Tribune
La Russie est un
acteur fiable et légitime
sur la scène mondiale
Alexandre Latsa
Thierry
Mariani avec Vladimir Poutine au Salon
du Bourget en 2011
©
Photo site officiel de Thierry Mariani
Mardi 13 juin
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Cette année, les élections
législatives en France concernent aussi
les Français de l’étranger. La Russie
fait partie de la
11ième circonscription de
l’étranger. Lors du premier tour des
élections législatives du 10 juin
dernier, deux candidats sont arrivés en
tête, le candidat UMP Thierry Mariani
avec 32,59% des voix, suivi par Marc
Villard (PS) avec 26,65%. Voici
l'entretien avec Thierry Mariani,
candidat UMP à la députation des
Français de l’étranger.
Thierry Mariani bonjour, et
tout d’abord félicitation pour vos
résultats obtenus lors du premier tour
des élections législatives.
Pourriez-vous expliquer aux lecteurs
francophones de RIA-Novosti les raisons
qui vous motivent à vouloir devenir
député des Français de l’étranger pour
la 11ième circonscription?
Durant douze ans, au RPR, puis à
l’UMP, j’ai été chargé des Français de
l'étranger. Parallèlement, j’ai présidé
le groupe d’études sur les Français de
l’étranger à l’Assemblée nationale. Et
surtout, il se trouve que c’est moi qui
ai suggéré à Nicolas Sarkozy de créer
les circonscriptions des Français de
l’étranger pour les législatives de
2012. Il m’a donc semblé logique d’aller
jusqu’au bout de ma démarche…
Pour moi, le choix de la 11eme
circonscription allait de soi : il était
naturel que je me présente là où j’ai le
plus d’influence et une excellente
connaissance des réalités de terrain.
Or, j’ai été président ou
vice-président, à l’Assemblée, des
groupes d’amitié entre la France et la
Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan,
l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan, l’Iran,
etc. Je me suis occupé des commissions
parlementaires relatives au gaz et au
pétrole, secteurs très importants dans
cette zone. Et, ces dernières années, en
tant que ministre des Transports, j’ai
multiplié les contacts avec nombre de
décideurs et de dirigeants de ces
régions du monde, notamment en Chine et
en Asie du Sud-Est. En 2009, j’ai aussi
été le représentant spécial de la France
en Afghanistan et au Pakistan. Enfin,
m’étant occupé des affaires
internationales au niveau de l’UMP, j’ai
mis en place des relations étroites avec
de nombreux partis politiques étrangers,
notamment le Parti communiste chinois,
mais aussi de nombreuses formations en
Asie du Sud Est.
La 11ième circonscription
regroupe 49 pays de la zone Asie, Russie
et Océanie. Quels sont vos liens avec le
plus vaste pays de cette immense
circonscription qu’est la Russie, et
avec la communauté française de Russie,
qui avoisine les 7.000 âmes?
J'ai des liens charnels avec la
Russie et, parmi tous mes concurrents,
je suis certainement celui qui connaît
le mieux ce pays. Outre que j'y compte
bien des amis, vous savez peut-être que
mon épouse, binationale, est d’origine
russe: je connais donc intimement la
réalité quotidienne vécue par nombre de
couples expatriés.
Depuis 1976, année où j’ai passé le
baccalauréat avec le Russe comme 2ème
langue vivante, j’ai toujours été
passionné par la Russie. Ces dernières
années, je m’y suis rendu fréquemment
(de 7 à 10 fois par an), d’abord pour y
retrouver ma belle famille, à
Ekaterinbourg, mais aussi parce que j’ai
des liens forts avec de nombreux
responsables politiques russes. Je
co-préside également l’association
intergouvernementale du Dialogue
franco-russe avec Vladimir Ivanovitch
Iakounine, président de « OAO » RZhD
(chemins de fer russes). Pour toutes ces
raisons, je pense être le mieux placé
pour représenter les Français vivant en
Russie.
Beaucoup de Français de
Russie se plaignent de l’image qui est
donnée de la Russie par les médias
français. Quelle est votre opinion à ce
sujet?
Certains médias caricaturent parfois
une réalité complexe. La Russie se remet
seulement de 70 ans de communisme et
d'une transition ultralibérale qui a
laissé des traces dans les comportements
quotidiens, du plus bas au plus haut
niveau. Mais il faut surtout voir le
chemin accompli depuis douze ans par
l'équipe de Vladimir Poutine et Dmitri
Medvedev. Les récentes manifestations
d'opposition traduisent la vitalité du
peuple russe et constituent un nouveau
défi pour la modernisation du pays… Défi
relevé, à voir les mesures prises par un
gouvernement qui est dans l'action et
évite de se payer de mots : depuis
avril, n'importe qui peut fonder un
parti politique et s'exprimer
démocratiquement ; une vaste lutte
contre la corruption a été engagée
depuis cinq ans, qui finira sans doute
par porter ses fruits ; les
manifestations d'opposition continuent,
dans la rue et sur Internet, ce qui est
rassurant pour la liberté d'expression ;
et le nouveau gouvernement de Medvedev
comporte un important pôle de ministères
axés sur le social, le dialogue avec
l'opposition et les relations avec la
société civile. Ce sont des actions
concrètes, qui méritent d'être notées,
même si rien n'est jamais parfait.
Est-ce que ces critiques
existent aussi dans les autres pays de
la circonscription que vous parcourez?
C'est le cas de certains, bien sûr,
comme l'Azerbaïdjan. Le passé
postsoviétique y est le même ; mais là
encore, la réalité est moins
caricaturale que l'image médiatique
répercutée.
La Russie est parfois
dénoncée comme étant un état
autoritaire. Lors de la récente visite
en France de Vladimir Poutine, des
intellectuels français (Bernard-Henri
Lévy, Daniel Cohn-Bendit, Bernard
Kouchner, André Glucksmann…) ont
notamment adressé une lettre ouverte au
président russe. Quelle est votre regard
sur le pouvoir politique russe
d’aujourd’hui et notamment la figure de
Vladimir Poutine?
Poutine a une incontestable
légitimité, puisqu'il a recueilli 64%
des voix dès le premier tour à la
présidentielle de mars dernier. Même
s'il y a eu des fraudes à la marge, il
est évident que la majorité de la
population russe a fait le choix de la
stabilité. Les intellectuels de gauche
ne devraient pas s'ingérer dans la vie
politique d'un pays souverain dont ils
n'ont d'ailleurs qu'une vision souvent
tronquée. La Russie est un partenaire
important de la France. C'est aussi un
acteur fiable et légitime sur la scène
mondiale, qui a droit au respect.
A cet égard, François Hollande, qui a
tenté, le 29 mai, de faire la leçon a
Poutine, a commis une erreur
diplomatique. Non seulement il a échoué
à faire évoluer le Kremlin sur la
question syrienne, mais en outre, il a
ridiculisé notre diplomatie en
brandissant des incantations
humanitaires face à un Poutine qui
attendait des propositions politiques
sérieuses. Le président "normal" doit
vite enregistrer le fait que les
relations internationales n'ont rien à
voir avec l'émotion, aussi légitime
soit-elle. Sans vision stratégique, la
politique des bons sentiments a
généralement des conséquences
catastrophiques.
Depuis l’année croisée
France-Russie en 2010, un réel déblocage
semble avoir eu lieu entre nos deux
pays, symboliquement illustré par la
vente des BPC Mistrals. Comment
l’expliquez-vous, alors que Nicolas
Sarkozy semblait au contraire très
critique envers la Russie lors de son
élection en 2007 ? Celui-ci avait
notamment et rapidement réintégré la
France dans le commandement intégré de
l’Otan. N’y a-t-il pas la une
contradiction politique et géopolitique?
Nicolas Sarkozy a très vite rencontré
Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine,
pour mettre en place une politique
pragmatique. Il a bien géré la crise
géorgienne de 2008, à l'avantage de tous
les camps en présence. J'ai, pour ma
part, fait mon possible pour harmoniser
les relations entre nos deux pays, et,
avec mon ami Gérard Longuet, ministre de
la Défense, nous avons directement
rencontré Vladimir Poutine au salon du
Bourget en 2011.
Le retour de la France dans le
Commandement intégré de l'Otan n'est pas
synonyme d'allégeance aux Etats-Unis,
contrairement à ce que l'on pourrait
croire: la preuve avec notre
désengagement de l'Afghanistan. Dans le
contexte d'interventions ne se déroulant
plus que dans le cadre de coalitions, il
s'agit surtout de disposer d'un outil
supplémentaire pour notre diplomatie et
nos capacités de projection.
Enfin, le fait de vouloir entretenir
des rapports amicaux avec Moscou ne doit
pas priver la France de travailler avec
Washington. La diplomatie, ce n'est pas
une relation de couple, ou des histoires
de jalousie : un Etat souverain doit
avant tout veiller à défendre ses
intérêts supérieurs. Croyez-moi :
Poutine et Medvedev comprennent cela
très bien!
Quelle est votre opinion au
sujet du projet de bouclier anti-missile
qui crispe tant la Russie?
C'est une question épineuse. Il faut
que les différents partenaires
travaillent de concert à la sécurité
continentale. Mais pour l'instant,
sachant que Moscou est également prêt à
déployer ses propres missiles à titre
dissuasif, ce projet de bouclier
anti-missile, qui n'apporte rien à la
sécurité européenne devrait être mis en
stand-by en attendant des avancées
significatives entre les partenaires
russes et européens. Si nous devons
entretenir de bons rapports avec les
Etats-Unis, l'Union européenne ne doit
pas, pour autant, devenir un avant poste
américain au détriment de ses intérêts
vitaux. Si François Hollande favorise
l'installation du bouclier anti-missile,
il faudra accepter de gérer en retour
l'installation des missiles russes que
Dmitri Medvedev veut mettre en place à
titre dissuasif.
Les Français de l’étranger
ont majoritairement voté à droite,
puisque Nicolas Sarkozy a obtenu 53,05 %
des voix a la présidentielle au sein des
Français de l’étranger, contre 46.95%
pour François Hollande. Au sein de la
11ième circonscription le gap est encore
plus fort, Nicolas Sarkozy ayant obtenu
57,55 % contre 42,45 % pour François
Hollande. Comment l’expliquez-vous?
Les Français de l'étranger votent
traditionnellement plus à droite que
leurs concitoyens de métropole. Sans
doute parce que les expatriés sont
souvent des gens peu attachés aux
revendications sociales, très
entreprenants, débrouillards… Ayant
l'expérience d'autres pays, ils
développent paradoxalement un fort
attachement pour leur patrie.
Pragmatiques, réalistes, ils savent
également discerner ce qu'il faut faire
– ou pas ! – pour favoriser le modèle
français.
Qu’est ce qui vous
différencie de votre adversaire PS du
second tour, Marc Villard?
Tout ! D'abord, le PS s’est
violemment opposé à la création de
députés représentant les Français
établis hors de France ; moi, j'ai
proposé la création de ces
circonscriptions!
Sur le plan scolaire, Marc Villard,
en accord avec le PS, dénonce la prise
en charge des frais de scolarité,
prétendant qu’elle bénéficie aux «
riches », alors qu'en fait, cela
concerne principalement les classes
moyennes. M. Villard défend d'ailleurs
le projet de Jérôme Cahuzac, nouveau
ministre du Budget, qui a récemment
proposé la création d'un impôt sur le
revenu des Français qui travaillent à
l'étranger. Là encore, c'est déplorable,
car on voit que les socialistes font
constamment l’amalgame entre Français de
l’étranger et exilés fiscaux!
Enfin, l'expérience nous distingue
encore assez nettement. Je sillonne
l'Eurasie depuis des années et je
connais parfaitement les Français de
l'étranger. En tant que ministre des
Transports, j'ai pu mettre en place de
nombreuses dynamiques internationales et
nouer des contacts au plus haut niveau.
Mon adversaire manque d'expérience, de
réseaux et prend cette candidature comme
une activité secondaire pour sa
retraite. En outre, il n'a aucune
expérience de l'Assemblée nationale
alors que j'ai quatre mandats derrière
moi. Je me permets de signaler à vos
lecteurs qu'il faut plusieurs années
avant qu'un député soit opérationnel et
maîtrise bien les mécanismes
parlementaires. Pour conclure, j'ai
entendu M. Villard dire qu'il
"connaissait mieux le Vietnam" que moi :
c'est comme s'il disait, dans une
circonscription de métropole, très bien
connaître les rues de son quartier !
Cela prouve qu'il n'a rien compris aux
enjeux réels de cette élection.
Qu’est ce que les Français de
l’étranger, et de Russie, peuvent
attendre de leur député en général,
surtout s’il s’appelle Thierry Mariani?
Beaucoup de choses, sur différents
plans. Au niveau quotidien, parmi les
problèmes fréquents que rencontrent les
Français de l’étranger se trouve les
questions liées à la scolarité. Sur ce
sujet, Nicolas Sarkozy avait pris un
engagement très clair, qui est la
gratuité pour les lycées. Aujourd’hui
les classes de Seconde, Première et
Terminale sont quasiment gratuites et
nous voulons continuer dans ce sens, et
étendre cette mesure aux classes de 3ème
et 4ème. Pendant la même période, nous
avons doublé les bourses pour les élèves
des lycées Français à l’étranger, dont
les parents ne peuvent assurer la prise
en charge des frais de scolarité. Le PS,
quant à lui, veut remettre en cause la
gratuité de la scolarité des lycées pour
les Français de l’étranger et augmenter
le nombre de boursiers… Une fois de
plus, ce seront les classes moyennes qui
devront payer !
Nous travaillons également à un vrai
programme de développement des lycées à
l’étranger – à l’heure actuelle, un
certain nombre sont en construction dans
le monde – qui palliera des situations
comme celle de Moscou, où la communauté
s’accroit considérablement alors que les
places dans le lycée français deviennent
insuffisantes. J’ai d’ailleurs rencontré
lors de mon dernier passage à Moscou des
représentants des parents d’élèves.
Nous travaillons également sur la
proposition qu’avait faite Nicolas
Sarkozy, concernant le retour des
expatriés. En effet, après plusieurs
années d’expatriation, le retour en
France est souvent difficile, c’est
pourquoi nous souhaitons créer une
agence pour favoriser le retour dans les
meilleures conditions.
Enfin, dans le cadre globalisé qui
est le nôtre, je mettrai également mes
réseaux et mon influence au service des
Français de l'étranger, notamment pour
les aider à discerner les dynamiques
émergentes en Eurasie et dans le
Pacifique, afin d'en exploiter au plus
tôt toutes les potentialités. Dans une
France plongée dans la mondialisation,
les expatriés peuvent constituer autant
d'atouts et de têtes de pont pour la
métropole. Mais il faut dans ce cas les
considérer comme des Français à part
entière et les guider sur les chemins de
la mondialisation. A leur député de
mettre en place, pour eux, des
stratégies gagnantes.
Alexandre
Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie". Il
collabore également avec l'Institut de
Relations Internationales et Stratégique
(IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et
participe à diverses autres
publications.
Article publié sur
RIA Novosti
© 2012
RIA Novosti
Publié le 13 juin 2012
Le sommaire d'Alexandre Latsa
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