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Opinion
La francophonie en
Russie
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 30 mars 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Le 20 mars dernier, c’était la
journée de la francophonie dans le monde. La francophonie
c’est quelque chose. Pensez donc: près de 65 millions de
Français, et on estime aujourd’hui le nombre de locuteurs réels
du français dans l'ensemble des pays membres de l'Organisation
internationale de la Francophonie à près de 250 millions.
Dans le Québec canadien, en Suisse Romande, à Monaco,
en Wallonie belge, le français est la langue maternelle de la
population. Dans les pays du Maghreb, c’est la seconde langue
utilisée, et dans de nombreuses ex-colonies françaises d’Afrique
sub-saharienne, le français est resté la langue officielle et
administrative. En 2010, la langue française est la 8ème langue
la plus répandue dans le monde par nombre de locuteurs, et c’est
une des six langues de travail de l’ONU avec le mandarin,
l’espagnol, l’arabe, l’anglais et le russe.
La langue française, jusqu’au 20ème siècle, a bénéficié d’une
aura exceptionnelle à l’étranger et notamment en Russie. Dès la
fin du 18ème siècle, sous l’influence d’Elizabeth 1ère, le
français s’impose progressivement comme langue des courtisans.
Pour la haute société de Saint-Pétersbourg, parler français
était même devenu parfois plus naturel que parler russe. Cette
prédominance de la langue française est par ailleurs présente
dans toute l'Europe des lumières, puisque l'élite intellectuelle
de nombreux pays (monarques, diplomates, femmes du monde,
écrivains) s’exprimait généralement en français.
Malgré de nombreuses interdictions liées au rejet de la
révolution française, l’empereur russe Paul Ier communiquait
lui-même presque exclusivement en français. Au début du 19ième
siècle, la langue française était encore très répandue dans la
noblesse russe. Pouchkine, par exemple, parlait mieux français
que russe, ce qui lui valu le surnom de Француз (“Le Français“).
Autre exemple: dans Guerre et Paix, le célèbre roman de
Léon Tolstoï, l’un des personnages affirme que “même étant né en
Russie, il pense en français“, car cette langue représente pour
lui “la manière de parler mais aussi celle de penser“. Dans le
courant de ce siècle, certains grands écrivains russes créaient
leurs œuvres dans les deux langues, russe et français, puisque
qu'ils parlaient français en famille, dès leur plus tendre
enfance.
Jusqu’au début du 20ème siècle, le français était également
la langue des diplomates. En 1905, le traité de paix
russo-japonais fut, par exemple, rédigé en français. Pourtant,
le 20ème siècle marqua le début du déclin de la langue
française, déclin que les pessimistes affirment irréversible, en
corrélation directe avec l’importance prise par la langue
anglaise surtout depuis 1945. Malgré cela, l’attachement
traditionnel et formel au français s’est prolongé durant le
20ème siècle en Russie, ou parler français était toujours la
marque d’une éducation de bon niveau et aussi d’appartenance à
une certaine élite.
Pour cette raison, de nombreuses familles soviétiques
aimaient que leurs enfants parlent le français. Depuis la fin de
l’Union Soviétique, la langue française n’a pas disparu en
Russie, mais son influence s’est réduite. Elle est supplantée
par l’anglais et l’allemand jugés plus utiles pour
travailler. Au début des années 1990, selon les
données du ministère russe de l’Education, 55% des écoliers
apprenaient l’anglais, 34,9% l’allemand et 8% seulement le
français, contre 20% dans les années 1960.
Autres chiffres, selon l’ambassade de France, qui bénéficie
des données communiquées par le ministère fédéral de l'Education
et de la science, il y avait en 2009 en Russie 410.000 personnes
apprenant le français dans l'enseignement primaire et secondaire
et 344.000 dans le supérieur, ainsi que 6.250 enseignants de
français dans le primaire/secondaire, et 5.750 dans le
supérieur. Ce déclin de l’apprentissage de la langue française
touche malheureusement la Russie comme le reste du monde, sauf
l’Afrique qui est en très forte expansion démographique.
Parallèlement, il y a aussi un recul de l’enseignement de la
langue russe en France. Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie
en France,
confirmait cette baisse l’année dernière, durant l’année
France-Russie. En 2008, 14.000 élèves apprenaient le russe en
France dont 48% en 3ème langue, et 29% en 2ème langue. Il faut
noter qu'en 20 ans, le nombre de ces élèves a diminué de 50%.
L’effectif des enseignants baisse aussi et sur les 85
universités françaises, seules 22 proposent l’enseignement du
russe, contre 25 en
2005, par exemple. Il y a environ 260 professeurs certifiés
ou agrégés qui enseignent le russe aujourd’hui dans le
secondaire français contre 487 en 1989.
Cette baisse de l’intérêt pour la langue russe en France
s’explique sans doute en partie par l’image négative véhiculée
par
les médias depuis une douzaine d’années. Il faut pourtant
rappeler que les perspectives économiques sont très
encourageantes dans la zone russophone d’Eurasie, ce qui devrait
inciter les Français à apprendre le russe mais également les
Russes à apprendre le français. De nombreuses entreprises
françaises, grandes et petites, sont en cours d’implantation en
Russie et dans la zone russophone, mais il reste encore
difficile de trouver, dans de nombreux domaines de l’activité
économique, des spécialistes russes francophones ou des
spécialistes français russophones.
Pour terminer sur une note positive, saluons ceux qui font
vivre la langue de Molière jusqu’au bout de l’Eurasie. C’est le
cas de la principale agence d’information multimédia russe, RIA
Novosti qui dispose d’une version en langue française de son
site internet et ce depuis 2000! L’agence s’adresse également
depuis cette année en
langue française
aux lecteurs francophones sur les réseaux sociaux Facebook
et Twitter avec toujours la même logique: permettre de mieux
comprendre la Russie d’aujourd’hui. Il est même désormais
possible de discuter en direct avec les journalistes/traducteurs
sur Facebook.
A une plus humble échelle, citons également le travail d’Olga,
enseignante de français à l'Université pédagogique de
Blagovechtchensk et également responsable du Centre de
ressources en français. Depuis 2005, elle fait vivre avec son
équipe la langue et la culture française en extrême orient
russe, via un journal en français intitulé: “salut
ca va“ ainsi que via “le
blog des francais de l’amour“. Comme Olga le dit elle-même:
“L’échange interculturel ne fait que renforcer
l'intercompréhension de nos deux peuples et aide à mieux se
comprendre. Le dialogue entre nos deux cultures apporte l’unique
richesse qui compte, celle de l’esprit“.
Une belle initiative, à soutenir et sans nul doute, à
reproduire.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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