Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Des plans asphyxiants du FMI aux hordes
barbares (1ère partie)
Ali El
Hadj Tahar
Mardi 5 février
2013
La crise malienne
est-elle en train d’être réglée ou bien
va-t-elle perdurer ? Quelles sont ses
origines ? Quels sont les acteurs de
l’ombre et à qui obéissent les prétendus
groupes «islamistes » et «séparatistes»
qui s’apparentent beaucoup plus à des
mercenaires qu’à des rebelles de
conviction et de principes, aussi faux
et archaïques soient-ils ? Pourquoi
l’Azawad est un mensonge, une
mystification et surtout une
construction coloniale ? Comment a
fonctionné le scénario qui a permis à
ces mercenaires de s’installer au Mali ?
Avec quels moyens et soutiens ? Pourquoi
le Mali ne pouvait pas se défendre ?
Comment il en a été empêché avant et
après un mystérieux coup d’Etat ? Dans
ce conflit, l’Algérie a-t-elle été à la
hauteur pour défendre ses intérêts et sa
profondeur stratégique ? Un Sahelistan
est-il possible et quels ingrédients lui
faut-il ? Lorsque le terrorisme est
utilisé comme outil de politique
étrangère par des Etats, cela s’appelle
guerre par procuration. Cette guerre a
aussi été livrée à l’Algérie, sur le sol
algérien, à In Aménas... Des réponses et
des tentatives d’approche sur une crise
face à laquelle l’Algérie ne peut se
contenter de fermer ses frontières pour
se croire à l’abri.
Personne ne s’intéresse au Mali, mais
lorsqu’on y découvre du pétrole tout le
monde arrive… Les «Printemps arabes»
sont le déclencheur d’une stratégie
globale de restructuration de la
planète, et ces pseudo-révolutions
concoctées entre Washington et la base
d’El Oudeïd, au Qatar, en coordination
avec des services arabes, s’inscrivent
dans un plan dont la crise malienne fait
partie. Il s’agit d’un même programme,
ce fameux Grand Moyen-Orient (GMO)
révélé par George Bush après
«l’attentat» du 11 septembre 2011, et
qui vise à chambouler les frontières
héritées du partage de Sykes-Picot pour
des considérations économiques et
géostratégiques au profit de l’Occident.
Lorsqu’on parle de stratégie
impérialiste de cette envergure, on
prête parfois à rire et ceux qui en
rient ignorent que la Nasa, qui dépend
de la Maison-Blanche, planifie des
programmes spatiaux qui n’auront lieu
que dans 20 ans mais sur lesquels des
dizaines d’entreprises et de savants
travaillent déjà. Ce sont les politiques
qui permettent à ces programmes de se
faire, et ils sont aussi capables de
réfléchir sur le long terme aux
ressources nécessaires à leur exécution
et au maintien du niveau de vie des
Américains, ce paramètre fondamental de
la politique extérieure américaine. Le
think tank qui a imposé les projets
militaires de George Bush (guerres
d’Afghanistan et d’Irak) s’appelle
«Projet pour un nouveau siècle
américain» et comprend de nombreux
décideurs, chercheurs, théoriciens et
chefs d’entreprise dont Donald Rumsfeld,
Paul Wolfowitz, Richard Armitage et Dick
Cheney… Le remodelage du monde musulman
est une idée ancienne qui a pris forme
juste après la fin du bloc communiste,
l’Amérique voulant immédiatement
rentabiliser à son avantage la
conjoncture favorable de l’ordre
unipolaire à peine naissant. En effet,
le 11 septembre 1990, à la veille de
l’attaque contre l’Irak, le président
George H. W. Bush a révélé les grandes
lignes du nouveau projet impérialiste
américain : «Nous nous trouvons
aujourd’hui à un moment exceptionnel et
extraordinaire. La crise dans le Golfe
persique, malgré sa gravité, offre une
occasion rare pour s’orienter vers une
période historique de coopération. De
cette période difficile, notre cinquième
objectif, un nouvel ordre mondial, peut
voir le jour : une nouvelle ère, moins
menacée par la terreur, plus forte dans
la recherche de la justice et plus sûre
dans la quête de la paix.» Quelques mois
après, il envahira l’Irak, rendant
effectif ce qu’on appellera le Nouvel
ordre mondial (NOM). Son fils, George W.
Bush, celui qui présidait aux destinées
des USA lors de «l’attentat» du 11
septembre 2001, a dit : «La lutte contre
le terrorisme a commencé et elle va
durer longtemps. (…) C’est la première
guerre du XXIe siècle.» Il n’a
d’ailleurs pas dit la guerre, mais la
«première guerre», laissant entendre
qu’il y en aurait d’autres. Cela montre
que l’invasion de l’Afghanistan
(novembre 2001) et celle de l’Irak (20
mars 2003) étaient déjà planifiées, sous
de faux prétextes : l’une pour
«l’élimination» ou «l’arrestation» de
Ben Laden, et l’autre pour détruire les
«armes de destruction massive» de Saddam
Hussein. Bush junior affine donc le
concept du NOM, qui deviendra le Grand
Moyen- Orient (GMO), dont la stratégie
et les desseins sont identiques et
visent la colonisation permanente ou
momentanée de certains pays musulmans et
arabes, et/ou la refondation de leurs
frontières pour piller leurs richesses
et les empêcher d’avancer sur tous les
plans. D’ailleurs, douze ans après
l’invasion de l’Irak et de
l’Afghanistan, au lieu d’éliminer
Al-Qaïda, l’intervention étatsunienne en
a fait un fléau international et mis ces
pays sur les genoux. Obama sera le
continuateur de cette politique
militaire dépensière imposée par le
complexe militaro-industriel aux
républicains comme aux démocrates.
Les desseins
impérialistes de l’Occident
C’est Obama – pas
George Bush – qui dira en juin 2010, à
quelques mois des «Printemps arabes» :
«Dans ce monde incertain, le temps est
venu pour un nouveau commencement, une
nouvelle aube de leadership américain.»
Et d’ajouter : «Notre puissance
économique doit soutenir notre force
militaire, notre influence diplomatique
et notre leadership mondial. Voilà
pourquoi je construirai une armée du
XXIe siècle et un partenariat aussi
puissant que l’alliance anticommuniste
qui a remporté la guerre froide, afin
que nous demeurions partout à
l’offensive, de Djibouti à Kandahar.»
Cette «armée du XXIe siècle » vise donc
clairement le monde musulman, car il
cite deux villes musulmanes, ce qui
inscrit donc son programme belliqueux
dans le GMO. Par «partenariat aussi
puissant que l’alliance anticommuniste»,
il entend une alliance stratégique et
fondamentale avec des Etats-valets comme
le Qatar, l’Arabie Saoudite et les
nouveaux gouvernements issus des
«Printemps arabes» qui s’acharnent déjà
à détruire d’autres peuples arabes et à
écraser le dernier des raïs digne de ce
nom. Ce partenariat est en action, de
manière foudroyante : plusieurs
présidents déchus en l’espace d’une
année, plusieurs crises nouvelles dans
le monde arabe et, pour finir, un
Sahelistan qui prend forme dans
plusieurs régions, à nos frontières.
Jamais le monde musulman n’a vécu des
crises aussi graves et destructrices,
autant de divisions et de partitions.
L’invasion du Nord-Mali et l’attentat
d’In Amenas s’inscrivent dans cette
logique bien ficelée jusqu’au dernier
détail. Notre propos vise à prouver
qu’au Mali il ne s’agit pas de
terrorisme mais de terrorisme d’Etat,
les mercenaires employés pour ce dessein
ne sont que des tentacules d’une même
pieuvre, qu’ils prétendent agir au nom
de l’Islam ou au nom de l’Azawad. La
crise malienne s’inscrit dans une vision
géostratégique impérialiste avec une
aire géographique précise qui cadre avec
la théorie huntingtonienne du «Clash des
civilisations» et dont le but est la
mainmise sur des ressources, l’extension
et la domination mais aussi l’octroi de
budgets faramineux aux entreprises du
complexe militaro- industriel, entre
autres. Cet impérialisme et ce
bellicisme américains – en contradiction
avec la Constitution du pays – est
induit par un budget immense consacré à
la défense, un budget par essence
belliciste, qui ne s’explique que par
une volonté de guerre permanente.
Lorsqu’on sait que 70% de ce budget va
aux entreprises privées, on comprend qui
commande en Amérique et qui commandite
les guerres menées par l’Amérique, «au
nom de la justice» et même «au nom du
Christ» comme l’a prétendu George Bush
junior. Notre étude sur le Mali
n’apparente pas le terrorisme et
l’islamisme qui le soustend à une
idéologie mais à un mercenariat de
groupes qui travaillent pour des forces
étrangères. Dès lors qu’il tue et
terrorise et viserait à instaurer une
dictature fasciste, «l’islamisme» n’est
donc pas une idéologie mais un crime,
pour paraphraser Bertolt Brecht qui
disait que «le nazisme n’est pas une
idéologie mais un crime». Elle
s’articule sur des faits, mais aussi sur
les données avancées dans de nombreux
livres et études sur le terrorisme,
essentiellement d’auteurs progressistes
américains. C’est en partant du point de
vue – démontré par plusieurs auteurs et
que nous alimenterons par notre analyse
– que le terrorisme dit «islamiste» est,
premièrement, une fabrication américaine
qui ne sert que les intérêts
occidentaux, avec le soutien et la
bénédiction de supplétifs et,
deuxièmement, que l’alliance qui a
permis de faire sortir les Russes
d’Afghanistan et de détruire le bloc
communiste est non seulement en vigueur
mais plus solide et puissante que
jamais. Aujourd’hui, cette stratégie ne
vise plus un seul pays mais plusieurs à
la fois, depuis que les «Printemps
arabes» ont enclenché le passage de ce
plan impérialiste à une vitesse
supérieure.
La misère de la zone
franc
Au-delà de la
présente phrase, nous n’emploierons
qu’entre guillemets et très rarement les
termes fallacieux de «terrorisme
islamiste», de «djihadistes »,
d’«islamistes» ou «d’islamisme» car
cette terminologie et sa propagation
relèvent de la stratégie qui nourrit les
fléaux qu’ils couvrent : tous ces termes
sont inadéquats car il ne s’agit pas de
combattants au nom de l’Islam ni même
d’un Islam perverti mais de mercenaires
sans principes, sans attaches ni
programme ni but. Ils ne servent pas
leurs intérêts propres mais ceux de
l’Occident, de manière consciente et
préméditée. Ces mercenaires sont les
harkis des temps modernes, et comme les
harkis n’ont pas d’idéologie, les
terroristes se prétendant de l’Islam
n’en ont pas. Aucun musulman et aucun
savant musulman ne peut ignorer que
«vouloir créer un Etat musulman, c’est
sacraliser le pouvoir», comme le résume
le mufti de la république syrienne,
cheikh Badr El-Dine Hassoun qui
considère que l’Etat en terre d’Islam ne
peut être que laïc et séculier pour que
des hommes ne monopolisent pas les
Choses d’Allah, qui sont censées
appartenir à tous. Et ce, ajoute un
autre imam syrien, Mohamed Saïd Ramadan
Al-Bouti, pour que le savant musulman et
la théologie musulmane ne soient pas
prisonniers de potentats se prétendant
de l’Islam comme l’ont montré les
dictatures saoudiennes et celles des
rois Hassen II du Maroc et Hussein de
Jordanie... La dette malienne s’élevait
à 3,19 milliards de dollars en 2012, ce
qui est énorme pour un pays qui ne vit
que de la vente du coton, d’élevage et
d’agriculture. Comment satisfaire les
besoins d’une population de 14 millions
d’habitants avec un budget de l’Etat de
150 millions d’euros (année 2012), soit
à peine la moitié du budget du ministère
algérien de la Culture ? La France
détient 25% de cette dette et le Qatar,
4%. Les créanciers refusent de passer
l’éponge, ce qui oblige le Mali à
accepter, en 1992, un plan d’ajustement
structurel (libéralisation des prix,
ouverture du marché, vente des terres
agricoles aux Français) qui, au lieu de
relancer la croissance, a rendu le pays
plus vulnérable et dépendant de
l’extérieur, avec un appauvrissaient
plus grand. 72,8% des Maliens vivent
avec moins d'un dollar par jour. La
misère ne fait que grandir mais les
créanciers restent de glace. Pis : le 11
janvier 1994, la France décide de
dévaluer le franc CFA de 50% par rapport
au franc français, car le Mali fait
partie de la zone franc comme quatorze
autres Etats africains et des îles du
Pacifique. Cette dévaluation met le
peuple malien à genoux : la descente aux
enfers peut commencer, et le plan se
resserrer. Heureusement, Kadhafi offre
des milliers d’emplois aux Maliens, y
compris au sein de son armée. Mais
lorsqu’il propose au Mali et à d’autres
pays de sortir de la zone franc pour
préparer la création d’une nouvelle
monnaie africaine, de gros problèmes
commencent pour les Maliens et Libyens.
Les problèmes maliens sont aussi liés au
refus du président Amadou Toumani Touré
(ATT) d’offrir à la France une base
militaire au Mali, base destinée à
contrecarrer l’influence libyenne,
chinoise, russe et américaine dans sa
zone d’influence historique. Les
militaires français ont été chassés du
Sénégal et doivent bientôt déguerpir du
Tchad : la crise malienne va-t-elle
empêcher cela et servir à renforcer le
prestige d’une
France-civilisée-libératrice-des-nationsdu-
terrorisme-barbare ? La «menace»
terroriste marche à tous les coups, y a
qu’à voir l’augmentation exponentielle
des ventes d’armes à travers le monde et
la prolifération de bases militaires
américaines. ATT aurait aussi voulu
écarter la France (Total) de
l’exploitation des gisements de pétrole
qui ont récemment été découverts… au
Nord-Mali, au sud de la wilaya
algérienne d’Adrar. Le pétrole est dans
le ventre de la terre mais par-dessus,
c’est la misère. Le remboursement de la
dette et l’ajustement structurel imposé
par le FMI ont mis le Mali à genoux : il
n’avait même pas de quoi acheter des
munitions pour ses soldats : c’est ce
qu’a dit le président ATT ! D’ailleurs,
déjà en 2010, selon un câble de
Wikileaks(1), le brigadier général
marocain Abdellah Hamdoun, directeur de
l’Intelligence marocaine, informait les
Etats-Unis que le Mali manquait de
moyens pour contrer Aqmi…
A. E. T.
1.)
http://wikileaks.org/cable/2010/01/10RABAT5.html
2e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
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