Tribune
Une nouvelle
opposition "Made in Russia"
Alexandre
Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 25 janvier
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Les élections présidentielles
approchent, et la politique intérieure
russe est un thème qui est revenu de
façon assez récurrente au sein des
analyses et tribunes récentes de RIA-Novosti.
C’est aussi l’un des thèmes les plus
discutés sur l’internet russe, surtout
depuis décembre 2011. Récemment Maria
Selina se demandait si
une nouvelle vague d’émigration
aurait lieu et elle en déduisait très
adroitement que les manifestations de
décembre 2011 pourraient théoriquement
rassembler le cortège de ceux qui,
rejetant le système politique russe,
pourraient choisir de faire leurs
bagages. Mes lecteurs le savent, j’ai
couvert les manifestations de décembre
et publié des photos et des textes qui
ont donné lieu à des débats enflammés
sur le sujet. Bien sur la position
d’étranger qui commente la scène
politique russe n’est pas très
confortable, mais néanmoins un regard
extérieur et comparatif a parfois son
intérêt.
Lors de discussions sur Facebook, Marina
(une jeune franco-russe d’une 30aine
d’années, trilingue, étudiante en MBA) a
résumé les raisons pour lesquelles elle
était descendue dans la rue pour
protester contre le régime. Elle m’a
écrit: " la scène politique en Russie
est bloquée car le parti de Poutine ne
laisse pas de possibilités de
développement à d’autres partis ".
Marina souhaite "l’apparition de
nouveaux partis, forts et jeunes et ne
plus vivre avec un seul parti dominant
comme Russie-Unie". Elle dénonce aussi
le "multipartisme de façade" qui règne
en Russie car pour elle "les partis
d’opposition sont des vieux partis
dirigés par des esprits soviétiques,
pour lesquels les gens votent sans
conviction, seulement afin de ne pas
voter pour Russie-Unie".
Cette revendication m’a entrainé dans
une foule de réflexions et je ne peux
m’empêcher en tant qu’étranger de tenter
une comparaison avec la France. Que
constatons-nous en France ? Certes une
alternance existe depuis quelques
décennies entre deux courants,
représentés par les deux partis
dominants. Mais ces deux vieux partis de
centre droit (UMP) et de centre gauche
(PS) présentent ils réellement des
différences idéologiques fondamentales
face aux contraignantes exigences
supranationales de Bruxelles? Est-ce
qu’on peut rêver en France, comme Marina
en Russie, de "l’apparition de nouveaux
partis, forts et jeunes" ? Est-ce cela
"une scène politique non bloquée"?
Pouvoir voter non pour un mais pour deux
partis qui ne savent pas gérer
l’économie française, qui ont presque le
même programme et les mains totalement
liées par 30 ans de mauvaise gestion
préalable, qui est de leur fait? Ont-ils
la moindre marge de manœuvre face aux
déficits abyssaux qu’ils ont créés ? En
France, des partis considérés comme plus
ou moins anti système comme le Front
national ou le Parti de Gauche sont
tenus à l’écart de la gouvernance par de
subtils mécanismes politiques. Par
conséquent les représentations à
l’assemblée ne sont pas non plus
totalement proportionnelles, ni justes.
En France aussi on choisit au premier
tour et on élimine au second, cela veut
dire qu’au final on ne vote pas
forcement pour un parti mais contre un
parti. C’est ce qu’a écrit Marina pour
la Russie : "Le vote pour certains
partis est principalement un vote contre
Russie-Unie". Ce rêve d’une opposition
digne de ce nom est intéressant. Le but
d’une opposition est de porter une
politique alternative à celle en
vigueur.
Une opposition nouvelle et crédible en
Russie devrait d’abord être
identifiable, surtout quand à la teneur
de son projet pour le pays, démontrer
une aptitude à exercer le pouvoir,
s’imposer par des élections, et pas
seulement s’opposer au pouvoir via des
déclarations et des manifestations de
rues. La difficulté de s’opposer
constructivement à Vladimir Poutine,
d’après
Viktor Loupan, est que "ce dernier
est à la fois de gauche, de droite,
patriote, libéral, nationaliste et
mondialiste. Pour s’opposer ne serait-ce
qu’à une position centriste, il faut une
solide culture politique et une
plateforme idéologique inébranlable.
Pour devenir une véritable force
politique, il faut du temps et de la
patience. (…) Regardez : Mitterrand
commença à s’opposer à de Gaulle en 1958
et ne parvint au pouvoir qu’en 1981".
Je ne suis pas seul à penser que les
hommes et femmes politiques doivent
avant tout défendre les intérêts
nationaux et les citoyens de leurs pays.
Je n’ai pas non plus de partis qui me
satisfassent dans mon pays, la France,
mais pour autant je ne sais pas ce que
je penserais (et ce que penseraient mes
concitoyens) si des immixtions
étrangères palpables étaient constatées
dans le processus politique et électoral
du pays comme c’est le cas en Russie.
Comme le rappelait la
journaliste du courrier de Russie
Clémence Laroque, le nouveau visage de
la diplomatie américaine en Russie
s’appelle
Mike MacFaul . Ce nouvel Ambassadeur
a toujours affiché ses positions en
faveur d’un rétablissement des relations
russo-américaines après l’ère Bush, mais
il est également "considéré comme un
spécialiste des révolutions de couleur".
Doit-on voir un lien avec les
manifestations de décembre dernier et
celle de février prochain? Ou avec les
accusations de financement d’opposants
actifs (Nemtsov
ou
Navalny) par des ONGs américaines?
Ou plutôt un lien avec cette
bien curieuse invitation des
représentants de l’opposition russe à
l’ambassade américaine de Moscou le
17 janvier dernier, soit seulement 3
jours après la nomination de cet
ambassadeur en Russie?
Peut-on imaginer par exemple en France
le Front National être reçu par
l’ambassadeur de Russie pour se plaindre
de ne pas avoir de députés? Ou Jean-Luc
Mélenchon (Parti de Gauche) être reçu
par l’ambassadeur de Chine après avoir
organisé des manifestations à Paris? Que
penseraient les citoyens et électeurs
français? J’ai publié récemment une
tribune à propos de ce projet "national-démocrate"
qui cherche à rassembler les deux
courants que sont le courant libéral et
le courant nationaliste modéré, et qui
pourrait avoir émergé des manifestations
de décembre dernier. Pour l’analyste
russe
Dimitri Olchansky les manifestations
ont en effet traduit l’opposition d’un
pan minoritaire de la société (qualifié
de "population européenne") avec le pan
majoritaire de la société (qualifié de
"population archaïque"). Pour lui, cette
opposition devrait entraîner l’émergence
d’une idéologie nationaliste dominante,
avec tous les risques que cela comprend.
Pour lui Russie-Unie serait donc
aujourd’hui une sorte de valve de
sécurité, dont la tache principale
serait de garder le pouvoir et de
déverrouiller progressivement certains
blocages psychologiques de la société
russe, en accompagnant une subtile
libéralisation du système. Ainsi,
Dimitri Olchansky conclut:" plus
longtemps Poutine conservera le pouvoir,
plus on aura de chances de voir la
société russe évoluer de façon paisible
et harmonieuse. Les nationalistes
finiront de toute façon par prendre le
pouvoir, c’est inévitable. Mais plus
tard ce jour arrivera, plus ils seront
civilisés".
Pour ceux qui rêvent de la disparition
du pouvoir de Russie-Unie, la seule
solution crédible serait sans doute
l’apparition d’une opposition non
déstabilisante pour le pays, bien sur
compétente, mais et surtout "Made in
Russia". Certainement pas une opposition
issue du passé ni une opposition
financée par l’étranger. Mais une telle
opposition peut elle éclore à quelques
semaines des élections présidentielles?
La scène politique russe est plus
passionnante que jamais.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Alexandre Latsa est
un journaliste français qui vit en
Russie et anime le site DISSONANCE,
destiné à donner un "autre regard sur la
Russie". Il collabore également avec
l'Institut de Relations Internationales
et Stratégique (IRIS), l'institut
Eurasia-Riviesta, et participe à
diverses autres publications.
Article publié sur
RIA Novosti
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