Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Saper le nationalisme des Touaregs, un
vieux plan de De Gaulle (7e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Mardi 12 février
2013
En juin 2012, le
président nigérien Mahamadou Issoufou a
affirmé que des mercenaires «afghans et
pakistanais» étaient présents dans des
camps d'entraînement du septentrion
malien : «On a des informations sur la
présence d'Afghans et de Pakistanais
dans le nord du Mali, (…) de djihadistes
venus de pays non africains. Ils
serviraient de formateurs. Ce sont eux
qui entraînent ceux qui sont recrutés
dans les différents pays d'Afrique de
l'Ouest.»
Il a ajouté : «Tout cela est coordonné :
cela va du Sahara jusqu'en Somalie (…)
Je crois que toutes ces organisations
coopèrent entre elles, que ce soit les
Shebab en Somalie, Boko Haram au
Nigeria, AQMI en Algérie et au Sahel en
général, jusqu'en Afghanistan.» Le
président nigérien a terminé : «Notre
préoccupation, c'est que le Sahel ne se
transforme pas en un nouvel
Afghanistan», précisant que «ces groupes
armés du Nord continuent à
s'approvisionner en armes dans le
sud-ouest de la Libye». Contrairement à
Sellal, il ne mâche pas ses mots,
estimant que cette zone du Sud libyen
«constitue une base d'appui pour les
factions armées présentes sur le
territoire malien». Tout est résumé.
Toutes les armes que l’OTAN a déversées
en Libye en 2011 n’étaient pas
uniquement destinées à déboulonner
Kadhafi, mais à d’autres «agendas».
William Engdahl, un économiste américain
spécialiste en géopolitique et énergie
depuis plus de trois décennies, pense
que «l’intervention au Mali est un autre
avatar du rôle de la France dans la
déstabilisation que nous avons vue,
spécifiquement en Libye l’an dernier et
le renversement du régime de Kadhafi.
Dans un sens, cela représente le
néo-colonialisme français en action». Il
ajoute : «Mais, curieusement, je pense
que derrière l'intervention française il
y a la main très forte du Pentagone
américain qui cherche la préparation de
la partition du Mali.» Engdahl va plus
loin : «Je pense que l’AQMI est une
organisation très suspecte et le
calendrier de ses activités laisse
supposer que certains pays de l'OTAN
l’aideraient à obtenir des armes et
créer le casus belli qui justifierait
l'intervention de l'OTAN.» Pour lui, l’afghanistanisation
du conflit est en cours, du fait même de
l’intervention armée : «Le conflit est
appelé à traverser les frontières vers
les pays voisins et pourrait engloutir
la totalité de l’Afrique de l'Ouest.»
Mireille Fanon-Mendes-France, fille de
Frantz Fanon et experte aux Nations
unies, écrit : «Se pose, à l’heure
actuelle, la question des alliances pour
mener cette guerre dont les premières
victimes seront les Maliens eux-mêmes,
mais aussi les Mauritaniens, les
Nigériens, les Burkinabais, les
Algériens avec des conséquences
évidentes pour les Guinéens, les
Ivoiriens et les Sénégalais. Autant dire
que toute l’Afrique sahélienne et de
l’Ouest pourrait s’embraser et
s’enfoncer dans une guerre sans fin à
l’instar de celles menées en Irak et en
Afghanistan.» Beaucoup d’autres auteurs
pensent que la crise malienne s’inscrit
dans un «agenda», pour utiliser le terme
employé par notre ministre des A.E., M.
Medelci, et ceux qui parlent d’une
volonté de transformer le Sahel en
Sahelistan où pulluleraient des
terroristes. D’abord, définissons ce qui
est entendu par Sahelistan, un terme
consacré par un président (le Tunisien
M. Marzougui) et une situation à
laquelle ont fait clairement allusion le
président nigérien Mahamadou Issoufou et
le chef du gouvernement algérien, M.
Sellal. C’est d’abord un conflit où des
forces internationales sont impliquées
pour soi-disant lutter contre le
terrorisme. En vérité, il s’agit d’un
conflit où des forces internationales
sont impliquées pour les propres
intérêts économiques, géostratégiques et
militaires en développant le terrorisme
et le nourrissant par des moyens directs
(opérations secrètes, financement et
soutien par le biais d’Etats-valets) ou
indirects par leur seule présence du
fait des «dommages collatéraux» qu’ils
causent : des missiles tombés sur des
écoles ou des marchés, des soldats
«fous» qui brûlent le Coran, des drones
qui ciblent des bus, développement
exponentiel de la culture et du trafic
de la drogue, développement de la
corruption, pillage des ressources et
autres Abou Ghraïb de ce genre. Ces
phénomènes induisent parfois des
réactions saines d’autodéfense des
peuples mais qui sont récupérées par des
agents travaillant pour l’ennemi et dont
ces innombrables Al-Qardaoui font
partie.
Une résolution comme
un blanc-seing
Un conflit type
Afghanistan ne sera pas ruineux pour le
seul Mali. Il détruira toute une région,
avec un prolongement de la guerre dans
les pays frontaliers. La première guerre
d’Afghanistan (1979-1996) a eu des
répercussions économiques et
sécuritaires graves sur le Pakistan, qui
a voulu servir de base aux
Afghans-Arabes pour détruire son voisin
sous prétexte qu’un régime socialiste
était en place à Kaboul. La deuxième
guerre d’Afghanistan (depuis 2001) a mis
le Pakistan à plat : la désolation et la
misère sont pires qu’en Afghanistan,
notamment la région frontalière avec le
pays où les Américains ont prétendu
vouloir éliminer Ben Laden, Al-Qaïda et
les talibans. Sous ce fallacieux
prétexte, les Etats- Uniens ont mené des
milliers d’opérations au Pakistan, et
les seules attaques au drone Predator
ont causé près de 687 morts dans ce pays
entre 2008 et 2010, avec une attaque qui
a tué treize villageois pakistanais d’un
seul coup. Les morts parmi les civils,
les déplacés et tous les autres facteurs
induits par la guerre et par la présence
étrangère ont généré au Pakistan et en
Afghanistan de la sympathie populaire
pour les terroristes qui se sont
transformés en insurgés et dont la cause
incite des recrues d’origines diverses.
Apparemment, c’est ce que souhaite
l’impérialisme américain qui ne perd
rien, dans la mesure où il a réduit le
seuil des morts durant les guerres à un
niveau plus qu’acceptable. Treize années
de guerre au Vietnam (1960-1973) ont
causé la mort de 52 000 Américains alors
qu’en douze années, la guerre
d’Afghanistan n’en a causé que 2.000, du
fait des progrès technologiques. La
France, ancienne puissance coloniale,
aujourd’hui soucieuse des «droits de
l’homme» au Mali et en Syrie, mais pas
en Palestine, dit qu'elle ne
participerait qu'en soutien logistique à
une intervention entérinée par le
Conseil de sécurité. Nul doute que les
Etats-Unis cachent aussi leur jeu mais
ils voteront pour une résolution
d’intervention, attendue comme un
blanc-seing pour des enjeux à la fois
complémentaires et concurrents de ceux
de la France. Des plans s’élaborent et
se mettent sur le terrain mais leurs
desseins n’apparaissent que lorsqu’ils
sont sur le point d’avaler leur proie.
Sur le terrain, les acteurs exogènes ont
joué leur rôle. Les services des
renseignements étrangers n’ont commis
aucune erreur. Des élites maliennes et
celles de certains pays africains ont
trahi. Les traîtres arabes ont fourni
armes et argent. Les peuples ne
tarderont pas à avaler la pilule d’une
«ingérence humanitaire», la première à
passer comme une lettre à la poste, sans
grosses contestations populaires.
L’opinion occidentale est conquise par
la «bonté» de la France et, partant, de
l’OTAN. Les partis en France sont
unanimes pour une intervention. Quant
aux acteurs du terrain, ils ont fait le
sale boulot : tué, coupé des mains,
détruit des mausolées pour donner une
piètre image de l’Islam. Le scénario
étant fin prêt, le Rambo français
pouvait entrer en scène. Juste quelques
détails, une visite de Hollande à Alger,
suivie de celle de Hamad bin-Khalifa Al-Thani
également à Alger, pour que des avions
français se mettent à siffler au-dessus
du ciel, qui fut paisible, des
Algériens. Si au moins le conflit ne
concernait pas directement notre pays
comme l’a dramatiquement montré
l’attentat d’In Amenas… La visite de
Hamad à Ghaza n’a-t-elle pas été suivie
de la mort du chef militaire du Hamas,
Ahmad Jaabari, puis d’un déluge de feu
israélien ? Sa mission de bonne volonté
au Soudan n’a-t-elle pas été suivie par
la partition du pays ?
Faction fantoche à
la solde du néocolonialisme
Comme par hasard, le terrorisme
islamiste sahélien qui justifiera
l’ingérence française se trouve sur les
routes du pétrole, du gaz et de
l’uranium. Et comme par hasard,
l’intervention coïncide avec un
basculement des équilibres
géostratégiques, géopolitiques et
géoéconomiques vers l'Est, un
basculement que l’Alliance atlantique
veut empêcher coûte que coûte. Au Mali
comme en Syrie, il s’agit d’empêcher la
Russie et la Chine de jouer dans la cour
traditionnelle d’une France qui reste
fidèle aux principes du colonialisme et
d’une Amérique qui s’estime partout chez
elle. Comme par hasard, le Mali figure
parmi les quatre pays les plus
déshérités du monde, avant le Burkina
Faso, le Niger et la Sierra Leone qui
sont d’ailleurs voisins ou très proches
l’un de l’autre. Les revendications
indépendantistes du MNLA sont de
l’indécence dans une situation de
désespoir du peuple malien qui souffre
de faim, d’analphabétisme, de problèmes
de santé, de manque d’eau et d’hygiène.
Le Qatar, qui détient 4% de la dette
malienne, aurait pu l’effacer et aider
ce pays au lieu de lui ajouter une
misère sécuritaire à une misère
économique, et de causer l’une des
crises humanitaires les plus graves du
XXIe siècle. Le Qatar veut des
wahhabites à Bamako, des puits de
pétrole pour Total où il est
actionnaire, plus d’uranium pour Areva
où il l’est également, sans oublier une
base américaine pour les Etats-Unis et
une autre pour la France, tout en
enfonçant l’Algérie et en obligeant les
pays de la région à grossir leur facture
d’armement pour enrichir tous les
marchands de canons. Comme par hasard,
le MNLA revendique une terre qui ne lui
appartient pas et qui correspond à la
zone que la France coloniale voulait
concrétiser par la loi n°57-27 du 10
janvier 1957 et qui porte création d’une
«Organisation commune des régions
sahariennes» (OCRS) afin de n’accorder
que des indépendances incomplètes aux
pays de l'Afrique occidentale française
(AOF) et de l'Afrique équatoriale
française (AEF), comme l’a prouvé le
rêve gaullien d’amputer l’Algérie de son
Sahara. C’est une même promesse qu’on
fait miroiter aujourd’hui dans le cadre
des politiques impérialistes et
néocolonialistes. Joli scénario pour les
futurs James Bond
franco-américano-qataris… D’ailleurs,
même si le MNLA représentait vraiment
les Touareg (une population de 250 000
habitants sur 14 millions de Maliens !),
au nom de quelle logique oserait-il
revendiquer plus que la moitié du
territoire malien ? En vérité, les
Touareg maliens n’ont aucune velléité
indépendantiste, tout comme les Touareg
d’Algérie et des autres pays ou comme
les Kabyles, les Chaouis ou les Chleuhs
marocains. Chacune de ces ethnies est
intimement liée à son pays, et il n’y a
aucune différence entre les hommes bleus
maliens et nigériens des Touareg
libyens, algériens ou burkinabés. Les
problèmes essentiels des Touareg sont
liés au pastoralisme qui connaît des
difficultés du fait de la sécheresse,
même en Algérie. La manipulation
étrangère d’une détresse humaine a
aggravé le cas malien.
A. E.-T.
(A suivre)
Lire la
6e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
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