Reportage
Le printemps arabe
: une révolution contestée
Acteurs internes et externes d'une
opération top secret (3e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Mardi 7 mai 2013
Plusieurs acteurs
sont intervenus dans l’opération
«Printemps arabe». En plus, bien sûr, du
Qatar, de la France et de la
Grande-Bretagne, et outre les
institutions de l’Etat américain
(certainement le Pentagone, la
Maison-Blanche et le département d’Etat
ou ministère des Affaires étrangères),
ils comprennent des personnes physiques
et des personnes morales dont celles que
voici :
1- Les opposants locaux aux «régimes»
qui sont tombés comprennent : - les
cyberdissidents, dont beaucoup vivent à
l’étranger et comprenant beaucoup
d’islamistes ; les ligues de droits de
l’homme affiliés à la FIDH. En Tunisie,
il y a eu aussi le syndicat UGTT et le
syndicat des avocats ;
- des officiers de l’armée et/ou des
hommes politiques instruits par
Washington et qui incluent un large
éventail de l’opposition, notamment
celle de l’étranger et les islamistes.
Comment des partis qui se déchirent
depuis des décennies peuvent-ils
subitement se retrouver dans une même
tranchée pour faire une révolution
commune ? Comment des partis qui n’ont
jamais coopéré depuis des lustres
peuvent-ils soudain se retrouver unis ?
- des imams : les «révolutions colorées»
arabes ne se font pas sans imams :
l’Amérique a chargé Al-Qaradaoui de
guider la meute de faiseurs de fetwas
salafistes qui disent à Moubarak de
dégager, incitent au meurtre de Kadhafi
et de Bachar El-Assad et même d’imams
comme Al-Bouti, probablement même la
destruction de mosquées.
2- Les forces étrangères non violentes
comprennent :
- le Département d’Etat des Etats-Unis
et les organisations qui en dépendent
ainsi que d’autres organisations
étatiques américaines,
- Canvas, l’organisation serbe de
formation de traîtres ;
- les réseaux sociaux Facebook, Twitter,
les médias internet (WikiLeaks) ;
- les entreprises d’internet comme
Google, WikiLeaks ;
- les ONG, les think-tanks américains
les plus puissants et pesant des
milliards de dollars ou soutenus par des
entreprises valant des milliers de
milliards de dollars (fondations
Rockefeller, Ford, Soros…) ;
- les médias : télévisions et presse
notamment CNN, BBC nourris par Al-Jazeera
;
3- Les forces violentes : snipers,
forces spéciales, mercenaires nationaux
et/ou étrangers, et ce, dès le départ
des manifestations pour contraindre les
forces de l’ordre à user de leurs armes,
à riposter ou à l’erreur. L’objectif est
de créer une situation de crise et de
faire monter la tension à un point de
non-retour. Aux manifestations et aux
émeutes, des opérations de sabotage, de
destructions et d’attentats sont
inscrites dans le plan du «Printemps
arabe», et dont n’ont certainement pas
été informés les jeunes cyberdissidents
utilisés comme des excitateurs de crise.
Pour transformer la «situation de crise»
en putsch ou en coup d’Etat, des
officiers complices sont chargés de
mettre le feu aux poudres en donnant des
ordres de tirer ou d’instruire des
snipers et des éléments chargés
d’actions létales ou de sabotages. Dans
le cas libyen, la détérioration de la
situation en Tunisie et en Egypte a
permis de fragiliser les frontières et
l’entrée des armes à Benghazi où des
éléments des forces spéciales françaises
et américaines se sont infiltrés pour
commettre des attentats et aider les
mercenaires locaux. Depuis l'opération
Ajax, qui a permis de renverser
Mossadegh en Iran en 1953, les
Etats-Unis ont perfectionné leurs coups
d’Etat et opérations de déstabilisation
: des outils sociologiques, médiatiques,
technologiques ont été ajoutés à
l’arsenal du renseignement, du sabotage,
de la manipulation des foules, de la
déstabilisation des Etats.
Snipers, forces
spéciales et terrorisme d’Etat
Le recours au
terrorisme d’Etat est devenu
systématique pour les Etats-Unis :
Al-Qaïda est une armée sous faux drapeau
qui exécute les plus basses besognes de
l’Amérique, comme ses ancêtres
moudjahidine et talibans le faisaient en
Afghanistan depuis Jimmy Carter (1979)
pour offrir à l’URSS un Vietnam qui a
fini par l’embourber militairement et
financièrement. Beaucoup de livres ont
été écrits sur le sujet, et inutile de
revenir sur la question : à eux seuls,
les textes du site Reopen911 donnent une
riche bibliographie sur la question.
C’est en Indonésie que les Etats-Unis
commencent leur première guerre, en
ayant recours à des mercenaires. Les
opérations américaines en Amérique
latine sont innombrables, et c’est sous
Clinton qu’il y en a eu le plus, Bush
père préférant les ingérences directes
au Panama, mais c’est le “pacifiste”
Bill Clinton qui a fait le plus de
guerres de déstabilisation et de guerres
indirectes dont Obama est très friand.
Avant de lancer ses guerres réelles sous
le prétexte de l’ingérence humanitaire
comme il l’a fait en Libye et le fait
actuellement en Syrie, il les devance
par des guerres indirectes, les guerres
sous faux drapeau par terrorisme et par
forces interposés, les proxy-wars :
l’hypocrisie du personnage et la
conjoncture internationale l’exige.
D’ailleurs, dans son édition du 19 mars,
le Frankfurter Allgemeine Zeitung(un des
plus grands quotidiens allemands)
publiait un témoignage direct concernant
la base italienne de Grosseto disant que
dans la première quinzaine de février,
des F16 danois étaient à l’exercice
«pour la Libye» selon des sources
internes à la base, soit avant même les
premiers troubles à Benghazi tandis que
le quotidien italien Libero(édition du
23 mars 2012) publiait un article fort
documenté dont la conclusion peut être
ainsi résumée : les services français
ont préparé et organisé, depuis octobre
2010 la chute du colonel Kadhafi. En
Libye, tout a, certes, commencé par une
page Facebook Free Libya et des appels à
manifester pacifiquement, mais la
situation a rapidement dégénéré car la
majorité des 400 terroristes du GICL que
le ministre de la Justice Abdeljalil a
réussi à libérer en 2010 pour préparer
son coup de 2011 ont réussi à faire de
Benghazi une zone libérée, non sans tuer
et massacrer des militaires et même des
civils pour attribuer leurs crimes au
pouvoir. Ils seront rejoints par des
éléments des forces spéciales
françaises, et ce, bien avant l’adoption
de la résolution 1973 comme le révélera
l’un de ces éléments. Il est courant de
lire que les révoltes qui ont balayé la
rue arabe sont la conséquence de
l’absence de démocratie, de justice
sociale et de confiance entre les
dirigeants et leur peuple. Cela
justifie-t-il le recours au crime pour
asseoir une démocratie ? Et surtout,
cela justifie-t-il d’appeler une force
étrangère, comme l’ont fait le CNT
libyen et le CNS syrien ? Dans toutes
les Constitutions du monde, l’Etat a la
légitimité de se défendre et de défendre
le pays. On ne peut pas parler de
«révolution» si les forces qui la font
sont des étrangers en Libye, cela a
ouvert la voie à une occupation
indirecte du pays par le Qatar qui
contrôle toujours les groupes armés
qu’il a financés, et qui sont toujours
ses obligés. La crise syrienne est
désormais le fait de terroristes et de
mercenaires étrangers qui compte plus de
80% de l’opposition armée, elle-même à
90% formée de terroristes wahhabites.
Dans le cas syrien, les mercenaires et
opposants armés étaient aussi entrés en
action dès les premiers jours des
manifestations comme l’a révélé la vidéo
datant d’avril 2011 que la direction
d’Al-Jazeera a refusé de diffuser,
causant la démission de la vedette Ali
Hachem, puis de Ghassan Ben Jeddou et de
plusieurs autres journalistes.
Les éléments
internes : bloggeurs et collabos
L’ingérence
américaine dans le monde ne peut se
faire sans un maillage complexe composé
d’organismes et d’instituts
gouvernementaux, de fondations publiques
et privées, d’agences, de firmes, d’ONG
et de médias qui permet au Pentagone et
aux agences de renseignement américaines
de rester en retrait. Le «Printemps
arabe» n’aurait jamais eu lieu sans ces
structures au service de la politique
étrangère américaine, indépendamment des
partis politiques et de leur nature
démocrate ou républicaine. Cette
ingérence a commencé quelques mois après
le discours d’Obama au Caire en juin
2009, lorsque Moubarak était encore un
ami qu’il essayait pourtant déjà de
frapper dans le dos. Depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale, le département
d’Etat américain (ministère américain
des Affaires étrangères), le département
de la Défense et la CIA soutiennent des
programmes en direction des futures
élites du monde entier, et ce, afin de
préparer leurs opérations de
déstabilisation contre les pays ciblés.
Appelée Empowerment, cette méthode
consiste à identifier, approcher, former
et soutenir des individus qui joueront,
à plus ou moins long terme, un rôle
majeur dans la promotion des intérêts
politiques ou économiques des Etats-Unis
une fois arrivés au pouvoir. L’action
n’est pas du tout réalisée
clandestinement bien qu’il s’agisse
clairement de guerre d’influence : au
contraire, elle se fait au vu et au su
du monde, dans des établissements qui ne
relèvent pas d’agences du renseignement
mais de leurs relais civils et
indépendants. Autrefois, cela se faisait
sans propagande, aujourd’hui, le site du
département d’Etat révèle tous ces
programmes en les intégrant dans sa
stratégie de «promotion de la
démocratie» et de «lutte contre les
dictatures», concepts bellicistes
enrobés dans une propagande désormais
bien rôdée. Ainsi donc, les Etats-Unis
engagent des opérations de
déstabilisation franchement déclarées.
Ces programmes qui impliquent aussi la
CIA sont pris en charge par les
départements d’Etat, du commerce, les
universités, certaines associations
professionnelles, des fondations, des
ONG et des think-tanks. Elaborés de
manière très pointue, ces programmes
sélectionnent des étrangers de plusieurs
nationalités qui sont étroitement suivis
et «entretenus» par des bourses, des
invitations et même des aides
matérielles ou financières. Cet
investissement qui donne l’impression à
la personne ciblée d’être considérée et
valorisée permet à Washington de
disposer de «relais» puis de
collaborateurs de qualité dans les pays
et les sociétés ciblés. A partir du
milieu des années 1990, Washington
ciblera les pays d’Afrique du Nord et du
Proche et Moyen-Orient de manière plus
soutenue : la Middle East Partnership
Initiative est alors créée afin de
fédérer de jeunes cadres maghrébins.
Ainsi, les leaders du mouvement du 6
avril ou Kifaya en Egypte, comme les
jeunes Tunisiens, Libyens, Yéménites qui
ont lancé les manifestations du
«Printemps arabe» ont été formés aux
techniques de «révolution non violente»
dans des séminaires organisés en Serbie
par l’ONG Canvas (1re partie) qui est en
vérité un véritable centre de formation
de traîtres. Canvas se base sur la
«Défense par actions civiles» (DAC), une
invention du professeur Gene Sharp,
fondateur d'une Albert Einstein
Institution et auteur de nombreux
ouvrages, dont La politique de l’action
non violente(1973) est devenu une sorte
de bible pour les services du complot,
du renseignement et de la
déstabilisation de la Maison-Blanche qui
ont mis en place ce centre après la
réussite du complot en Serbie contre le
président Slobodan Milosevic, avec le
soutien des Etats-Unis. Pour Gene Sharp,
l’action non violente utilise la
psychologie, des moyens sociaux,
économiques et politiques à des fins
bellicistes, pour changer des
gouvernements ennemis ou soutenir des
gouvernements amis : le mode opératoire
initial de Sharp sera évidemment affiné
et amélioré par les services étatsuniens
et la CIA pour l’adapter aux
conjonctures. La «désobéissance civile»
et «l’action non violente» de Sharp
seront couplées aux techniques de la
guerre spéciale théorisée par le général
britannique Kitson et mis en œuvre par
la CIA et l’Intelligence Service depuis
bien longtemps. Le général Kitson a
servi dans la répression des mouvements
anticoloniaux (Kenya, Chypre et
Malaisie) avant d’être nommé en 1970 en
Irlande avec pour mission de coordonner
la répression, expérience dont il tire
un livre intitulé Opérations de basse
intensité – subversion, insurrection et
maintien de la paix(1971) où il donne
les éléments de la «guerre spéciale» et
la guerre de basse intensité. Pour lui,
tout doit être basé sur une «campagne
pour gagner les cœurs et les esprits»,
soit la «manipulation psychologique de
l’opinion», sans oublier de monter des
gangs qui mèneront des coups attribués à
l’ennemi et permettront de le
discréditer ; d’utiliser des forces
spéciales pour réaliser des attentats
également attribués à l’ennemi afin
d’augmenter la tension et justifier
l’intervention ; d’employer la «black
propaganda» en fabriquant de faux
documents qui seront attribués à
l’ennemi afin de le discréditer ; de
militariser l’info des médias et d’y
censurer totalement le point de vue
adverse ; de filtrer l’info à
destination de la presse internationale
et s’y assurer des complicités ; de
mettre en place et populariser de faux
mouvements “spontanés” présentés comme
neutres et indépendants, en réalité
financés et téléguidés afin de diviser
et affaiblir le soutien au camp adverse.
A travers l’histoire, les pays
colonialistes en général et France en
particulier (la SAS) ont aussi employé
certaines de ces méthodes pour
discréditer le FLN-ALN et les mouvements
insurrectionnels et politiques de
libération dans leurs colonies.
A. E. T.
(A suivre)
Partie 2/18
Article publié sur
Le Soir d'Algérie
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