Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
La boîte de Pandore libyenne devient un
enfer (2e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Mercredi 6 février
2013
Après avoir été amené
par le FMI à une crise économique grave
qui ne permettait même pas l’achat de
munitions, le Mali est livré à une horde
de mercenaires qui viendront bientôt
conquérir le nord du pays et permettre à
la France d’y venir jouer au cow-boy en
engageant un budget de 630 millions
d’euros dans l’opération Serval qui
rappelle celle de l'opération Epervier
au Tchad. D’ailleurs, le serval est
aussi un animal, un félin proche du chat
sauvage.
Comme l’opération Serval, l’opération
Epervier a été déclenchée début février
1986 par la France pour soutenir le
putschiste Hissène Habré après le
franchissement du 16e parallèle par les
forces armées libyennes venues soutenir
Goukouni Oudëi, le président renversé en
1981. Depuis, les Français sont au
Tchad… Le Mali a été volontairement
amené à cette situation où son armée ne
pouvait plus accomplir ses missions de
défense du territoire. L’ajustement
structurel a engendré un Etat failli et
une armée en faillite. C’est aussi
simple que cela. D’ailleurs, fin janvier
et début février 2012, des
manifestations de femmes de militaires
craignant pour leurs maris face aux
hordes d’Ansar Dine et du MNLA
scandaient : «Des munitions pour nos
hommes.» Une cargaison d’armes et de
munitions aurait empêché le drame malien
et, par conséquent, celui d’In Amenas
d’avoir lieu. L’effacement de sa dette
aurait permis à Bamako de recruter des
soldats pour régler ses problèmes dans
la dignité et surtout sans ces 800 000
déplacés, ces morts et ces bras coupés.
Le président Amadou Toumani Touré (ATT)
savait que la «révolution» libyenne
allait avoir des répercussions
gravissimes sur son pays. Mais le 22
mars, il fera l’objet d’un coup d’Etat.
L’armée commence alors à battre en
retraite face aux mercenaires organisés
en bandes aux appellations différentes
mais aux mêmes objectifs. La suite des
événements on la connaît, du moins
surtout du point de vue occidental qui a
réussi à déformer toutes les
informations d’ordre historique,
politique, géographie et économique sur
un pays qui est pourtant à nos
frontières et dont le destin est
intimement lié au nôtre. Nos journaux et
nos chaînes de télévision reprennent les
mensonges issus du plan du général de
Gaulle... C’est parce que nous sommes
culturellement et médiatiquement
sous-développés que nous faisons l’objet
de manipulations occidentales qui
détruisent nos nations. L’ex-président
malien, ATT, en exercice jusqu’au 21
mars 2012, s’était inquiété de la
déstabilisation de son pays par la crise
libyenne, et ce, bien avant le retour au
Mali d’un millier de soldats touareg qui
faisaient partie de l’armée de Kadhafi.
Evidemment, seule une poignée d’entre
eux rejoindra les terroristes et les
«rebelles», car la dignité et le sens de
l’honneur des Touareg et leur
attachement à leur pays d’origine sont
identiques en Algérie, au Mali, au
Niger, au Burkina Faso ou en Libye. Très
vite, pour le Mali, la boîte de Pandore
libyenne devient un enfer. Comme aucun
pays n’a voulu donner de munitions au
Mali ni effacer sa dette pour lui
permettre de se prendre en charge
militairement, aucun des pays membre de
l’OTAN n’a exigé des «rebelles» libyens
la restitution des armes qui leur ont
été distribuées pour en découdre avec
Kadhafi. C’est l'amiral Giampaolo Di
Paola, président du Comité militaire qui
regroupe les chefs d'état-major des pays
de l'OTAN, qui a alerté l’opinion
internationale : «Plus de 10 000
missiles sol-air» qui représentent «une
sérieuse menace pour l'aviation civile»
pourraient sortir de Libye et se
retrouver entre de mauvaises mains «du
Kenya à Kunduz», a-t-il dit, selon Der
Spiegel(dimanche 2 octobre 2012). Quant
au général libyen, Mohamed Adia, chargé
de l'armement au sein du ministère de la
Défense du Conseil national de
transition (CNT), il a estimé à «environ
5 000» le nombre de SAM-7 «toujours
manquants et dans la nature», supputant
déjà que certains de ces missiles
seraient déjà tombés entre de mauvaises
mains. Ni Londres, ni Washington, ni
Paris n’ont réagi à ces informations,
sachant au moins leur destination vers
les «révolutionnaires» syriens.
Ces armes que le
Qatar laisse aux terroristes…
Pour précipiter la
chute de Kadhafi, l’OTAN a distribué 20
000 tonnes d’armes et de munitions aux
groupes «révolutionnaires» par
l’entremise du ministre de la défense du
Qatar, en qualité de payeur de la
facture. En septembre 2011, l’OTAN l’a
également chargé de récupérer les armes
en question, mais il a laissé des
arsenaux entiers à disposition du Groupe
islamique combattant en Libye (GICL),
filiale d’Al-Qaïda. Le 10 novembre 2012,
Mahmoud Jibril, leader du CNT et chef du
parti Alliance des forces nationales
libyennes, vainqueur des élections du 7
juillet 2012, disait sur la chaîne
irakienne Al Hurra que le Qatar refusait
toujours de récupérer les armes qu’il a
distribuées aux groupes rebelles qui ont
«libéré» son pays, ce qui suppose que
Doha a aussi le contrôle sur ces
groupes. En vérité, ce sont les
Etats-Unis et la France qui sont les
premiers responsables de cette situation
car le Qatar ne peut laisser des armes
dans la nature sans blanc-seing. Cette
information, parmi d’autres dont celles
qui filtrent des déclarations
officielles, conforte la thèse d’une
conspiration au Mali. En tout cas, il y
a une évidence indéniable : l’effet
domino de la «révolution» libyenne ne se
limite pas à l’Afrique car il touche
directement la Syrie et le Yémen : Obama
a d’ailleurs reconnu (24 janvier 2013)
que les arsenaux de Kadhafi sont
utilisés dans ce pays. Il ne dit pas
comment ils sont arrivés aussi loin et
qui les a amenées, afin de ne pas
endosser la responsabilité si une folie
était commise contre un avion civil,
quelque part dans le monde. Obama ne
peut pas ignorer l’affaire du Lutfallah
II, du bateau venu de Libye, qui est
passé par l’Égypte et la Turquie et qui
a été arraisonné par la marine
libanaise, avec des tonnes d’armes à son
bord : le président du Parlement
libanais Nabih Berri a alerté l’opinion
internationale, disant que le navire «ne
portait des armes pour les anges». Tous
les théâtres d’opération du terrorisme
sont interconnectés car le terrorisme
est un système transnational avec les
mêmes opérateurs et agents de différents
niveaux jusqu’à des chefs d’Etat, des
députés, des ministres, des chefs de
services de renseignements et des
marchands d’armes comme lors de la
première guerre d’Afghanistan, lorsque
des ministres saoudiens et du Golfe
ainsi que les directeurs des plus
grandes banques et sociétés étaient
fiers de financer Ben Laden, le chouchou
des Américains qu’il aidait à se
débarrasser du méchant Russe communiste.
Autrefois, le méchant c’était le Russe,
avant lui le Nippon, puis l’Allemand,
aujourd’hui le musulman… L’impérialisme
se fabrique des ennemis selon la
conjoncture. Le livre House of Bush,
House of Saudde Craig Unger démonte
cette alliance contre-nature des
Etats-Unis avec le régime corrompu
d’Arabie Saoudite, pas seulement avec la
firme multimilliardaire Ben Laden.
Aujourd’hui, le commanditaire du
terrorisme international est toujours le
même bien qu’il donne l’impression
d’être polymorphe. Le but ici est aussi
de montrer la face de ce Dark Vador au
masque de métal. En outre, le transfert
des armes d’un pays dont le gouvernement
est issu des «printemps arabes» à l’axe
qui veut imposer de nouveaux «printemps
arabes» indique que ces «révolutions»
ont été fabriquées dans des officines et
que le plan est toujours opérationnel.
Non seulement une foule de régimes aux
ordres est née mais une infinité de
traîtres et d’agents de l’Occident ont
été introduits dans les rouages de tous
ces Etats, à tous les niveaux. Ils
s’occupent, à différents niveaux de
hiérarchie, à rendre possible ce trafic
d’armes destinées aux terrorises et qui
a amené le vice-ministre russe des
Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, à
dire que «les menaces de l'opposition
syrienne d'abattre des avions civils est
le résultat de livraisons irresponsables
des Manpad (les systèmes portatifs de
défense aérienne)». Certains médias ont
révélé (début août 2012) que l'Armée
syrienne libre avait obtenu environ 20
de ces Manpad (Man Portable Air Defence
dont le modèle célèbre est le Stinger)
de la Turquie. Selon les experts russes,
l'Arabie Saoudite et le Qatar seraient
derrière ces livraisons. C’est Obama
lui-même qui a autorisé (fin août 2012)
la livraison d’armements lourds aux
rebelles anti-Bachar ; et Hillary
Clinton a fait une déclaration demandant
aux mercenaires syriens de ne pas
déposer les armes le jour-même où le
«mufti» d’Al Jazeera, Al-Qardaoui, a
fait une fatwa en ce sens. Les milliers
d’armes saisies par l’armée syrienne sur
les terroristes n’ont rien à voir avec
l’arsenal russe de Kadhafi ; et une
dizaine des Stinger a été saisie
récemment dans ce pays. La Turquie ne se
contente pas d’abriter des terroristes,
de les entraîner et de les envoyer avec
des armes en pays voisin, où elle est
responsable de l’envoi de 90% des 100
000 terroristes qui ont pillé et
massacré dans ce pays : elle a envoyé
deux bateaux chargés d’armes aux
djihadistes au Yémen, la dernière saisie
de ces armes par les autorités yéménites
a eu lieu le 25 janvier 2013. Un pays
membre de l’OTAN et vassal de
l’Amérique, peut-il se permettre
d’envoyer des armes à Al-Qaïda au Yémen
sans blanc-seing ? En 2011, la division
Intelligence de l’OTAN (qui n’a rien à
voir avec la CIA) estimait à 200 à 300
hommes le nombre des éléments d’Al-Qaïda
parmi les combattants libyens
anti-Kadhafi qui, il faut le dire,
étaient soutenus par des officiers
américains : parmi eux, des chefs du
Groupe islamique des combattants libyens
(GICL) dont Abdelkrim Belhadj, Ismael
As-Salabi et Abdelhakim Al-Assadi...
Comme en Afghanistan, en Bosnie, en
Tchétchénie, mercenaires d’Al-Qaïda et
soldats américains ont combattu sur le
même front en Libye. Le terrorisme est
devenu transnational et ses armes lui
sont livrées à domicile dans des bateaux
et cargos de pays de l’OTAN. De nombreux
auteurs, officiels, anciens officiers
des renseignements dont des Américains,
de nombreux écrivains – dont Peter Dale
Scott, David Ray Griffin, Thierry
Meyssan, Michel Bounan, Nafeez Mosaddeq
Ahmed, Gerhard Wisnewski, Mathieu
Kassovitz – apportent des preuves de
l’instrumentalisation du terrorisme par
des Etats, aujourd’hui de plus en plus
nombreux à en faire un moyen de pression
et/ou de destruction d’autres Etats. Le
président nigérien cité plus haut
parlait de terrorisme transnational. Le
chercheur Ghaleb Kandil l’écrit aussi :
«Ce sont les États-Unis qui ont géré la
guerre en Syrie, ont mis sur pied des
chambres d’opération en Turquie, où
siègent des agents de la CIA chargés de
coordonner les efforts internationaux et
régionaux de mobilisation des
terroristes du monde entier pour les
envoyer en Syrie. Les responsables
américains se vantent publiquement
d’avoir fourni du matériels de
communication modernes aux gangs armés,
et ils n’ont exprimé aucun regret, même
après avoir reconnu qu’une grande partie
de ces équipements est tombée aux mains
des combattants qaïdistes du Front An-Nosra
; une organisation qu’ils ont
tardivement inscrit sur leur liste
terroriste, dans laquelle ils pourraient
inclure d’autres groupes prochainement,
sans pour cela modifier leur position au
sujet des engagements sur l’arrêt de la
violence.»
A. E.-T.
(A suivre)
1)
Obama a promis de créer un «partenariat»
avec les pays-valets.
Lire première partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
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