Opinion
De la Marne aux Mistral:
l’alliance franco-russe
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 22 juin 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
L'année franco-russe semble finalement
avoir tenu ses promesses. En tant que
français de Russie, le renforcement des
liens entre ces deux pays me tient bien
sur particulièrement à cœur. Comme
nombre de mes concitoyens mais également
d’observateurs lucides, j’ai été
extrêmement satisfait par
la signature vendredi dernier au
forum de Saint-Pétersbourg du contrat
d’acquisition par la Russie des deux
premiers Mistral.
Cette signature n’est pas un simple
accord commercial entre deux états
souverains, elle est le symbole d’un
embryon de
coopération militaire entre deux
pays qui occupent les façades ouest et
est du continent, et sans doute aussi la
fin d’une forme de méfiance entre ce
qu’on peut appeler l’ouest, tout du
moins l’ouest de l’Europe, et la Russie.
Une méfiance qui était avant tout une
réminiscence de la guerre froide. Il
faut noter qu’alors que français et
russes ont donc visiblement dépassé
cette barrière psychologique, outre
atlantique, des officiels Américains ont
eux rapidement commenté la transaction
sur les Mistral comme représentant une
menace pour les intérêts des Etats
Unis dans la région.
L’année franco-russe finalement
semble avoir porté ses fruits d’un point
de vue économique puisque de nombreux
autres contrats sont signés entre russes
et français et que la collaboration
entre nos deux pays semble à tous
niveaux passer à la vitesse supérieure.
Hormis le Mistral, de nombreuses
collaborations ont abouti ou sont en
cours de réalisation, que ce soit au
niveau politique, culturel ou
économique. Le resserrement des liens
entre les deux pays était l’objectif de
l’annee franco-russe et en ce sens on
peut dire que cette année a été un grand
succès. Mais l'année franco-russe pour
beaucoup de français et de russes avait
un autre objectif: celui de faire tomber
les barrières qui perdurent entre nos
deux pays. Les quelques 300 événements
culturels, organisés des deux côtés et
qui ont couvert la quasi-totalité des
territoires des deux pays y étaient
destinés. Bien sur le rapprochement
entre les peuples est long et il faut du
temps pour apprendre à se connaître,
mais l'amitié franco-russe ne se résume
pas à des contrats économiques ni à des
échanges de compagnies de ballets ou
d’artistes, elle a des fondements bien
plus profonds, historiques et
civilisationnels.
Cette alliance franco-russe résulte
d’une longue histoire commune que Léonid
Rechetnikov, le directeur de l’Institut
des Recherches Stratégiques à Moscou,
définit comme
forgée par les guerres. Elle ne se
résume cependant pas à l’offensive de
Bonaparte contre la Russie mais
également à des moments un peu moins
connus de l’histoire de nos deux pays,
au cœur de la guerre civile Européenne
de 30 ans (1914-1945), qui a frappé
notre continent au siècle dernier. Bien
sur presque tous les français
connaissent l’histoire de l’escadrille
Normandie-Niemen, qui combattit en
Russie en 1943 aux côtés des escadrilles
soviétiques. Mais l’histoire militaire
commune franco-russe comporte un autre
grand moment, plus méconnu encore, tout
au moins en France. En 1916 l’Etat-major
russe envoya d’Arkhangelsk et de
Vladivostok, quatre brigades, composées
chacune de deux régiments, chacun de
ceux-ci comptant trois bataillons. Elles
furent transportées pendant la Grande
Guerre sur les fronts français et
macédonien. L’effectif total de ces
troupes russes était de 745 officiers et
de 43.547 soldats. Ces quatre brigades
étaient commandées, respectivement, par
les Généraux Lokhvitzky, Dieterichs,
Marouchevsky, Léontiev et Taranovsky.
Les 1ère et 3ème brigades furent
dirigées vers l’est de la France, et les
2èmes et 4èmes sur le Front français de
l’Armée d’Orient, sous le haut
commandement du Général Sarrail. Les
quelques 20.000 hommes qui aboutirent en
France participeront au défilé du 14
juillet 1916. Ces soldats russes
combattront à l'est de la France en
Champagne jusqu'en 1917. Cette année là,
ils participeront à l'offensive Nivelle
au sein de la 5ème armée du général
Mazel, attaquant les positions
allemandes près de Reims. Subissant les
premières attaques chimiques de l’armée
Allemande lors de la bataille de la
Marne et prenant part à des combats
acharnés, les pertes russes seront
lourdes final, puisqu’elles dépasseront
les 5.000 hommes. En 1917, année de la
révolution russe, ces brigades ont été
dissoutes mais plus de 1.000 volontaires
se sont alors engagés dans les troupes
des Alliés. Un site internet entretient
la mémoire de ce corps
expéditionnaire russe qui a combattu en
France. Hier mardi 21 juin un monument
au Corps expéditionnaire russe a été
inauguré hier à Paris. "Sa
construction était supervisée par le
premier ministre russe Vladimir Poutine
et son homologue français François
Fillon", a indiqué l'architecte du
projet Vladimir Sourovtsev. En septembre
2010, déjà, un monument au Corps
expéditionnaire russe avait déjà été
inauguré à Reims, région principale des
activités des forces russes jusqu’en
1917. La visite du premier ministre
russe s’inscrit donc dans un réel
contexte de lune de miel entre les deux
pays, puisque par exemple le commerce
bilatéral a augmenté de 31,5% en 2010.
Lors de sa visite en France, Vladimir
Poutine doit notamment se rendre au
salon du Bourget mais également
rencontrer des membres de
l'association
"Dialogue franco-russe" qui a pour
objectif de développer le partenariat
des deux pays en multipliant les
contacts dans le domaine des affaires,
des investissements, de la science, de
la culture et de l'enseignement.
Cette alliance franco-russe face ne
repose pas que sur des intérêts
géostratégiques éphémères mais également
sur l'appartenance commune de ces deux
pays à une seule et même civilisation
européenne et chrétienne. Eurasienne
dirons certains, puisque la France et la
Russie s’étendent de l’océan
l’atlantique à l’océan pacifique et que
cet immense territoire, qui va de Brest
à Vladivostok, est géographiquement à la
fois en Europe et en Asie. L'amitié
franco- russe, ce n'est donc pas
seulement des contrats, ni des
territoires, ni même une mémoire
commune, c’est surtout et avant tout
l'appartenance à une civilisation
commune, qui se doit d’être unie et
soudée pour défendre ses valeurs.
Article publié sur RIA Novosti
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