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Opinion
La démographie
russe, objet de tous les fantasmes
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 29 décembre 2010
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
En octobre 2010, un grand quotidien français, réputé
pour le sérieux de ses analyses internationales consacrait 6
pages à un dossier sur la démographie Russe. Le titre: "Quand la
Russie disparaitra: enquête sur un désastre démographique" était
posé en grosses lettres sur la photo d’un enfant à l’air hagard
et aux mains sales, dont on ne sait trop s’il était en haillons
ou pas. Un correspondant ayant vu la photo m’a demandé si
c’était une photo colorisée datant du siège de Stalingrad. Le
dossier analysait la période de déclin démographique que la
Russie a connu après l’effondrement de l’Union soviétique et
concluait que la population Russe devrait chuter à 80 millions
d’habitants en 2050, le peuple Russe ayant plausiblement disparu
en 2150.
Certes, l’effondrement politique, économique et institutionnel
qui a suivi la disparition de l’URSS a contribué au
déclenchement d’un désastre sanitaire et démographique sans
précédent. En quelques années, l’espérance de vie s’est
écroulée, et l’état sanitaire moyen s’est considérablement
détérioré. La surconsommation d’alcool souvent frelaté, les
empoisonnements liés et les suicides ont provoqué une explosion
du taux de mortalité. Les maladies sexuellement transmissibles
dont le sida, se sont développées, parallèlement à
l’augmentation de la consommation de drogue. Mais surtout,
alors que de plus en plus de Russes mourraient, de moins en
moins naissaient. L’augmentation de la mortalité s’est
accompagnée d’une baisse de la natalité. Face à la crise
économique, l’avortement était souvent la seule solution pour
beaucoup de femmes. Par ailleurs pour 1993 on a estimé que sur
1,6 millions de naissances, il y a eu près de 5% d’abandons
d’enfants.
La démographie russe est un sujet complexe, certes alarmant,
mais qui bien souvent est traité de façon excessivement
pessimiste dans la presse étrangère. Par exemple il nous est
annoncé dans cet article que la Russie perdrait 900.000
habitants chaque année, puis une carte du taux d’accroissement
naturel des régions Russes datant de 2009 était agrémentée d’un
commentaire expliquant qu’en 2007, le solde migratoire positif
de la population russe ne compense pas l’accroissement naturel
négatif. Tous ces chiffres mélangés semblent extrêmement
inquiétants, mais la disparition annoncée de la population de la
Russie ne tient pas compte de tous les paramètres de la
situation. Reprenons:
la population Russe est passée de 147,7 millions en 1990 à
141,9 millions en 2009, une diminution de 5,8 millions
d’habitants en 19 ans, soit une baisse annuelle moyenne de
305.000 personnes. La population a donc diminué de 5,8 millions
d’habitants malgré plus de 6 millions de naturalisations
réalisées en 17 ans, de 1992 à 2009, soit une moyenne
annuelle de 350.000. Les personnes naturalisées étaient
principalement des Russes des ex-républiques de l’Union
Soviétique, dont plus de 30 millions se sont retrouvés en 1991
hors des frontières de la Russie. Ainsi si l’on devait établir
une moyenne de la diminution de la population Russe, elle
s’établirait pour la période de 1990 à 2009 à environ 650.000
personnes chaque année.
La situation s’est considérablement aggravée après 2000. De 2001
à 2006, la population chute de 146,3 à 142,8 millions
d’habitants, soit une perte de 3,5 millions d’habitants en 5
ans. Pour la seule année de 2005, la population a diminué de
780.000 habitants. Cette année catastrophique est également
l’année ou l’Etat a lancé un programme national « santé » confié
à Dimitri Medvedev, alors vice-Premier ministre en charge des
projets nationaux et prioritaires. Destiné à relancer la
natalité et faire baisser la mortalité, ce new-deal
démographique a déjà eu des résultats assez consistants. Les
chiffres sont parlants. En 1990, il y eut 2 millions de
naissances et 1,7 millions de décès contre 1,2 millions de
naissances et 2,1 millions de décès en 1999. Mais dès 2005, un
mouvement de hausse de la natalité et de baisse de la mortalité
s’est amorcé, mouvement qui se confirme aujourd’hui. En 2009,
avec 1,76 millions naissances, 1,95 millions de décès, 100.000
émigrants et 330.000 naturalisations, la population russe a
augmenté pour la première fois depuis 15 ans, de quelques 50.000
habitants. Le taux de fécondité de 1,9 enfant/femme en 1990,
tombé à 1,1 enfant/femme en 2000 est remonté à 1,56
enfants/femme en 2009, soit un taux similaire à celui de l’Union
européenne qui était de 1,57 enfants/femme en 2008.
Un autre volet du plan démographique a notamment pour
objectif la diminution du nombre d’avortements. Bien que le
nombre d’avortements ait diminué de 25 % entre 2003 et 2008, on
en a tout de même recensé en 2008 1,234 million, pour 1,714
million de naissances la même année. La seconde partie du plan
vise aussi la diminution du taux de mortalité. Il est axé sur
le développement des hôpitaux et de l’accès aux soins, tout
particulièrement dans le domaine des maladies cardio-vasculaires
qui ont été la cause de plus de la moitié des décès en 2008.
Désormais, il est prévu que la natalité
dépasse la mortalité dès 2012 et qu’ainsi la population
recommence à augmenter naturellement, sans besoin d’apport
extérieur. L’espérance de vie est également encore trop basse,
66 ans contre 78 ans dans l’Union européenne, même si depuis
2005 elle a augmenté de 4 ans. Bien sûr, tout n’est pas réglé,
loin de là. Egalement, la natalité actuelle est le fait des
enfants qui sont nés dans les années 80, soit avant le déclin
démographique. Lorsque la génération du déclin, moins nombreuse,
sera en elle âge de procréer, la population devrait baisser mais
également vieillir.
Quelle pourrait alors être la situation démographique
Russe en 2030 ? Des
prévisions démographiques sans aucun doute plus sérieuses
que celles de certains journalistes ont été faites par le
principal centre russe de statistiques, elles envisagent une
population comprise entre 128 et 144 millions d’habitants en
2030, selon le taux de fécondité et l’immigration que connaitra
le pays. La démographie est une science incertaine, et l’étude
de la démographie russe d’après-guerre nous montre que la hausse
du niveau de vie et la confiance dans l’avenir sont des facteurs
essentiels dans ce domaine. La croissance économique actuelle de
la Russie est donc certainement un point très positif, pour le
"new deal démographique" en cours. En tout état de cause, nous
sommes très loin de certaines prévisions catastrophistes, et en
2010, la Russie n’est pas dans une situation démographique pire
que certains pays Européens. Une chose est sûre: contrairement à
ce que pensent certains, non, la Russie ne disparaitra pas!
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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