Clinton, ex-ministre américaine des
Affaires étrangères, était à Doha,
Qatar, le 13 janvier 2011, et y a
conseillé aux chefs arabes réunis de
reformer leur économie, évidemment,
conformément aux principes du FMI,
sinon, ils risquaient de chuter. Le
lendemain, Ben Ali chutait ! Ainsi donc,
les Arabes étaient instruits d’appliquer
les réformes du FMI et de faire la queue
devant ses guichets d’appauvrissement
permanent. Au lieu de se libérer du FMI
par la création d’une banque africaine
et l’abandon des monnaies occidentales
(dollar et euro au profit de l’étalon
or) comme le voulait Kadhafi, tous les
pays du «printemps arabe» se sont rués
dans ses bras, tous les pays en
demandeurs et l’Algérie en offreuse de 3
milliards de dollars pour payer la
rançon au diable. Car il n’est pas dit
que prêter au FMI n’est pas une même
contrainte qu’en recevoir. Plus les
valets s’abaissent, plus ils renforcent
le maître et le rendent exigeant. Ben
Ali et Moubarak avaient servi à
l’Amérique ce qu’elle voulait, mais
leurs offres ne faisaient plus l’affaire
d’une Amérique et d’un Israël plus
exigeants dans une phase où la
domination unipolaire américaine semble
menacée par la montée en flèche de la
Chine et le retour d’une Russie avec un
Poutine revigoré qui a compris que seule
l’alliance dans la cadre d’un groupement
comme le Brics peut le sauver de la
grande gueule du loup américaine.
Bourguiba ayant eu des liens excellents
avec la France et l’Amérique, Ben Ali a
continué à ouvrir les ports de Bizerte,
Sfax, Sousse et Tunis aux navires de
l’OTAN, qui désormais contrôle tout le
sud de la Méditerranée. En 2004, la
Tunisie s’est insérée dans le «Dialogue
méditerranéen» de l’Alliance atlantique.
Les Israéliens d’ascendance tunisienne
ont été autorisés à voyager et à
commercer dans le pays. En 1996, Tunis
et Tel-Aviv ont ouvert des «bureaux
d'intérêts» réciproques et désigné des
«représentants permanents», bureaux qui
seront toutefois fermés en octobre 2000
à l'initiative de la Tunisie, qui
entendait ainsi protester contre la
répression de l'Intifadha palestinienne.
Puis, nouveau signe d’entente, Ariel
Sharon est invité à Tunis en 2005, une
visite que l’opinion tunisienne rendra
impossible. Moubarak a également très
bien servi les Américains qui, plus on
les sert, plus ils en demandent,
poussant toujours la vassalité à
l’esclavage. Il a créé un mur de
séparation avec Ghaza et fermé les
passages clandestins avec cette partie
sous embargo contrôlée par le Hamas
palestinien. Mais viendra Morsi qui
enverra une lettre enflammée d’amitié à
son homologue Shimon Peres et fermera
près de 40 tunnels, ce que Moubarak
n’aurait probablement jamais fait.
L’échec
des premières révolutions de couleurs
Les Sud-Américains
ont compris ce principe, et ils ont
constitué un front uni qui lui résiste
avec un président progressiste Rafael
Correaa en Equateur, Evo Morales en
Bolivie, alors qu’au Venezuela la mort
d’Hugo Chavez n’a pas eu raison de son
esprit car Nicolás Maduro Moros vient
d’être élu. Les Arabes ont donc fait
leur «printemps» pour maintenir leurs
relations avec Israël et promettre de
les améliorer, pour maintenir leurs
relations avec le FMI et promettre de
nouvelles réformes qui vont ruiner leurs
pays et pour servir de bases arrière au
terrorisme international (contre la
Syrie et au Mali), selon l’agenda
américain. En renonçant à la lutte
contre l’impérialisme et en devenant ses
vassaux, les Arabes viennent de se
condamner à davantage de mépris et
d’oppression, comme ce fut le cas des
décennies durant pour l’Amérique latine
avant qu’elle ne jette le joug. Deux
années après, le «Printemps arabe» n’a
débouché sur aucune amélioration
concrète de la situation, à part au
Maroc où le roi a désamorcé la crise en
apportant quelques réformes
constitutionnelles. En Egypte, la
Constitution précédente semble bien
meilleure que celle de Morsi, concoctée
dans une opacité qui a fait regretter le
règne de Moubarak à beaucoup
d’Egyptiens. Plus grave même que
l’apparition de nouveaux problèmes
économiques, l’on a observé en Egypte et
en Libye des prémisses de guerres
civiles et de velléités de sécessions et
en Tunisie l’apparition de phénomènes de
violence et d’extrémisme jamais observés
dans l’histoire de ce pays, autrefois
très stable et calme. Les seuls
bénéficiaires de ces «révolutions» sont
les Américains et Israël qui se trouvent
renforcés par l’affaiblissement des pays
«printaniers», notamment de la Syrie,
autrefois seul pays craint par Tel-Aviv.
En guise de «Printemps arabe», il
faudrait peut-être parler du «Dernier
quart d’heure des Arabes». Avec
précipitation, on a comparé le
«Printemps arabe» à la chute du mur de
Berlin, alors que l’analogie n’est pas
justifiée, d’autant qu’il apparaît déjà
comme un leurre comme le furent d’autres
révolutions avortées. En 1986, le
dictateur Marcos est tombé mais il n’y a
pas eu de démocratie aux Philippines. En
octobre 1988, il y a eu des
manifestations suivies du multipartisme
en Algérie mais sans démocratie réelle…
Certains pensent encore que les
«révolutions colorées» du monde arabe
vont réussir. En Eurasie, l’objectif des
«révolutions de couleur» – dont le but
était de faire basculer les pays visés
dans le giron de l’alliance occidentale
afin de permettre la poursuite de
l’extension à l’est de l’Otan et de
conforter l’encerclement géostratégique
de la Russie – ont fait un bide. Les
gouvernements issus des «révolutions de
couleur» ont échoué en Biélorussie, en
Moldavie et en Kirghizie, rappelle le
journaliste Alexandre Latsa dans RIA
Novosti. Il précise qu’en Ukraine, la
phase orange n’a duré que six années, le
pouvoir proaméricain et franchement
antirusse n’ayant abouti qu’à la
création d’un conflit gazier (en 2006)
qui a contraint la Russie à créer le
gazoduc paneuropéen de South Stream qui
contourne l’Ukraine et ôte à ce pays
toute capacité de nuisance par un
chantage énergétique dans l’avenir. La
«révolution» orange n’était donc basée
sur aucune vision stratégique de bon
voisinage avec la Russie et a fait
perdre à l’Ukraine l’avantage gazier
qu’elle avait avec son grand voisin. En
Serbie, la situation est pire, et c’est
ce que viennent de mettre à jour les
dernières élections présidentielles qui
ont donné l’avantage aux nationalistes
proches de la coalition Milosevic de
l’époque qui ont repris le pouvoir,
après un interrègne Otpor (Résistance)
de 12 ans qui a considérablement
appauvri le pays et lui a fait perdre
une part importante de son territoire :
le Kosovo. Alexandre Latsa pronostique
que la fin de l’ère Sakaachvili en
Géorgie mettrait un terme définitif à la
séquence historique des régimes de
couleurs d’autant que le revenu par
habitant y a atteint un niveau inférieur
à celui de l’Egypte ou du Swaziland et
le taux de chômage y est officiellement
de 16%, mais avoisinerait les 70% en
réalité. Avec Morsi, la situation
n’augure pas d’un futur paradis
économique ou politique en Egypte, pour
ne parler que de ce pays. Lancée par des
jeunes ignares et d’autres carrément
félonnes, les «révolutions arabes»
apparaissent déjà pour beaucoup comme
des chimères concoctées par l’Oncle Sam
pour les mener à la ruine. Il n’y a pas
que des Arabes dans le collimateur de
Washington : même le Premier ministre
italien Silvio Berlusconi irrite
Washington à cause de son amitié avec
Poutine et de son soutien au gazoduc
russe South Stream qui veut le remplacer
par un gazoduc qatari qui passerait par
la Syrie sans Bachar Al-Assad.
A. E. T.
(A suivre)
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Le Soir d'Algérie
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