Opinion
Vers l'Europe de Lisbonne à
Vladivostok ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 29 juin 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Mercredi dernier, le 22 juin 2011,
c’était l'anniversaire du début de la
Grande guerre patriotique. Le 22 juin
1941 à 4 heures du matin, la radio
annonça le début de l’agression
allemande contre l’Union soviétique. Du
22 juin 1941 au 9 mai 1945, soit en un
peu moins de 4 ans, cette guerre civile
européenne coûtera à la Russie 27
millions de morts.
27 millions, voilà pour les Russes le
nombre qui symbolise cette période
tragique de l‘histoire de l’Europe. Ce
jour est un traumatisme dans la mémoire
collective russe en tant que jour du
début de la guerre mais également parce
que l’URSS n’était absolument pas prête
militairement, face à une telle
agression. Les premiers mois de guerre
furent catastrophiques pour l’URSS et
les troupes allemandes pénétrèrent
relativement aisément en Russie de
l’ouest.
Les Français comprennent parfaitement
le sens de cette période tragique,
puisque le schéma de guerre éclair et de
débâcle fut le même en France, du moins
au début de la guerre. Le 10 mai 1940
commença la bataille pour la France qui
ne dura que 42 jours, puisque le 22 juin
1940, le gouvernement Pétain signa
l’armistice, reconnaissant la défaite
militaire et acceptant l’occupation de
la France. Dès le printemps 1942, les
Russes au bord du gouffre surent réagir.
Les troupes allemandes sont repoussées
hors de Moscou et les combats vont se
déplacer vers le sud et vers le Caucase.
Les batailles terribles de Koursk et
Stalingrad contribueront à
l’anéantissement du potentiel militaire
allemand et contribueront à réduire à
néant le plan d’Hitler pour l’Europe. On
connaît l’histoire, l’armée rouge
poursuivra la guerre jusqu’à Berlin, où
la capitulation sera signée le 8 mai
1945 peu avant minuit.
Dès lors et pendant près d’un
demi-siècle de guerre froide, l’Europe
sera coupée en deux, Ouest et Est
délimités par le rideau de fer. En 1989,
avec l’effondrement du mur de Berlin,
l’éclatement de l’URSS et la dissolution
du Pacte de Varsovie, on pouvait penser
à une détente réelle en Europe. Mais
l’extension rapide de l’UE et de l’OTAN
vers l’est a créé de nouvelles
inquiétudes. Depuis 1989 la frontière
physique que représentait le mur de
Berlin a été remplacée par une autre
frontière, invisible, mais tout aussi
pernicieuse, et qui s’est juste déplacée
plus à l’est. Ces "clichés hérités du
passé et qui planent au dessus de
l’Europe" disait
récemment le premier ministre russe
ont permis à cette frontière
psychologique de prospérer. Ces clichés
et méfiances datent d’une période
pourtant révolue, la guerre froide,
durant laquelle Russes et Occidentaux se
firent face, risquant un 4ème conflit
mondial dont on préfère ne pas imaginer
ce à quoi il aurait pu aboutir.
Mais une nouvelle frontière pourrait
renaître en Europe, matérialisée
aujourd’hui par la volonté des
Américains d’installer un bouclier
antimissile, qui séparerait l’Europe de
l’ouest de la zone
Russie-Ukraine-Biélorussie et
constituerait une nouvelle sorte
d’épée de Damoclès au dessus du
continent. Pourtant, je l’écrivais
dans ma précédente tribune, effacer
cette frontière est possible. Le
vendredi 17 juin 2011 par exemple et
pour la première fois dans l’histoire de
l’OTAN, un pays membre (la France)
livrait du matériel militaire conséquent
(le contrat Mistral) à la Russie,
brisant ainsi cette méfiance maladive de
certains décideurs occidentaux qui
vivent encore dans la guerre froide.
Bien sur, certains membres du congrès
américain ont fait entendre leur
mécontentement, et le gouvernement
letton a affirmé se sentir désormais
préoccupé, mais l’important n’est plus
là, le contrat Mistral s’insère dans une
idée plus vaste.
L’inauguration la semaine dernière
d’un
monument commun à la mémoire du
corps expéditionnaire russe que le Tsar
avait fourni à la France, en 1916, tout
comme l’histoire de l’héroïque
escadrille Normandie-Niemen que personne
n’oublie rappellent que de Paris à
Moscou, un rapprochement est non
seulement une réalité historique, mais
aussi qu’il est en route. Une entente
réelle est non seulement possible et
réalisable sur le continent, mais au
21ème siècle elle est surtout devenue
vitale. Les pays d’Europe centrale et de
l’est, qui ont pensé que la sortie du
parapluie soviétique justifiait l’entrée
sous le parapluie de Union Européenne et
de l’Otan pour se protéger de la Russie
se sont sans doute fondamentalement
trompés. Les intérêts des Européens en
2011, ne coïncident en effet plus
forcément avec ceux des années 1990.
Avec la prise de conscience que la
menace postsoviétique ou russe n’existe
plus, on peut même se demander l’intérêt
de l’Europe à être sous tutelle
militaire de l’Otan, organisation qui a
servi durant la guerre froide, comme l’a
résumé son secrétaire général Hastings
Lionel Ismay, à "garder les Russes à
l’extérieur, les Américains à
l’intérieur et les Allemands sous
tutelle".
En outre l’espace européen (51 pays)
ne coïncide pas non plus avec l’espace
de l’Union Européenne (27 pays). En
matière de sécurité et d’économie, une
architecture beaucoup plus vaste est
sûrement nécessaire. Par conséquent,
l’avenir de l’Europe en gestation, tel
qu’il se préfigure désormais, va sans
doute vers une intégration renforcée
entre l’est et l’ouest du continent. Le
renforcement concret des liens entre les
deux puissances de l’ouest du continent,
que sont la France et l’Allemagne, avec
la puissance de l’est du continent
qu’est la Russie est un signe qui
annonce que lentement mais sûrement,
l’Europe continentale s’unifie et que
l’axe Paris-Berlin-Moscou se met en
place.
Cette alliance continentale souhaitée
par le général de Gaulle est également
le projet défendu par les dirigeants
russes d’aujourd’hui, que l’on songe aux
déclarations de Vladimir Poutine sur la
création d’une communauté des économies
de
Lisbonne à Vladivostok ou encore à
la proposition de Dimitri Medvedev
de créer une
architecture européenne de sécurité.
Une architecture nécessaire dans un
monde en plein bouleversement afin que
l’Europe puisse mettre en place les
moyens nécessaires pour préserver la
paix mais surtout traverser le 21ème
siècle de façon souveraine et
indépendante.
Article publié sur RIA Novosti
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