Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Guerre au terrorisme ou guerre pour le
terrorisme ? (5e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Dimanche 10 février
2013
Ce n’est que le 12
octobre 2012, lorsque tout le
septentrion malien est occupé que le
Conseil de sécurité des Nations unies
(CSNU) se réunit pour demander à la
Cédéao et à l’Union africaine d’établir
un plan d’action par sa résolution
numéro 2071. Elle donne 45 jours à ces
organisations pour préparer leurs plan
et feuille de route ! Pas d’urgence tant
que meurent des Maliens. Qui se souciait
de la famine qui sévit dans toute la
bande sahélienne ? La France se taisait
à l’époque.
Le plan sera donc soumis à l’ONU en vue
de l’adoption d’une nouvelle résolution
qui permettrait l’intervention de la
future force, appelée désormais Mission
internationale de soutien au Mali sous
conduite africaine (Misma), dans les
zones actuellement sous contrôle des
groupes armés du Mouvement national de
libération de l'Azawad (MNLA), d’Ansar
Dine, d’Aqmi et du Mujao. Ce qui est
étrange et extraordinaire, qui trahit la
pensée impérialiste des rédacteurs qui
font partie du Conseil de sécurité,
c’est qu’il est textuellement écrit dans
la résolution 2071 adoptée par le
Conseil de sécurité : «La situation au
Mali constitue une menace contre la paix
et la sécurité internationales. Elle ne
dit pas une menace pour le peuple
malien, pour l’Etat malien ou pour
l’intégrité du territoire malien ! Si
l’on s’en tient uniquement au contenu,
la résolution ne vise pas les intérêts
du Mali mais à protéger «la paix et la
sécurité internationales», et ce n’est
que subsidiairement que le CSNU impose
la mise en place d’une force militaire
internationale «en vue de la reconquête
des régions occupées du nord du Mali».
Selon Alterinfo (6-4-2012), depuis 2011,
des convois d’armes libyennes ont été
acheminés au Mali, via le Tchad, avec
les complicités des services de
renseignements français.(1) Etaient-ils
destinés au MNLA, au Mujao ou aux autres
factions de mercenaires ? Des
ressortissants français sont pris en
otages en Afrique. La France tente de
libérer l’un d’entre eux en Somalie, un
certain Denis Allex, un agent de la DGSE
enlevé le 14 juillet 2009, à Mogadiscio.
L’opération est ratée et le commando
perd deux soldats en plus de l’otage. La
France continue à faire pression pour
trouver un bon alibi pour intervenir au
Mali, mettant en avant ce nouveau drame.
Un bon casus belli justifierait
l’invasion coloniale américaine
camouflée sous les bons hospices de
l’ingérence humanitaire. A Bamako, le
fragile gouvernement de transition a
désigné une ligne rouge à ne pas
franchir par les mercenaires : le
franchissement de cette ligne mettra le
pouvoir central en danger. Au Tchad, en
1986, une ligne rouge (celle du 16e
parallèle) a aussi été désignée par
Hissène Habré, le dictateur qui a
demandé de l’aide à Paris lorsqu’il
s’est senti menacé par l’armée libyenne
en soutien aux forces loyales au
président déchu Goukouni Oudeï. Pendant
ce temps-là, les forces mercenaires ne
cessent de renforcer leurs positions au
Mali, grâce aux armes et à l’argent
qataris. En se basant sur une
information de la Direction du
renseignement militaire (DRM) française,
le Canard enchaînédu 26 mars 2012, a
révélé que des 4x4 frappés du
Croissant-Rouge qatari ont été vus au
Mali et a précisé que Doha finançait les
groupes armés qui ont pris le contrôle
du nord de ce pays : selon la source de
l’hebdomadaire, «les insurgés du MNLA
(indépendantistes et laïcs), les
mouvements Ansar Dine, Aqmi (Al- Qaïda
au Maghreb islamique) et Mujao (djihad
en Afrique de l’Ouest) ont reçu une aide
en dollars du Qatar». Le Canardinsistait
sur le fait que les responsables
français, au premier rang desquels le
ministre de la Défense, n'ignoraient
rien de l’affaire et que la Direction
générale de la sécurité extérieure
(DGSE) aurait transmis plusieurs notes à
ce sujet à la présidence de la
République française. Des mois durant,
les 4x4 frappés du sigle du
Croissant-Rouge qatari ont continué à
sillonner le désert malien, bourrés de
dollars, sans que l’Elysée réagisse. Des
avions auraient même atterri au Mali de
nuit et déchargé des cargaisons, selon
des témoins maliens.
Terrorisme
transnational et intérêts qataris…
Le 3 avril sept
diplomates algériens sont kidnappés à
Gao, au Mali. Or, le 3 avril 2012, le
chef d'état-major des forces armées du
Qatar, le général-major qatari, Hamad
Bin Ali Attiya, débarque à Alger sur
«invitation» du général de corps d'armée
Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de
l'ANP. Lors de l’entrevue avec le
président Bouteflika, assistera même le
ministre délégué chargé des Affaires
maghrébines et africaines, Abdelkader
Messahel, qui est surtout chargé du
dossier du terrorisme. Outre sa relation
évidente avec le Mali, la convocation du
général qatari avait-elle un lien avec
la prise d’otages des sept Algériens qui
est survenue, chose étonnante, le
jour-même ou la veille de sa venue à
Alger ? Après l’information donnée en
mars 2012 sur l’implication du Qatar, le
Canard enchaînédu 6 juin 2012 publie un
autre article disant que Doha finançait
les groupes armés qui ont pris le
contrôle du nord du Mali : «Les insurgés
du MNLA (indépendantistes et laïcs), les
mouvements Ansar Dine, Aqmi (Al-Qaïda au
Maghreb islamique) et Mujao (djihad en
Afrique de l’Ouest) ont reçu une aide en
dollars du Qatar.» Parmi les
récipiendaires figure donc le Mujao qui
a kidnappé sept diplomates algériens.
Comme quoi le Qatar… Comme pour faire
pression sur Alger afin d’intervenir au
Mali dans le cadre global, des attentats
sont perpétrés à Tamanrasset, Ouargla et
Tindouf. Les services secrets
occidentaux fabriquent de fausses
filières terroristes vers les pays où
les intérêts de leurs pays sont en jeu.
Les faux «islamistes», ces nouveaux
mercenaires, sont l’argent béni de
l’impérialisme occidental qui promet à
ses citoyens de ne plus faire de guerres
qu’indirectes avec les sous-développés.
Les interventions auront lieu dans des
théâtres à forte valeur ajoutée sur des
opérateurs à forte valeur ajoutée,
l’Occident se contentant de
«l’assistance militaire» et de
l’intelligence. La guerre armée quant à
elle se fait par procuration par des
supplétifs dits «djihadistes»,
séparatistes ou autres «combattants de
la liberté» qu’il s’agira de soutenir
matériellement, technologiquement,
scientifiquement, de former, d’équiper
et d’orienter, ouvertement comme en
Libye, en Syrie et de liquider par la
suite, comme au Mali, si nécessaire.
Désormais, la guerre est indirecte et se
fait par propagation, contagion puis
élimination, en cas de besoin. Les 200
mercenaires du GICL (Al-Qaïda libyenne)
utilisés pour éliminer Kadhafi serviront
ultérieurement à former les mercenaires
en Syrie et y mener un nouveau «djihad».
Propagation du djihad = extension des
intérêts américains. En juin 2012,
Abdelkrim Belhadj avait déjà envoyé 700
mercenaires libyens en Syrie. Il a
récolté des milliards, payés rubis sur
l’ongle par le Qatar. Puis, selon le New
York Times, Qumu et Al-Libi,des
subalternes de Balhadj, qui avaient aidé
les Américains à dégommer Kadhafi
seraient suspectés de l’assassinat de
l’ambassadeur américain et ses deux
fonctionnaires… Les dommages collatéraux
sont pris en compte par le Pentagone :
une médaille comme récompense. La
prétendue lutte contre Al-Qaïda en
Afghanistan a permis de contaminer tous
les pays musulmans et au-delà de leurs
frontières, déstabilisant les ennemi Les
services secrets sont donc chargés du
travail le plus complexe des guerres du
XXIe siècle, selon le Rapport Horizons
Stratégiques 2012 du ministère français
de la Défense qui fait des prévisions
pour les 40 années à venir. Pour cela,
ils utilisent les moyens pervers de la
corruption et de la compromission des
élites, et parfois en s’impliquant
directement, voire en sacrifiant
quelques éléments des forces spéciales
payés pour cela. Ils sont même chargés
de se faire prendre en otages, pour
faire vrai. Ils utilisent le trafic de
la drogue ou le prétexte de son
développement non sans l’avoir développé
(Indochine, Colombie, Mali, Afghanistan
où ce fléau n’existait pas et qui est
devenu un grand producteur aujourd’hui).
Parfois, pour faire vrai, ces agents des
renseignements occidentaux sont appelés
à mourir, comme lors d’une opération de
sauvetage de l’un deux, qui a eu lieu en
Somalie comme par hasard quelques jours
seulement avant l’intervention française
au Mali. Nous parlerons plus loin de ces
nombreux otages-espions français. Les
Etats-Unis avancent donc en Afrique, en
se servant des réseaux coloniaux de la
Françafrique et non pas de leur propre
étendard. Ce n’est pas le drapeau qui
compte mais les dollars. Même les
bidasses sont des victimes de ce nouvel
ordre mondial militaro-financier qui
sacrifie les faibles sur l’autel des
riches. Selon certaines sources, c’est
la DGSE qui détiendrait les otages
algériens kidnappés à Gao, par
l’entremise de leurs mercenaires
camouflés sous la bannière de
«djihadistes».
Pays victimes ou
coupables ?
En outre, Roland
Marchal, chercheur au Centre d’études et
de recherches internationales de
sciences politiques à Paris (CERI)
affirme : «De la même façon que le Qatar
a fourni des forces spéciales pour
entraîner une opposition à Kadhafi, on
pense qu’un certain nombre d’éléments
des forces spéciales qataries sont
aujourd’hui dans le Nord-Mali pour
assurer l’entraînement des recrues qui
occupent le terrain, surtout Ansar
Dine.» Quant à Sadou Diallo, l’ex-maire
de Gao au Mali, il disait sur RTL : «Le
gouvernement français sait qui soutient
les terroristes. Il y a le Qatar par
exemple qui envoie soi-disant des aides,
des vivres tous les jours sur les
aéroports de Gao, Tombouctou, etc.» Le
Qatar s’est-il permis de distribuer
armes et argent aux terroristes et aux
«rebelles» sans l’aval américain ? Qui
finance ne commande pas toujours, car il
est connu que Doha ne joue que comme
agent ou intermédiaire… Le journal
Malien l'Indépendant du 6 avril (le
lendemain de l'enlèvement du consul
d'Algérie) écrivait, quant à lui, qu’un
cargo qatari avait atterri à l’aéroport
de Gao pour livrer des armes et des
stupéfiants aux rebelles, d’autres
sources maliennes parlent même de
plusieurs cargos à des dates
différentes, ajoutant que des islamistes
affluaient du Sud du Niger, du Tchad et
du Nigeria (Boko Haram) vers le nord du
Mali.
A. E. T.
(A suivre)
Lire la
4e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
Les dernières mises à jour
|