Opinion
«Un autre regard
sur la Russie»:
Vers une réconciliation nationale ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 20 juillet 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa La
cohabitation interethnique et la
cohabitation interculturelle posent
maintenant des problèmes récurrents dans
tous les pays d’Europe. Depuis quelques
décennies, la France et l’Union
Européenne connaissent pour la première
fois de leur histoire des vagues
d’immigration non européenne qui posent
des problèmes d’intégration,
d’assimilation et de cohabitation avec
les populations indigènes européennes.
La ghettoïsation et la
communautarisation sont les deux écueils
principaux sur lesquels buttent les
tentatives d’intégration harmonieuse des
nouveaux venus. Récemment des dirigeants
politiques de
France,
d’Allemagne ou
d’Angleterre ont reconnu l’échec de
la société multiculturelle telle qu’elle
s’est constituée en Europe. Au sein de
l’UE, la linéarisation de la vie
politique (sur un axe gauche/droite) a
relativement exclu du débat les notions
de patriotisme et/ou nationalisme,
laissées aux mouvements et groupuscules
politiques classés comme les plus à
droite sur l’échiquier politique. A
l’échelle supérieure (l’échelle
européenne) la question de l’identité de
cette hyper structure est également
posée, sans qu’une réponse claire soit
pour l’instant apportée. S’agit-il d’un
club Chrétien? Est-ce un futur état
fédéral ? Jusqu’ou l’extension de
l’Europe doit elle continuer? Dans
quelle direction? La Russie par exemple
serait-elle moins européenne que la
Turquie, ce grand état musulman situé en
Asie?
J’ai déjà parlé il y a quelques mois
de la grande différence de structure
entre la fédération de Russie et les
sociales démocraties de l’Union
Européenne. La fédération de Russie est
en effet un empire historique qui
comprend en son sein et depuis longtemps
des peuples variés et de différentes
religions. La gestion de l’autre et la
cohabitation interreligieuse y sont
donc bien plus anciennes et déjà
ancrées dans les mœurs politiques.
L’Islam en Russie, qui est la seconde
religion du pays, est un Islam de
souche, autochtone, qui ne pose pas les
problèmes nouveaux auxquels la société
française fait par exemple face. Mais il
est vrai que l’Islam de France est
importé par des flux migratoires très
récents et on peut dire que cet islam de
France est en quelque sorte encore en
version Beta. Cette paix des religions
en Russie, que j’ai illustrée via
l’exemple
du Tatarstan n’a même pas été
menacée par les deux guerres récentes
que l’état russe a du mener dans le
Caucase. Pourtant, cette expérience de
la gestion de communautés différentes en
Russie n’a pas empêché l’apparition de
graves violences xénophobes dans le
pays, ni l’existence de groupuscules
extrémistes.
En décembre dernier, des incidents
ont ravivé les tensions entre Moscou et
le Caucase du nord puisque suite au
décès d’un supporter russe pendant une
bagarre, plusieurs milliers de jeunes
radicaux se sont rassemblés pour
protester contre la très importante
minorité caucasienne de la capitale. La
manifestation a entrainé des violences
et tout le mois de décembre a vu des
cortèges de nationalistes et de jeunes
caucasiens se suivre et même se faire
face dans la capitale. Ces
manifestations inhabituelles ont permis
de faire ressortir au grand jour pour
les observateurs étrangers deux
conceptions de la Russie qui se font
face. Une conception nationaliste ethno
centrée considérant même que la Russie
devrait se séparer du Caucase musulman
et une version patriote fédérale,
considérant que l’identité de la Russie
est reflétée par la multiplicité des
peuples la composant. Suite à ces
événements, les deux principaux groupes
d’extrême droite de la scène politique
russe, l’union slave (Slavianski Soyouz)
et le mouvement contre l’immigration
illégale (DPNI), ont été interdits pour
extrémisme. Ces interdictions font
partie des mesures prises par le
gouvernement russe pour tenter de faire
cesser les crimes et agressions
xénophobes dans les principales villes
du pays. Récemment, divers groupes de
skinheads ont été
condamnés par la justice russe à de
très lourdes peines et par ailleurs,
près de
500 personnes ont, depuis les
émeutes de décembre 2010, été condamnées
pour extrémisme.
Cette politique semble donner des
résultats puisque selon le Bureau des
droits de l’homme de Moscou, 41
personnes ont été tuées lors de 188
attaques racistes en 2010, contre
87 tués (et 378 blessés) en 2008, et 71
tués (et 333 blessés) en 2009.
Pour autant, malgré ces violences qui
sont réprimées, la politique générale de
cohabitation des ethnies et des
religions en Russie est un modèle dont
les pays européens devraient sans doute
pouvoir s’inspirer. La création de
modèles multiculturels viables est
aujourd’hui en effet un impératif pour
tous les pays d’Europe. Le président
Dimitri Medvedev avait du reste
rappelé au début de l’année que la
Russie "ne pouvait se laisser
séduire par les réflexions consacrant
l'échec du modèle multiculturel". Plus
surprenant encore, le gouvernement de
Tchétchénie a officiellement invité les
leaders des deux groupes russes
d’extrême droite précités et interdits
pour leur montrer la vie de la
république, mais également pour tenter
d’apaiser les tensions entre caucasiens
et russes ethniques. Les dirigeants en
question s’y sont donc rendu au début du
mois et ont pu rencontrer des officiels
tout autant que visiter la république.
Ils en sont revenus en affirmant qu’ils
avaient été agréablement surpris par la
république, par la forme "d’ordre moral"
qui y régnait et également parce que la
vie y avait plus ou moins repris un
aspect normal depuis la fin de la
guerre. Le ministre des affaires
extérieures de la république, Shamsail
Saraliev a justifié l’invitation en
expliquant que les tchétchènes ne
souhaitaient de conflit avec quiconque
pour des motifs nationalistes. Cette
tentative de réconciliation générale
expliquée aux extrémistes n’est sans
doute qu’un premier et timide jet, mais
il est très symbolique. Le président
russe Dimitri Medvedev n’a t-il pas
récemment, lors d’une visite dans le
Caucase,
appelé les organisations musulmanes
à contribuer au retour dans le Caucase
des peuples non caucasiens mais
également
appelé le clergé musulman à
s’impliquer au plus haut niveau
pour combattre le terrorisme?
Article publié sur RIA Novosti
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