Opinion
Dokou Oumarov: mort
ou vif ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 13 avril 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Le 28 mars dernier, la Russie commémorait le triste
anniversaire des attentats qui ont frappé le métro de Moscou il
y a tout juste un an. Alors que les Moscovites se recueillaient
dans les stations de métro et déposaient des fleurs à la mémoire
des 39 victimes, tout au sud du pays une opération militaire de
grande ampleur avait lieu en Ingouchie, dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme.
L’assaut terrestre appuyé par des frappes aériennes, a permis
l’élimination de 21 terroristes, liés à l’organisation “Emirat
du Caucase“ qui est la principale branche terroriste de la
région.
L’Emirat du Caucase a été créé en Octobre 2007 par le
Tchétchène Dokou Oumarov, qui a participé aux deux premières
guerres de Tchétchénie. L’Emirat du Caucase remplace la
république Tchétchène d’Itchkérie, un Etat non officiel qui se
voulait indépendant de la Russie, prônait la Charia sur le
modèle du Soudan et qui ne fut reconnu que par les Talibans
Afghans et le premier gouvernement de la Géorgie indépendante.
La déclaration d’indépendance de cette république imaginaire
amena à la première guerre de Tchétchénie.
Dokou Oumarov abolit ensuite la République tchétchène d'Itchkérie
dont il était président en octobre 2007 et proclama à la place
un Émirat du Caucase, dont la Tchétchénie n'était qu'une simple
province parmi bien d'autres. Dokou Oumarov a revendiqué les
principaux attentats de ces dernières années, que ce soit
l’attentat contre le train Nevski-express de novembre 2009 (26
morts et une dizaine de blessés), celui du métro à Moscou de
mars 2010 (39 morts et 102 blessés) ou l'attentat de janvier
2011 à l'aéroport Domodedovo (35 morts et 180 blessés).
En février dernier, Oumarov avait prédit une année de sang et
de larmes à la Russie, menaçant de faire déclencher des
attentats sans répit. Début mars, il avait appelé dans une vidéo
à un Djihad total en Russie, s’adressant à tous les musulmans de
Russie. Depuis sa création en 2007 l’Emirat du Caucase à mené
près de 1.600 attaques en Russie, dont 99% dans le Caucase du
nord. Ces attaques ont tué près de 1.400 personnes (dont 300
civils) et blessé près de 1.700 personnes (dont 900 civils).
Pour la seule année 2009, 511 attaques terroristes ont eu lieu
sur le territoire russe, dont 508 dans le Caucase nord, et 159
en Tchétchénie.
Ces attaques ont causé la mort de 427 personnes (dont 51
civils) et ont blessé 844 personnes (dont 199 civils).
En 2010, la situation ne s’est pas améliorée. L’Emirat du
Caucase à directement perpétré 583 attaques, ayant entrainé la
mort de 410 personnes (dont 119 civils). Cela représente la
moitié des attaques terroristes dans le Caucase pour cette seule
année. Ces attaques ont au total coûté la vie à 754 personnes,
en blessant 956 autres. La moitié de ces attaques ont eu lieu au
Daguestan avec 378 morts. Toujours en 2010, 375 terroristes ont
été tués, plus de 600 arrêtés, et 93 attaques prévenues. En 2011
l’activité terroriste reste élevée, par exemple pour la seule
semaine du 28 Mars au 3 avril, 38 personnes ont été tuées dans
le Caucase du Nord.
L’opération anti-terroriste de mars dernier a semble-t-il
visé les dirigeants de l’Emirat du Caucase. De nombreux
lieutenants et proches d’Oumarov ont été tués, notamment son
médecin mais également son plausible successeur. Les autorités
russes ont affirmé qu’il était fort possible que Dokou Oumarov
soit parmi les victimes mais ce n’est pas la première fois que
sa mort est annoncée après une opération anti terroriste. En
2006 après l’élimination de Chamil Bassaïev, l’élimination d’Oumarov
avait été annoncée comme imminente. En 2009, il avait également
été tenu pour mort après une opération spéciale des troupes
fédérales. Cette fois, son décès n’a pas encore été confirmé, et
il faudra sans doute attendre la fin des analyses ADN pour le
savoir.
Les conflits dans le Caucase sont généralement présentés par
la main stream médiatique comme des guerres pour l’indépendance.
Pourtant, les liens entre l’Emirat du Caucase et la nébuleuse
Islamiste terroriste internationale sont avérés. Ils datent de
la guerre en Afghanistan et des guerres de Tchétchénie. Des
groupes qui ont soutenu Chamil Bassaïev dans sa lutte contre
Moscou ont, après la chute de Grozny en 2000, ont notamment
formé une organisation appelée Jamaat. Ce mouvement terroriste
qui a combattu tant en Asie centrale que dans le Caucase est lié
directement au chef de guerre saoudien Khattab.
Ce saoudien, qui avait combattu au sein des Moudjahidines en
Afghanistan et était devenu proche d’Oussama Ben Laden et
d’Al-Qaïda, avait ensuite importé le Djihad dans le Caucase,
avant d’être tué en 2002 par les forces spéciales Russes. Ces
liens sont avérés depuis longtemps et pourtant, ce n’est que
cette année que le conseil de sécurité de l'Onu, via le Comité
chargé de la lutte contre Al-Qaïda, a inclu Dokou Oumarov dans
sa liste des terroristes internationaux les plus dangereux.
L’adoption de cette résolution est un progrès important, car
jusqu’au début de l’année, les autorités américaines bloquaient
son adoption, en affirmant que: “Le lien entre Al-Qaïda et
le groupe terroriste d'Oumarov n'était pas suffisamment démontré
dans la requête russe“. Les russes ont souvent mal compris la
relative tolérance occidentale envers ces anciens chefs de
guerre. C’est le cas par exemple pour Akhmed Zakaïev,
ancien ministre de la “République Tchétchène d'Itchkérie“ et
ancien commandant militaire du mouvement indépendantiste
Tchétchène. Celui-ci depuis les années 2000 bénéficie d’un
confortable asile politique au sein de l’UE.
La guerre dans le Caucase a changé de forme et les autonomies
relativement importantes dont bénéficient maintenant les entités
politiques locales, par rapport au pouvoir fédéral ne justifient
sans doute plus les guerres pour une autonomie déjà acquise.
Aujourd’hui la région est menacée par une métastase terroriste
radicale, à laquelle le pouvoir fédéral Russe et les autorités
locales répondent avec le maximum d’énergie. L’affirmation forte
de l’autorité centrale de l’état dans le Caucase nord doit bien
sur accompagner un développement humain et économique important,
mais rien ne sera sans doute possible tant que la situation ne
sera pas réellement stabilisée.
La méthode de stabilisation russe pour paraitre excessivement
énergique pour des observateurs français, pourtant elle est sans
doute la seule alternative d’affirmation de l’autorité de l’Etat
dans le Caucase nord. La fédération de Russie ne souhaite pas
que se développent sur son territoire des foyers de terrorisme.
Il en va tant de l’intérêt de la Russie et de ses citoyens bien
sur, mais également de la stabilité de la région toute entière.
La presse occidentale a souvent critiqué la Russie pour son
“recours démesuré“ à la force brutale dans le maintien de
l’ordre pendant les conflits du Caucase. Pourtant deux guerres
interminables, en Afghanistan et en Irak, ont commencé sous la
forme d’opérations de représailles anti terroristes après
l’attentat du 11 septembre. Mais la comparaison doit s’arrêter
là: pour la Russie, il s’agit de maintenir son intégrité
territoriale et sa sécurité nationale.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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