Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Croustillantes histoires
d'espions-otages français (8e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Lundi 11 février
2013
Pour pénétrer dans le
Sahel, une faction prétendument
indépendantiste et des groupes
prétendument «djihadistes» ont été
recrutés. Entre rébellion ethnique et
revendications islamistes, certains
groupes touareg maliens ne cherchent que
l’intérêt personnel et ne font que
noircir l’image de leur communauté qui
continue cependant à jouir d’un immense
respect dans tout le Sahel et le Sahara.
Les manipulateurs se sont permis de
découper un morceau de Sahara, au nord
du Mali, et l’appeler Azawad.
Entre-temps, l’impatience française
monte. Alger irrite en essayant de faire
capoter le plan, en essayant d’isoler
Ansar Dine et le MNLA de ses tuteurs.
Combien d’otages lui faut-il encore pour
qu’Alger se décide à rentrer dans les
rangs des supplétifs de l’armée
néocoloniale ? Combien d’attentats lui
faut-il après ceux de Tamanrasset et de
Ouargla ? Évidemment, il faut encore
continuer à chauffer le bendir, comme on
dit en Algérie, dans une dramatisation
qui rendrait inévitable l’ingérence
d’une puissance atlantique d’autant que
certains donnaient l’impression d’avoir
peur. Pour cela, ne disait-on pas que
risquer l’entreprise serait s’embourber
dans le désert ? Que les terroristes
avaient l’avantage de la connaissance du
terrain et qu’une armée classique ne
pouvait gagner dans une guerre contre
des forces volatiles… ? Or,
l’intervention de plusieurs puissances
contre 2 000 ou même 6 000 terroristes
est une supercherie. L’armée malienne
est capable de résoudre son problème
toute seule, à condition que les
conditions d’exercice du pouvoir soient
réunies. Mais cela on le lui avait
enlevé en fomentant un coup d’Etat. De
l’argent pour acheter des munitions, des
armes et recruter des soldats : c’est
aussi simple que cela. Puis, il faut de
nouveaux arguments pour intervenir, du
moins aux yeux de son opinion publique…
Comme par hasard, des ressortissants
français sont pris en otages. Voici
l’histoire d’espions otages, une
histoire bien française. Déjà en
septembre 2010, Aqmi a kidnappé cinq
Français employés des sociétés Areva et
Vinci à Arlit, un village nigérien, mais
avec une complicité avérée, selon le
responsable sécurité du site (lire 6e
partie). Prendre des Français en otages
permet de légitimer l’intervention non
pas africaine mais française. Puis il y
a eu la prise d’otages des 7 employés du
consulat enlevés au Mali. Certaines
sources font le lien avec les services
français qui, en mettant l’Algérie dans
une situation identique, voulaient
l’amener à l’option militaire au Mali,
afin d’ouvrir le champ à une présence
prolongée, ou un bourbier pour l’ennemi.
Puis, il y a les deux otages français
enlevés par Aqmi depuis novembre 2011 :
même la presse française a fini par
admettre la thèse du journal malien, le
Combat, disant qu’ils seraient plutôt
des agents secrets. Il s’agit de
Philippe Verdon, Serge Lazarevic,
identifiés par une personnalité
religieuse influente de la région du
nord du Mali comme responsables de la
formation et de l’encadrement d’une
milice qui était en formation dans la
région où ils furent kidnappés par Aqmi
à Doumbia, Hombori. Selon la source, ils
étaient probablement en train de former
une des milices (MNLA ou Mujao) qui
allait prendre le pays deux mois plus
tard, le 17 janvier 2012. «Les hommes ne
sont pas des inconnus des services
secrets français», selon le site de la
radio : «En 1999, Serge Lazarevic
apparaît ainsi dans une procédure
judiciaire en Serbie, visant un réseau
clandestin financé par le
contre-espionnage français : il était
chargé d’assassiner le président
Slobodan Milosevic.»
Espions et guerres
cognitives par procuration
D’origine hongroise,
Lazarevic aurait également participé au
recrutement de mercenaires yougoslaves
envoyés combattre au Zaïre, dans le
cadre d’une opération, «là encore»,
suivie de près par le renseignement
français. Concernant l’autre Français
enlevé au Mali, Europe 1 écrit qu’il
avait été arrêté «en septembre 2003 aux
Comores pour avoir voulu renverser le
pouvoir du colonel Azali Assoumani dans
une tentative de coup d’Etat
rocambolesque». Bob Denard, le célèbre
mercenaire, a reconnu connaître ce
personnage et c’est apparemment en tant
que formateur d’une milice adverse qu’il
aurait été kidnappé par Aqmi. Des
témoins maliens l’ont reconnu comme
étant l’un des encadreurs d’une milice
au Nord-Mali, avant son kidnapping. En
outre, Radio France International a
diffusé la photo prise à Gao, Mali, de
deux ressortissants français à qui elle
attribue la qualité de «djihadistes».
Les deux hommes, des Français de souche,
armés de kalachnikovs, sont assis à
l'arrière d'un pick-up à côté d'un
membre d'un des groupes armés qui
sévissent à Gao où les sept diplomates
algériens sont détenus. Selon une source
informée du site Algeriepatriotique, les
deux Français appartiendraient aux
services du renseignement extérieur
français et auraient été dépêchés au
Mali, par la caserne Mortier, siège de
la DGSE, pour prêter main-forte aux
terroristes et justifier ainsi la
nécessité d'une intervention étrangère
dans ce pays. Cette thèse est d'autant
plus plausible que les «djihadistes»
français ont tous des origines
maghrébines ou africaines. En outre, il
y a un autre ressortissant français, un
certain Abdel Jelil, de son vrai nom
Gilles Le Guen, qui était un membre
depuis plusieurs mois d’Aqmi dans le
nord du Mali et qui a été arrêté et
emprisonné en novembre 2012 par ce
groupe qui le suspecte d’être un espion
français. Risque professionnel oblige.
Pour aggraver la situation, un autre
Français, âgé de 61 ans, M. Rodriguez
Léal, est enlevé à Nioro, à la frontière
mauritanienne le mercredi 21 novembre
2012, alors qu’il se trouvait au Burkina
Faso et a mystérieusement décidé de se
rendre dans une région infestée de
terroristes dans son camping-car. Les
renseignements et les forces spéciales
sont le moteur des guerres par
procuration pour conquérir de nouveaux
territoires, qu’ils ne voient plus comme
pays souverains mais comme terres de
conquête, comme au temps des empires
coloniaux. Ils s’exécutent même par le
biais de mercenaires et de supplétifs et
d’agences militaires privées qui se
chargent parfois de recruter ceux qui
tuent, ceux qui se font tuer, et ceux
qui entraînent les deux à s’entretuer.
Blackwater compte parmi les plus
célèbres de ces sociétés de la mort qui
a commencé à travailler pour le
Pentagone en Afghanistan et en Irak pour
des budgets de plusieurs millions de
dollars/an. Pour préparer la grande
mission de sauvetage, des otages
français et d’un Nord-Mali pris en
otage, la France et ses alliés
occidentaux ont assidûment mis en avant
la transformation du Sahel en lieu
infesté de terroristes dangereux que
l’on croirait capables de traverser la
mer pour plastiquer Marseille ou
Londres. Or, malgré tout l’argent qatari
et les moyens fantastiques mis en place,
l’effectif total des quatre groupes de
mercenaires (Ansar Dine, MNLA, Mujao,
Aqmi) se situerait entre 2 000 et 5 000
hommes, selon les sources occidentales,
alors que les renseignements algériens
estimeraient les mercenaires dits
djihadistes aguerris à 1 500 ou 2 000
tout au plus. Les mercenaires et les
jeunes recrues ne seraient pas prêts à
risquer leur vie pour des dollars
qataris. Tous les officiels français
s’évertuent à dire les compétences
techniques et opérationnelles de ceux
qu’ils appellent les «islamistes» pour
signifier que ce n’est pas la malingre
armée malienne qui pourrait en venir à
bout. Pour justifier l’intervention, on
disait l’armée malienne totalement
désorganisée, sans moyens ni logistique,
et que ses généraux ne portaient même
pas leur tenue militaire. Or, certaines
unités ont montré leur courage malgré la
faiblesse de leurs moyens. Ce discours
ne visait peut-être pas à démobiliser
davantage l’armée malienne car une armée
n’a jamais peur, mais visait-il à
influencer l’opinion européenne,
française précisément, à envoyer ses
Rambo sauver les pauvres Maliens ? Les
armes maliennes commandées par le
président déchu sont toujours bloquées
dans des ports africains. Les médias
présentent l’armée malienne comme une
armée incapable, alors qu’elle est otage
d’une conjoncture politique nationale et
internationale qui l’a complètement
paralysée. Or, en octobre 2012, les
djihadistes d’Al-Shabbab qui sévissaient
depuis des années dans la ville de
Kismaayo ont été délogés en quelques
heures seulement par les forces de
l’Union africaine en Somalie (Amisom)
qui ont également repris d’autres
localités. Ce ne sont pas des groupes
terroristes, des mercenaires sans
conviction et quelques rebelles divisés
qui pourraient effrayer des armées
régulières africaines ayant le soutien
des populations maliennes et sahariennes
connues pour leur pacifisme et qu’il ne
faut pas assimiler aux trublions
sécessionnistes ni aux mercenaires
«djihadistes». Une ingérence étrangère
peut dégénérer si elle est le fait de
forces occidentales ou manipulée, et
c’est cette deuxième menace qui se
profile dans le cas malien. Il se peut
que cette option ait été choisie pour
les risques de dérapages qu’elle porte,
même de manière involontaire.
Même langage martial
que George Bush
Fabius disait que
l’engagement militaire français ne
durerait que quelques semaines, et comme
en réponse à M. Medelci, a tenu à
souligner que l’intervention au Mali ne
se transformerait pas en «un autre
Afghanistan». Par contre, le ministre
français de la Défense, Jean-Yves Le
Drian, a dit que l’opération nécessitait
des années. Exagérer la puissance
terroriste au Mali, c’est nier que
l’Algérie a éradiqué des dizaines de
milliers de terroristes en quelques
années et la Syrie en a éradiqué des
milliers au seul mois de décembre 2012.
L’armée malienne n’a pas été vaincue par
des terroristes mais par l’absence de
moyens. Spécialiste shakespearien, David
Cameron, le Premier ministre
britannique, dira, quant à lui, que la
crise pourrait engendrer une bataille
décennale. «Cette menace globale
requiert une réponse globale. Elle
requiert une action qui se comptera en
années si ce n’est en décennies, plutôt
qu’en mois. Elle requiert une réponse
qui suppose de la patience et de
l’endurance, une réponse à la fois dure
et intelligente, mais qui est avant tout
une décision d’acier ; et c’est ce que
nous allons prouver au cours des années
à venir (…) Nous faisons face à un
groupe terroriste extrémiste islamiste
lié à Al-Qaïda», a-t-il précisé. Si ce
n’est pas cela un projet pour un nouvel
Afghanistan au Mali, alors le Premier
ministre britannique dit n’importe quoi.
Cameron emploie les mêmes mots, le même
ton froid que George Bush, le lendemain
du 11 septembre 2001 et des jours de
campagne anti-irakienne qui suivirent.
Le lancement d’une guerre d’envergure en
Irak était décidée, sous un prétexte qui
n’a rien à voir avec l’Afghanistan ni
avec l’Irak, et qui se répète
aujourd’hui à nos frontières. La seule
différence est que les deux guerres
contre les deux pays n’avaient pas été
scénarisées comme celle du Mali. Lors
d’une rencontre sur le Mali entre David
Cameron et François Hollande, le compte
rendu officiel dira que «les deux
dirigeants ont convenu que la situation
au Mali constitue une menace réelle pour
la sécurité internationale, compte tenu
de l’activité terroriste là-bas. La
coordination franco-anglaise est
parfaite. La répartition des tâches par
le chef d’orchestre américain,
aujourd’hui à l’ombre pour des questions
de politiques intérieure (il n’avait pas
encore prêté serment lors de la nouvelle
incursion d’Ansar Dine au Mali) et
extérieure, car les forces sont engagées
en Afghanistan et une nouvelle
intervention dans un pays musulman,
après la Libye, la Syrie et le Yémen,
attiserait trop la haine. Or, il faut
juste assez de haine pour recruter des
terroristes et faire l’opération. Les
politiciens américains, les chefs
militaires et les médias ont également
pendant des mois fait du Mali une
nouvelle «centrale de la terreur»
mondiale, laissant entendre que les
gouvernements occidentaux devaient agir
de façon décisive pour éliminer ce
danger. Une «centrale de la terreur»
exige «guerre à la terreur» pour être
fidèle à Bush, et sauver la civilisation
de la barbarie. Là ce n’est pas un «Etat
voyou» qui sème la pagaille dans le
monde comme en Syrie, ni un dictateur
qui agresse son peuple comme en Libye,
ni un sanguinaire comme Saddam qui
brandit des armes de destruction
massive, mais des groupes barbares qui
agressent un Etat et un peuple. Le
scénario idéal pour une mission de
conquête déguisée en mission
humanitaire. Or, la disponibilité de
moyens et l’effacement de la dette
auraient permis au Mali de gérer cette
crise comme un simple problème
sécuritaire, et non pas comme une guerre
avec des conséquences qui ont engendré
800 000 déplacés. Aucun pays n’a aidé le
Mali lorsque les quatre groupes rebelles
l’ont de concert attaqué. Cent
militaires, dont des Touareg, ont été
sauvagement assassinés par la horde des
quatre groupes menés par le prétendu
MNLA touareg : l’Occident n’interviendra
que lorsque le décor sera fin prêt pour
une «mission humanitaire» au profit d’un
peuple violenté par des islamistes.
A. E. T.
(A suivre)
Lire la
7e partie
Lire la
9e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
Les dernières mises à jour
|