Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Les dollars de l'Oncle Sam pour
promouvoir le terrorisme (11e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Dimanche 17 février
2013
Sous le prétexte
d’une «responsabilité de protéger», les
Français ont intervenu au Mali sans
mandat de l’ONU. Les puissances
occidentales les soutiennent pour une
mise sous tutelle programmée de
l’Afrique. Mais dans la tutelle de
l’Afrique, il y a la mise sous tutelle
de la France par les USA, car ceux qui
mènent le jeu au Sahel ce sont les
Américains, avec la complicité de
nombreux pays d’Afrique et d’Afrique du
Nord, qui semblent depuis quelques
années appeler le néocolonialisme de
leurs vœux.
Dans le nouvel ordre mondial qui voit le
jour, la financiarisation est
inséparable de la militarisation, le
monde de la finance étant intimement lié
au complexe militaro-industriel qui a
pris la Maison-Blanche en otage. La
Maison-Blanche, quant à elle, prend en
otage d’autres pays, des plus grands aux
plus petits. Moscou et Pékin et les pays
du BRICS semblent être les seuls Etats à
refuser cette hégémonie, que les
Américains refusent de voir fragilisée,
quitte à ramener les récalcitrants avec
le «gros bâton» cher au président
Theodore Roosevelt. Beaucoup d’éléments
ont argumenté dans le sens d’une
préméditation de l’opération Serval dans
le cadre d’un complot contre le Mali et
les pays frontaliers, pas uniquement
l’Algérie. Mais on a compris que tout le
micmac flagrant montre qu’il s’agit
d’une crise créée de toutes pièces et
que le manipulateur en chef, le
Département de la défense américain (DoD)
la préparait depuis les années 1990,
lorsqu’il a créé des situations
créatrices de crises (crisogènes) par sa
seule présence. Revenons à l’histoire de
la présence américaine en Afrique et à
l’apparition mystérieuse du terrorisme,
à chaque fois qu’une base américaine se
crée dans une région. «L’idée politique
centrale de l’impérialisme, écrit la
philosophe politique Hannah Arendt, est
l’expansion comme un but permanent et
suprême de la politique», tandis que
Chalmers Johnson écrit dans The Sorrows
of Empire. Militarism, Secrecy, and the
End of the Republic : «L’impérialisme ne
peut pas exister sans un puissant
appareil militaire pour soumettre et
policer les gens qui s’opposent sur son
chemin et un système économique pour
financer un établissement militaire
couteux et improductif.»(1) En 2002,
dans une perspective qui s’inscrit dans
le projet impérialiste du Grand
Moyen-Orient, George Bush a créé le plan
Pan Sahel afin de «lutter» contre le
terroriste dans le Sahel ; or, il n’y
avait pas de terroristes au Sahara ni
dans sa région sud, est et ouest, même
après dix années de troubles en Algérie.
Le terrorisme s’est développé au nord du
Maghreb, et s’y est maintenu car il
n’avait pas d’assisses dans le sud,
d’autant que l’Islam traditionnel et
soufi y est très puissant et constituait
un paravent contre les takfiristes,
wahhabites et autres excommunicateurs.
Ce bel Islam de nos ancêtres dérangeait
beaucoup, car il donne une idée forte et
puissamment ancrée d’une tradition
spirituelle et culturelle qui empêchait
la prolifération des parasites. Mais le
Sahel est une région visée par les
Etatsuniens dès que le bloc communiste a
sombré. Déjà, en 1996, ils ont demandé
aux Saoudiens d’envoyer l’agent Ben
Laden au Soudan, non sans avoir concocté
un coup d’Etat dans ce pays afin de
permettre à un Etat «islamiste» d’y
prendre racine. Ben Laden enverra des
armes et des Arabes-Afghans vers
l’Algérie et, au préalable, il écrira
pour ses amis du parti dissous les
paroles de : «Alayha nahia, alayha
noudjahed.»
Programme d’aide,
programme d’asservissement
Pourquoi les Américains voulaient-ils
«combattre» le terrorisme sur un
territoire où le phénomène n’existait
pas si ce n’est pour le créer ? Comme
par hasard, dès l’année suivante, entre
2003 et 2004, le groupe d’El Para
kidnappe plusieurs groupes de touristes
au Sahara ! Le groupe terroriste
nigérian Boko Haram est créé en 2002.
Entre 2007 et 2008, la Mauritanie subit
des attaques et des enlèvements de l’Aqmi.
Le terrorisme était inconnu en Irak
avant 2003 ; aujourd’hui, ce pays est
son fief. En 2008 apparaissent les
djihadistes d’Al-Shabbab, en Somalie.
Moubarak et Benali ont éradiqué le
terrorisme que le «printemps arabe»
vient ressusciter en Égypte et en
Tunisie… Idem pour la Libye et surtout
la Syrie actuellement… où les Américains
s’installent. Le cancer terroriste se
développe, comme s’ils l’inoculaient
directement par injection. En 2005, le
programme US Pan Sahel se transforme en
Trans Sahel Conter Terrorism Partnership
dont l’objectif était de former les
forces militaires des sept pays
sahariens «volontaires» dans leur lutte
contre leurs différents ennemis, y
compris «terroristes», en fait des
alliés sous de faux drapeaux. Tactique
du pyromane pompier… Les Etats-Unis ont
aussi un programme appelé Counter
Terrorism Train and Equip destiné à
apporter de l’aide militaire à des pays
maghrébins et d’Afrique subsaharienne
(Algérie, Burkina Faso, Tchad, Libye,
Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigeria,
Sénégal, Tunisie) en leur offrant
quelques armes et véhicules, du matériel
de communication, des pièces de rechange
et des tenues militaires. Il permet
d’avoir un pied à terre dans ces pays en
attendant mieux, une base militaire, un
puits de pétrole ou une exploitation
minière, par exemple. Ainsi donc, les
Etats-Unis visent l’implantation dans
des pays qui sont traditionnellement
dans le giron français… Peu d’égards
pour la France amie et alliée au sein de
l’OTAN… Mais les Etats-Unis ne sont-ils
pas venus concurrencer la France à
Djibouti en 1981 ? Et comme par hasard,
le piratage s’est développé dans la
corne de l’Afrique dès que la base
américaine de Camp Lemonnier a été créée
en 2003. Les actes de piratage contre
des navires marchands se développent en
même temps que le terrorisme, au fur et
à mesure que la répression grandit.
L’injustice nourrit la révolte, c’est ce
que font semblant de ne pas comprendre
les pays qui ont de longues expériences
coloniales. Une fois le terrorisme
installé en Afrique, George Bush décide
de créer, en 2007, un commandement
unifié pour l'Afrique (United States
Africa Command) dont l'acronyme est
Usafricom ou Africom et destiné, en
premier lieu, à coordonner toutes les
activités militaires et sécuritaires
étatsuniennes sur ce continent. Son
deuxième but est la «géopolitique du
pétrole», soit la sécurisation des
approvisionnements américains par le
golfe de Guinée afin d'amoindrir la
dépendance aux réserves du Moyen-Orient.
Le troisième but est la compétition
économique afin de contrer par un
pré-positionnement militaire US la
montée en puissance de la Chine. Parmi
ces objectifs, on ne sait lequel est
prioritaire, car comptent beaucoup pour
les Etats-Unis les nécessités de défense
pure, soit la dépense du budget
militaire dans des conflits nécessaires
pour le fonctionnement du complexe
militaro- industriel. Ce n’est qu’à cela
essentiellement qu’ont servi les guerres
d’Afghanistan et d’Irak depuis 2003. Car
il faut savoir que la Maison-Blanche a
dépensé près de 5 000 milliards de
dollars en dix ans en Irak et en
Afghanistan, sommes qui sont allées dans
les coffres du complexe
militaro-industriel et ceux d’autres
entreprises étatsuniennes. La recette
est simple : on crée la pauvreté dans un
pays, et lorsqu’il devient
ingouvernable, on y envoie des
terroristes qu’il s’agira d’éliminer
sous prétexte qu’ils menacent le «monde
libre». Ainsi, la chaîne de production
d’armes tourne à fond pour doter à la
fois les terroristes et les pays qui
combattent le terrorisme. En 2008,
Jeremy Keenan, un anthropologue très au
fait des choses du terrorisme et du
renseignement, écrivait dans la revue
d’intelligence Menas: «Rares sont les
endroits au monde qui ont été autant
sujets à désinformation que le nord du
Mali et sa frontière avec l’Algérie. Il
est vrai que c’est le point focal de
l’administration Bush en ce qui concerne
sa fabrication d’un second front
saharien dans sa soidisant guerre contre
le terrorisme.» En 2009, le Mali a
bénéficié du programme Trans Sahel
Conter Terrorism Partnership, mais au
préalable, les Etats-Unis ont imposé à
ce pays criblé de dettes une
restructuration qui l’a davantage
affaibli puis entraîné dans le gouffre
actuel. En un tour de passe-passe
américano-franco-qatari, voilà le Mali
coupé en deux, avec un nord occupé par
une nébuleuse d’islamistes et de
pseudo-rebelles également à la solde.
Puis voilà les Français qui accourent
pour sauver un peuple de barbares
islamistes… qu’ils ont pris soin de
doter des armes les plus sophistiquées…
La guerre, seule
logique de la Maison-Blanche
Pour renforcer sa présence en Afrique,
au détriment d’une France qui n’a plus
d’argent pour y être présente,
Washington va, selon le Département
d'Etat américain, déployer une centaine
de conseillers en Afrique de l'Ouest et
les répartir au sein des contingents
africains de six nations : Niger,
Nigeria, Burkina Faso, Sénégal, Togo et
Ghana, qui fournissent des troupes à la
Misma. Ces «mentors» dépendent du
programme African Contingency Operations
Training and Assistance (ACOTA). Même
s’ils ne seront pas déployés sur le
territoire malien, économiquement, il
s’agit d’une ingérence dans une chasse
gardée, même s’il s’agit d’un allié
atlantique. Pour comprendre cette
stratégie, il faut savoir que le budget
américain est de 755 milliards de
dollars (2010) alors que celui de la
Chine est de seulement 143 milliards de
dollars, que celui de la Russie est de
71, 9 mds et celui de la France de 62,5
seulement. Le budget défense des
Etats-Unis est non seulement colossal,
mais il est plus important que tous les
autres secteurs réunis : il bouffe plus
que la moitié du budget du pays alors
que celui de la France est le deuxième
après celui de l’éducation. En 2011, le
budget du DoD représente 41% du total
mondial de défense par rapport à la
Russie qui n’en détient que 4,1% et la
Chine 8,2 % tandis que l’Arabie Saoudite
en détient 3%. La véritable course aux
armements n’a jamais été aussi folle
qu’aujourd’hui, car l’Amérique dope les
achats en imposant une surenchère,
ensuite grâce au terrorisme qui cible
les pays non amis et ennemis. Ainsi, les
pays arabes, qui soutiennent le
terrorisme (Arabie Saoudite, le Qatar et
les autres pays du Golfe) sont devenus
des investisseurs dans l’industrie
militaire occidentale par le biais
d’opérations de leurs fonds souverains,
et ce, indirectement ou directement dans
certaines entreprises liées au complexe
militaro-industriel (Carlyle et la
société militaire privée Vinnel) : des
enjeux importants les lient désormais au
terrorisme qui nourrit le complexe
militaro-industriel… Le problème malien
s’inscrit donc dans une stratégie
géopolitique globale qui dépasse les
acteurs apparents (groupes terroristes)
et même ceux qui se sont mis en avant
depuis le début ou dernièrement (Qatar
et France) : elle s’inscrit dans un plan
du Grand Moyen-Orient tout comme les
«printemps arabes» qui visaient à
éliminer tous les raïs (Benali, Moubarak
et surtout Kadhafi) susceptibles de
s’opposer à la création, à leur
frontière (Mali), d’un Etat failli où se
déploient les groupes terroristes, tout
comme en Afghanistan. Fin 2010, Obama
avait dit vouloir renforcer l’armée
américaine et lui donner de nouveaux
«partenaires» pour la réussite de ses
objectifs : il ne dit pas alliés car
ceux de l’Occident sont connus ; il
s’agit donc de ces innombrables traîtres
à leur nation qui prolifèrent depuis les
«printemps arabes». Ce sont les services
de renseignements étatsuniens qui
recrutent les traîtres, ainsi que des
agences supposées de droits de l’homme,
des ONG supposées humanitaires ou
destinées à «promouvoir la démocratie
dans le monde», comme l’Open Society, le
Fondation Soros, la National Endowment
for Democracy… D’ailleurs, ces trois ONG
liées à la CIA ont joué un rôle
fondamental dans les «printemps arabes».
A.E.T.
(A suivre)
1. Traduction Ali El Hadj Tahar.
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Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
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