Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Un néocolonialisme putride et ses
nouveaux corsaires (12e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Lundi 18 février
2013
Les Etats-Unis ont
pris la base militaire française de la
France à Djibouti. Ce serait la seule
base américaine en Afrique ; or, ils
auraient une base en Égypte et d’autres
en Afrique et même d’Afrique du Nord :
sur Google, il suffit de mettre le nom
d’un pays pour que des informations
troublantes apparaissent… Néanmoins, si
la mission Africom vise à assurer une
présence américaine en Afrique sous le
fallacieux prétexte d’aide à la lutte
contre le terrorisme, aucun pays
africain n’a accepté d’héberger chez lui
son commandement général, lequel s’est,
en définitive, installé en Allemagne et
en Italie (lire 11e partie).
Depuis quelques mois, prétextant de
l’assassinat de leur ambassadeur en
Libye, les Etats-Uniens se sont
implantés de force au Yémen, ce qui
laisse croire que l’histoire des
révoltes musulmanes un certain 11
septembre 2012 après la sortie d’un film
anti-islam a été allumée exprès, comme
on allume des foules dans le livre de
Serge Moscovici, L’Age des Foules. La
vidéo en question était sur YouTube
depuis des mois, et nul n’y a prêté
attention, puis subitement, les rues
musulmanes s’enflamment un certain 11
septembre, cette date devenue fatidique…
Manipulation à l’état pur : Gustave le
Bon doit aller se rhabiller. Comme
Sarkosy a eu son Merah pour sa campagne
électorale, Romney (ou même Obama) a eu
son film anti-islamique qui donne le
même effet que les crimes attribués à
Merah, car ces fanatiques qui brûlent et
qui meurent pour rien donnent raison aux
racistes de tout poil. Donc, les
Etats-Unis menacent de s’installer dans
les fiefs historiques de l'armée
française, dans ce Sahel où elle a
pratiqué tous les coups bas, coups
d’Etat et même corruption comme ces
diamants de Bokassa. La présence
américaine dans son fief peut avoir
agacé Paris, mais entre membres d’une
OTAN dominée par les Etats-Unis, c’est
le respect au plus gradé qui prime sur
les susceptibilités et les humeurs.
D’ailleurs, ni Sarkozy ni Hollande n’ont
le punch d’un de Gaulle qui a envoyé
balader les bidules de l’ONU et de
l’OTAN, refusant d’être à la solde des
mastiqueurs de chewing-gum. Lointains
sont les temps de la fierté, car même
Berlusconi et Erdogan qui avaient
décroché de superbes marchés en Libye
(de 25 milliards de dollars pour la
Turquie) ont rogné un peu quand les
Etats-Unis avaient décidé d’abattre
Kadhafi avant de rentrer dans les rangs
des subalternes et d’envoyer leurs
soldats. Ils se sont joints à la meute
de prédateurs, faute de quoi, le boss de
l’OTAN ne leur aurait pas laissé une
miette en Libye. Pareil en Syrie, où les
meilleurs amis de Bachar El-Assad (Erdogan,
Hamad) sont devenus ses pires ennemis
lorsque l’Amérique a décidé de le
sacrifier sur l’autel du «Printemps
arabe». Il est clair que le Grand
Echiquier de Zbigniew Brzezinski est en
train de se mettre en place, au grand
dam de ceux qui ne lisent pas et ne
prévoient pas. Il est clair qu’un
impérialisme prédateur est en train de
redéfinir ou d’étendre ses zones
d’influence à nos frontières et à la
faveur du système unipolaire qui lui
donne l’avantage. Dans la nouvelle
prédation contre le Mali, le Qatar peut
jouer le bras séculier des Etats-Unis,
soit pour écarter la France des derniers
quartiers du Sahel, soit pour renforcer
le statut de France parce qu’il est
actionnaire dans Areva et Total… Le
Qatar est l’un des outils de l’Oncle
Sam, mais il a aussi ses intérêts
propres. Intérêts : le maitre-mot des
relations internationales. Les naïfs
parlent de divergences
franco-étatsuniennes. Si elles existent,
celles- ci doivent nécessairement
converger vers un seul point : la
défense de leurs intérêts spécifiques et
leurs intérêts communs. La realpolitik
impose de la prudence aux Etats-Unis
pour gagner les populations qui
commencent à mesurer les conséquences
des «printemps arabes», surtout à l’aune
des massacres à Ghaza. N’empêche que la
France est une grande puissance, et
qu’elle tente de jouer son jeu, de
sauver ses cartes en Afrique face aux
Etats-Unis qui avancent dans son fief à
pas de géant, et face aux Russes et aux
Chinois, mais tout en restant proche des
Etats-Unis afin de ne rien perdre de ses
parts dans le cadre atlantique. La
course à l’Afrique a commencé par la
destruction du plus gros verrou,
Kadhafi, l’homme qui contrôlait
plusieurs pays africains qu’il avait
gagnés à sa cause en leur fournissant
une aide financière et économique et en
intégrant leurs ressortissants dans son
économie (des milliers d’emplois).
Kadhafi avait quatre millions de
travailleurs chez lui, avec des projets
pharaoniques qui mettaient les pays du
Golfe en danger, et c’est ce qui
explique d’ailleurs la forte croissance
économique libyenne durant ses dernières
années de règne. L’OTAN a cru pouvoir
vite régler la question syrienne et
dégommer Bachar El-Assad mais elle est
tombée sur un os qui a l’appui de son
armée, c’est-à-dire de son peuple, car
armée signifie peuple, qu’on le veuille
ou non. Tandis qu’au Mali tout a baigné
dans de l’huile et, comme probablement
entendu avec les Russes, l’Afrique sera
désormais américano-européenne, preuve
en est que la Russie et la Chine n’ont
dit mot sur ce qui se passe au Sahel.
Les pays qui se sont mis dans la gueule
du loup en abandonnant le groupe des
Non-alignés se feront bouffer crus
devant le regard impassible de la Russie
qui ne se soucie que de ce qui la
regarde désormais.
Course entre les
grandes puissances et le Qatar
Dans le cadre de sa guerre moderne, la
France s’est investie à fond dans la
lutte cognitive, via ses services de
renseignement, notamment le SDECE et la
DCRI, en envoyant de nombreux nouveaux
Merah renseigner et manipuler des
Maliens : avec ces nouveaux harkis, on
ne sait plus désormais qui est ami et
qui est ennemi car il se dit musulman,
lui aussi, et jure par l’Islam, mais nul
ne lui a dit comment il a pu obtenir
plusieurs passeports pour pouvoir aller
en Israël, en Iran, au Pakistan, en
Algérie et ailleurs. Pour les
manipulateurs de l’ombre, la faillite
des élites compte aussi, tout comme leur
corruptibilité et leur disponibilité à
la manipulation ou à la trahison. Pour
un coup d’essai au Mali, la France a
fait un coup de maître, même si le Qatar
et les Etats-Unis lui ont facilité le
rôle. Si pour les Etats-Unis, brandir le
drapeau n’est pas trop à la mode, pour
un François Hollande en butte à des
difficultés économiques sur son
territoire, voir le tricolore brandi à
Gao, Nouakchott ou Bamako requinque le
moral et rehausse la fierté du coq
conquérant devenu humanitariste. Il est
indéniable que pouvoir cacher une guerre
impérialiste sous l’apparence d’une
guerre humanitaire est une immense
réussite pour un président qui semblait
en panne depuis son accès à l’Elysée.
Puisant dans son fonds colonial, la
France a créé son MNLA pour faire
pression sur Bamako ; tandis que les
Etats-Unis et le Qatar ont créé des
groupes dits «islamistes» pour avoir
leur part du gâteau. Preuve en est que
les pays occidentaux n’ont qu’un seul et
même but est qu’ils apportent tous leur
appui logistique à la France. Les
apparences n’étaient que du leurre pour
la crédibilité du scénario. Quant au
Qatar, il joue parfaitement son rôle :
chauffer le bendir pour les «islamistes»
de tous bords, armés et non amés, au
Mali et ailleurs, en faisant croire
qu’il n’est pas d’accord avec
l’intervention française décidée par
Washington. Un même partage de rôles a
été défini pour les groupes mercenaires
sur le terrain qui ont envahi le
Nord-Mali ensemble et de concert, comme
sur ordre d’un chef d’état-major
suprême, comme sur ordre d’un chef
d’orchestre caché dans l’ombre. Pour
certains observateurs, la France, les
Etats-Unis et le Qatar semblent se faire
la guerre par groupes terroristes
interposés. Il n’en est rien en vérité,
car au-delà des intérêts particuliers de
tout un chacun (France, Qatar,
Etats-Unis, GB…), il y a les intérêts
communs. Après les coups bas du début,
tout est rentré dans ordre pour l’assaut
final et le partage du butin. Et comme
dans une meute, c’est le plus fort qui
aura la plus grosse part, un point c’est
tout. L’OTAN est une meute de
prédateurs. Pour le moment, les
Américains n’ont pas intérêt à trop se
mettre en avant sur la scène musulmane,
ils demandent aux Français de diligenter
une opération qui permette
l’intervention occidentale après avoir
mis en avant une hypothétique force
africaine composite qui risquait d’être
un véritable frein au développement du
terrorisme. Or, le but occidental est de
le promouvoir, pas de le combattre. Par
la même occasion, l’opération Serval
permet à François Hollande d’espérer
blanchir le socialisme de son passé
colonialiste aux yeux de quelques
crédules parmi les musulmans ou les
non-musulmans au Mali et à travers le
monde. Tout comme les Etats-Unis, il
faut aussi toujours une guerre à la
France, de préférence en Afrique. Elle
intervient dans 16 régions différentes
actuellement, avec un budget de moins
d’un milliard d’euros. Elle n’a pas les
moyens de l’Amérique, mais si des pays
du Golfe veulent mettre la main à la
poche, ce n’est pas de refus. La France
s’engage donc au Mali après son retrait
d’Afghanistan, et ce n’est que partie
remise dans une autre région du globe.
Comme tous les locataires de l’Elysée,
de De Gaulle à Pompidou, Valery Giscard
D’Estaing, Mitterrand, Chirac et
Sarkozy, Hollande veut faire sa guerre,
une autre guerre sans fin, une guerre
sans fin qui va créer une nouvelle
«autoroute de l’internationale
insurgée», pour utiliser un terme
d’Alain Gresh.
Une base de drones
américaine au Niger
Aujourd’hui, l’armée
française est à Bamako, sous couvert de
protection des ressortissants français.
Cela signifie qu’elle a obtenu une base
ou un QG. Reste à signer l’accord de
coopération militaire… Peut-être même
que les Français de l’opération Serval y
resteront tant qu’un président ne vient
pas leur demander de partir. Au Tchad,
ils sont également intervenus pour
protéger Hissène Habré, le dictateur
criminel et putschiste, en 1986 et ils y
sont encore. C’est le même scénario qui
se répète : au préalable, la France a
installé une situation de crise au Mali,
puis un putschiste est venu renforcer
son argumentaire, ensuite un intérimaire
sans autorité réelle a été forcé à
demander de l’aide pour que le pays
retombe sous le giron d’une France qui
sait perpétuer son rôle de gendarme de
l’Afrique. Par sa mollesse si ce n’est
par sa léthargie, du moins par son
manque de perspicacité, l’Algérie a
permis de perpétuer ce plan qui a rendu
incontournable le recours à la France
par les autorités de Bamako. Selon le
New York Times(28 janvier 2013), les
Etats-Unis vont créer une base de
lancement de drones dans le nord-ouest
de l’Afrique, au Niger pour être précis,
afin de «combattre» les groupes
terroristes. Selon le même journal, le
commandement américain en Afrique
discute également d'autres options pour
localiser cette base dans d'autres pays
de la région, comme le Burkina Faso. Ces
drones participent de la création du
terrorisme et ont causé des milliers de
victimes au Pakistan, en Afghanistan, au
Yémen et en Somalie. Machiavélique
scénario : on dit au Qatar de perdre des
milliers d’armes en Libye, puis on lui
dit de financer Ansar Dine et Mujao et
Aqmi ensuite on crée une base de drones…
La France, la Grande-Bretagne,
l’Espagne, l’Italie, la Belgique et
l’Allemagne ont accepté d’aider la
France dans son opération Serval, ce
qu’elles ne peuvent faire si elles
n’avaient pas un intérêt. Le
néocolonialisme vient en libérateur
contre l’Islam
castrateur-oppresseur-intégriste-fondamentaliste-terroriste…
Les crimes commis en Syrie et ceux
commis en Libye sont exemptés. Quelle
belle victoire pour l’OTAN ! Quelle
piètre image de l’Islam qu’une poignée
de vendus du Qatar et de voyous maliens
donnent de l’Islam. Pendant que les
décideurs véritables étaient dans
l’ombre, les supplétifs faisaient le
sale boulot, prenaient des otages,
tuaient, pillaient et mourraient, chair
à canon rameutée au nom de l’Islam ou au
nom d’un hypothétique Azawad, deux
arguments au service du néocolonialisme
en marche. Les peuples d’Afrique ont
toujours vécu en communautés pacifiques
jusqu’au jour où le colonialisme a
utilisé le divide ut regnes à des fins
cyniques. Il n’y a presque plus de
véritables groupes djihadistes, mais des
mercenaires recrutés à la porte d’un
bar, d’un stade ou d’un cyber café et à
qui on fait miroiter une belle poignée
de dollars qataris : les 11 Tunisiens et
les 7 Egyptiens qui ont commis
l’attentat d’In Amenas montrent que le
mercenariat a remplacé le «djihadisme»,
comme nous le verrons plus loin.
Mercenaires aussi sont les éléments qui
composent le MNLA qui est composé de
mercenaires déguisés en Touareg pour
pallier le manque d’autochtones dans ses
rangs. Il est probable que les Français
ne représentent qu’eux-mêmes au Mali,
mais le Qatar ne peut représenter que
lui-même dans la question malienne où il
a joué le rôle moteur : si c’est MNLA
(France) qui a servi à la pénétration,
c’est tout de même Doha qui a pu gérer
les groupes «islamistes» en leur
permettant d’arriver jusqu’aux portes de
Bamako, cette ligne rouge tracée pour
une intervention sans mandat de l’ONU et
que Ban Ki-Moon au lieu de condamner a
félicitée ! Les musulmans mis KO par les
chrétiens ! Des Hollande et des François
sont baptisés dans certains foyers
chrétiens maliens qui ont eu peur de
devoir imposer à leurs filles de porter
la burqa des «djihadistes»… Bravo Hamad
pour la promotion de l’Islam ! Grâce à
toi, des drapeaux français sont déployés
dans les rues maliennes…
A. E. T.
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Publié sur
Le Soir d'Algérie
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