Reportage
Le printemps arabe
: une révolution contestée
Objectifs premiers de coups d'Etat
militaires discrets (2e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Lundi 6 mai 2013
Les «révolutions»
arabes ne sont que des artifices et des
simulacres qui cachent l’enjeu
stratégique global qui vise le
chamboulement complet des frontières et
de l’ordre mondiaux pour l’avantage
occidental en général et américain en
particulier.
Si au début
du XXe siècle, avec des moyens
dérisoires, deux diplomates (Sykes et
Picot et quelques espions dont Lawrence
d’Arabie) ont pu restructurer le monde
arabe, que dire alors des organisations
complexes, hyper-structurées, avec leurs
organisations maillées à l’infini,
hyper-friquées, hyper-savantes, dominant
le monde et l’espace et qui ont décidé
de refaire un autre remodelage des
frontières ? Que dire du projet du
nouvel ordre mondial qui a nécessité des
décennies de travail, qui est
l’aboutissement de plusieurs siècles
d’impérialisme américain, le résultat de
travaux savants et d’agences de
renseignement, de think tanks puissants
liés à des lobbies de l’économie et de
la finance, apparentés à Israël et à
ceux qui convoitent les richesses sous
toutes les latitudes, spécialement
arabes et musulmanes, car richement
loties par la nature et désavantagés par
la culture. Les deux premiers raïs
déchus (Ben Ali et Moubarak) ont offert
à la Maison-Blanche l’instabilité
régionale et les régimes à la solde pour
pouvoir, dans un premier temps, ébranler
la Libye de Kadhafi et la Syrie d’El-Assad,
et de mettre la main sur le Sahel via
une horde de groupes terroristes. Les
amis que les Etats-Unis avaient sous la
main pour remplacer Ben Ali, Moubarak et
Kadhafi devaient jouer un rôle
fondamental contre la Syrie, avant le
rôle plus lourd et de plus long terme
contre l’Iran, la Chine et la Russie.
Viser la Syrie, c’est viser l’axe de la
résistance contre Israël qui inclue la
Syrie, l’Iran, l’Irak et le Hezbollah
libanais. Pour leurrer les masses, on ne
dit pas axe de la résistance mais
«croissant chiite», car même le
baâthisme progressiste syrien est accusé
d’être chiite (alaouite) alors que cet
Etat séculier et moderne accorde leurs
droits aux chrétiens comme aux
différentes factions musulmanes, chiites
ou sunnites. La Syrie est visée pour
plusieurs raisons, y compris économiques
et pétrolières mais aussi parce que le
port de Tartous est le seul port
méditerranéen ouvert à la Russie alors
que tous ceux du Maroc, d’Algérie, de
Tunisie, de Libye, d’Egypte, du Liban et
de Turquie sont ouverts aux navires de
l’Otan. Est-il étonnant que tous les
présidents du «Printemps arabe» ont
commencé à prendre leurs distances
vis-à-vis de Moscou, et certains, de la
Chine ? La réussite du «Printemps
arabe», cette opération très
sophistiquée, ne s’explique ni par les
injustices supposées ou réelles des
pouvoirs en place – l’opposition préfère
le mot «régimes» – ni par le manque
d’organisation de l’Etat ou sa
faiblesse, mais par la seule force et
puissance des organisateurs de ce
complot où l’action des éléments
étrangers a compté plus que celle des
éléments nationaux. La puissance de feu
des médias, des ONG et autres
organisations internationales appuyées
par des organes officiels étatsuniens et
qataris notamment ainsi que celle des
éléments armés étrangers ont été autant
sinon plus déterminants que les éléments
nationaux : cela a été valable en
Tunisie, en Egypte et surtout en Libye
mais plus particulièrement en Syrie.
Opération «Printemps» pour
déstabiliser une nation
Les «révolutions» du «Printemps
arabe» sont une seule et même opération
qui a combiné des forces internes et des
forces externes, des individus et des
groupes, des organisations étatiques et
des organisations non étatiques, locales
et étrangères (Etats-Unis et Qatar
essentiellement). Le «Printemps arabe»
n’est pas une série d’événements
autonomes mais une seule et même
opération globale qui a nécessité des
fonds importants ainsi qu’une
planification, une organisation et une
coordination très sophistiquées pour se
faire. Supposée nécessiter plusieurs
jours de préparation, l’intervention
armée de l’Otan en Libye ne s’est-elle
pas faite le lendemain même de
l’adoption de la résolution 1973 du
Conseil de sécurité ? L’armada était
prête à intervenir d’autant qu’il y a
même eu – quelques mois avant
l’intervention issue de la résolution
1973 – un exercice militaire
franco-anglais pour une intervention de
ce type contre un dictateur en
Méditerranée qui vise à placer son fils
au pouvoir ! En mai 2011, après la chute
de Ben Ali et de Moubarak, Obama a dit
que le «Printemps arabe» était une
«opportunité historique» pour les
Etats-Unis de «faire un monde comme il
devrait être». Pourtant, il s’était
rendu en Egypte en 2009 et n’avait
trouvé rien à redire contre Moubarak. Un
jour, c’est blanc, un autre c’est noir
pour les vassaux de l’Oncle Sam.
L’Amérique n’a pas d’amis, elle n’a que
des intérêts, et plus un vassal lui
offre, plus il excite l’appétit et
suscite des compétiteurs prêts à vendre
leur pays. Les révolutions du «Printemps
arabe» s’inscrivent donc dans un
programme publiquement connu qui
s’appelle le nouvel ordre mondial et le
Grand Moyen-Orient adapté à la nouvelle
donne géopolitique mondiale notamment
russo-chinoise, de la situation au
Moyen-Orient et de la crise économique
mondiale et la nécessité pour le
libéralisme globaliste de marquer de
nouveaux points à l’échelle planétaire.
Pour le prouver, nous basons notre étude
sur des centaines de documents et
d’analyses, d’abord sur les écrits
journalistiques de Michel Colon
(journaliste), Hannibal Genséric
(spécialiste du monde musulman), Yves
Bonnet (ancien patron de la DST), Eric
Denécé (spécialiste du renseignement),
Thierry Meyssan ou Mezri Haddad
(diplomate tunisien) et beaucoup
d’autres textes qui ont apporté des
preuves sur la mise en scène du
«Printemps arabe et sa marque de
fabrique états-unienne. A ces textes
écrits à chaud et rapportant des infos
de première main, nous apportons des
éléments supplémentaires, voire
décisifs, à l’argumentaire. Nous
établissons des liens insoupçonnés
jusque-là entre les faits qui se sont
déroulés dans plusieurs pays et qui
attestent que le «Printemps arabe» est
une seule et même opération planifiée,
organisée, exécutée au chronomètre. En
vérité, sur le «Printemps arabe», il n’y
a jusqu’à ce jour que des textes ou des
livres à argumentaire limité,
mono-sectoriels, articulés sur des
éléments disparates et insuffisants. Par
contre, la présente analyse ramasse des
arguments de plusieurs ordres, en
démultipliant les sources et les
arguments pour les faire converger à la
logique d’une manipulation américaine,
transformant ainsi les doutes en preuves
irréfutables. Cette étude aurait donc
aussi été impossible sans les ouvrages
des écrivains américains de gauche comme
Noam Chomsky (célèbre savant et
écrivain) et le sénateur Jesse Ventura
(ancien gouverneur des USA) ainsi que
ceux des spécialistes du renseignement
et du terrorisme d’Etat américain et
d’autres auteurs dits conspirationnistes
comme Webster Griffin Tarpley, Chalmers
Johnson, Lawrence Wright, Ismael
Hossein-Zadeh, David Ray, Paul Joseph
Watson, Thorn & Guliani, le Dr. Paul
Craig Roberts ou le général-major
Smedley D. Butler, qui nous ont éclairés
sur le système impérialiste américain et
sur sa structure essentiellement
belliciste, le libéralisme
néoconservateur l’entraînant
continuellement vers le militarisme et
l’éloignant des principes minima de la
démocratie. Si l’Amérique était une
vraie démocratie, elle ne dépenserait
pas la moitié de son budget d’Etat
annuel dans le chapitre défense, soit un
taux de loin supérieur à celui de tous
les autres pays de la planète, au mépris
de tous les avertissements du président
Dwight D. Eisenhower en 1961 contre une
économie de type militaire comme c’est
le cas actuellement en Amérique.
«Des coups d’Etat militaires
discrets»
Nombreux donc sont les auteurs et
les responsables et officiers de
renseignement qui pensent que l’épopée
du «Printemps arabe» et de ses
«révolutions» est une série de putschs
américains et occidentaux qui ont servi
à l’opinion publique mondiale un show
monumental via des foules manipulées
comme des marionnettes dans un scénario
qui aurait fasciné Serge Moscovici
lui-même.(1) «Cette opération a réussi
au-delà des espérances de ses
concepteurs : les manifestants,
crédules, sont convaincus d’avoir été
les auteurs des faits et les maîtres de
leur destin, alors même que celui-ci a
été décidé par d’autres. L’illusion est
donc totale», écrit Eric Denécé, docteur
ès sciences politiques et directeur du
Centre français de recherches sur le
renseignement (CF2R), dans un article
intitulé «La grande illusion des
“révolutions” arabes» en précisant que
la mise en œuvre de techniques éprouvées
de manipulation des foules et de
déstabilisation des régimes est en train
de donner les «résultats escomptés»,
entendant par là leurs «conséquences
néfastes». Eric Denécé écrit encore :
«Ainsi, ces “révolutions” arabes, se
révèlent n’être en réalité que des coups
d’Etat militaires discrets, dissimulés
derrière une révolte populaire largement
canalisée.» Un malaise social, voire
certaines injustices, qui sont
d’ailleurs loin d’être la spécificité du
monde musulman, peuvent expliquer
l’ampleur de certaines manifestations –
notamment en Egypte où ils ont pu
canaliser près de 15 millions de
personnes sur les 85 millions – mais
l’enchaînement des «révolutions» qui ont
secoué le monde arabe, leur
«spontanéité», leur concomitance, les
preuves irréfutables de l’implication
d’agents soutenus par les Etats-Unis,
l’implication prouvée d’officiels du
régime, l’existence d’attentats, d’actes
de déstabilisation et de sabotage
perpétrés par des éléments de forces
spéciales parfois issus de pays
étrangers ne laissent plus de doute sur
l’origine de ces mouvements. A cela, il
faut ajouter le soutien immédiat et sans
faille des mêmes Etats-Unis à ces
manifestations, et d’autres pays
occidentaux qui ne tarderont pas à
«conseiller» ou à «exiger» la prise en
charge des demandes des manifestants ou
des rebelles, autre signe d’une
opération planifiée et coordonnée par
des forces extérieures. Ainsi donc, la
principale caractéristique de ces
«révolutions» printanières est qu’elles
se sont faites en mode coopération
technique avec l’Occident et l’Otan de
manière plus précise.
Les objectifs premiers des «Printemps
arabes» sont globalement :
1- de donner le pouvoir à des
gouvernements plus serviles, des
islamistes de préférence ;
2- d’affaiblir ces pays en créant
l’instabilité par l’arrivée en force de
partis islamistes dont les plus
excommunicateurs et anarchistes ;
3- de les diviser : comme on le voit,
les «Printemps arabes» n’ont pas
renforcé l’unité arabe ; bien au
contraire, ils ont généré un égoïsme
jamais observé auparavant même entre les
pays du «Printemps» eux-mêmes et parfois
même envers le pays qui les a soutenus,
le Qatar ;
4- de créer des zones de crise ou
d’instabilité afin de faire proliférer
le terrorisme aux fins de profiter au
complexe militaro-industriel ;
5- de les affaiblir diplomatiquement :
actuellement, ils se retrouvent tous
sous la coupe du Qatar et de l’Arabie
Saoudite qui ont désormais remplacé les
leaders traditionnels qu’étaient
l’Egypte, l’Irak, la Syrie et l’Algérie
;
6- de les ranger contre l’Iran, la
Russie et le Chine ;
7- de pacifier leur relation avec Israël
et/ou d’occulter la question
palestinienne, et c’est là un paramètre
essentiel des «révolutions» arabes de
2011.
Le nouveau gouvernement égyptien s’est
davantage rapproché d’Israël tandis que
le gouvernement tunisien n’a pas émis
l’intention de changer sa position
vis-à-vis de l’Etat hébreu, dont Ben Ali
avait fermé la représentation en 2000
après la répression de Ghaza. Quant au
CNS syrien, il promet monts et
merveilles à Tel Aviv. Le CNT libyen a
promis une base militaire à Israël dès
les débuts de son «printemps» ! D’entrée
de jeu, rappelons que le 13 janvier
2011, Hillary Clinton était à Doha,
Qatar. Le lendemain, 14 janvier, Ben Ali
tombait ! En diplomatie comme en
politique occidentale, il n’y a jamais
de hasard. Doha a joué un rôle
fondamental dans le «Printemps arabe» :
si la ministre des Affaires étrangères
américaine était à Tel Aviv ce jour-là,
l’événement aurait été anodin. Plus
explicite : elle a dit que les chefs
d’Etat devaient faire des réformes,
sinon ils allaient être précipités
dehors, comme le sera Ben Ali le
lendemain !
A. E. T.
(A suivre)
1. Serge Moscovici, auteur du livre
L’âge des foules, éd. Complexe, 1981.
Ouvrage sur la manipulation des foules
par les dictateurs.
Article publié sur
Le Soir d'Algérie
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