Tribune
La bataille pour
l'Eurasie va-t-elle s'accélérer ?
Alexandre
Latsa
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Alexandre Latsa
Mercredi 12 décembre
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Source:
RIA Novosti
"Les Etats-Unis s’opposeront à des
processus d'intégration dans l'espace
postsoviétique". Hillary Clinton - 2012
Les récentes déclarations de la
secrétaire d’État américaine Hillary
Clinton sur l'intention de Washington de
s'opposer aux processus d'intégration
dans l'espace postsoviétique lors d’une
conférence tenue à Dublin le 6 décembre
2012 ont au moins un mérite, celui de
démontrer que l’Union Douanière, et donc
la future Union Eurasiatique sont
considérés par l’administration
américaine comme le mal absolu. Hillary
Clinton n’a pas pris de gants, pour
elle, l’union eurasiatique n’est ni plus
ni moins que la réincarnation de l’Union
Soviétique, et traduit donc la volonté
de la Russie de vouloir reprendre le
contrôle du cœur de l’Eurasie, que
Russie et Occident, via l’Angleterre
puis l’Amérique, se disputent depuis
prés de 150 ans.
Un retour en arrière s’impose pour
comprendre ce que signifie la bataille
pour le contrôle de l’Eurasie, qui est
tout sauf un fantasme ou une légende. Il
s’agit au contraire d’une réalité
géopolitique qui constitue un volet
important de la politique étrangère
américaine et occidentale depuis la
chute du mur de Berlin.
Durant la guerre froide, la puissance
américaine ne luttait pas seulement pour
la victoire contre son adversaire
Soviétique, elle luttait aussi pour le
contrôle du monde. Ce faisant, les
stratèges américains restaient fidèles à
la ligne tracée par les maitres de la
géopolitique anglo-saxonne,
particulièrement Halford Mackinder et
Nicholas Spykman. Pour ces derniers, la
maitrise du monde ne pouvait passer que
par le contrôle de la zone ou devait se
concentrer dans l’avenir tant le gros
des habitants, que le gros des
ressources énergétiques de la planète:
l’Eurasie, encore appelée l'Ile Monde ou
Heartland.
" Qui contrôle le Heartland,
contrôle le monde ". Halford John
Mackinder – 1919
En ce sens, la mise sous tutelle
après 1945 de l’Europe de l’ouest par
l’Otan n’a été rien de plus qu’une mise
en application des principes de Nicholas
Spykman qui jugeait lui essentiel de
maitriser l’anneau périphérique (Rimland)
de cette Ile monde, de ce Heartland
continental. L’Europe de l’ouest
représente la partie occidentale sous
contrôle de cet anneau. Comme on peut le
voir
ici, la zone qui s’étend du pourtour
de la caspienne jusqu'à l’Asie centrale
constitue sa partie orientale et c’est
précisément cette zone qui est visée par
les propos d’Hillary Clinton.
" Qui contrôle le Rimland
contrôle l’Eurasie. Qui dirige l’Eurasie
contrôle la destinée du monde". Nicholas
J. Spykman - 1942
Les tentatives avortées du
GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan,
Moldavie) puis la tentative de prise de
contrôle de ces mêmes états (membres de
cet anneau périphérique) par les
révolutions de couleurs planifiées aux
USA doivent être comprises et vues dans
ce sens: comme une étape nouvelle du
containment russe, préalable essentiel
au bouclage du Rimland. D’ailleurs, dans
sa déclaration Hillary Clinton a insisté
sur la déception profonde que
représentait l’Ukraine pour le
département d’état Américain, tout un
symbole lorsqu’on sait l’énergie et les
moyens mis en œuvre par l’administration
américaine pour faire de l’Ukraine un
pion essentiel de l’Otan. Un projet
ancien qui prévoyait la constitution
d’un axe Allemagne-Pologne-Ukraine dont
Zbigniew Brezinski rêvait déjà en 1997
et qui selon lui devait servir à
repousser l’influence russe le plus à
l’est possible, et renforcer l’Otan au
cœur de l’Europe de l’est.
"Il est impératif qu'aucune
puissance eurasienne concurrente capable
de dominer l'Eurasie ne puisse émerger
et ainsi contester l'Amérique". Zbigniew
Brezinski - 1997
Bien sur les déclarations d’Hillary
Clinton ont provoqué les regrets de
Leonid Sloutski, chef de la commission
de la Douma pour les Affaires de la CEI.
Celui-ci constatait que le potentiel
croissant de regroupement géopolitique
en Eurasie pourrait faire de cette
région l'un des acteurs majeurs du
monde. Une situation bien différente de
celle qu’impliquait le monde unipolaire
de 1991, qui ne laissait aucune place à
la Russie.
Beaucoup de pays occidentaux
appréciaient Eltsine surtout parce qu'il
était le symbole d’une Russie faible, et
le symbole de leur victoire sur l’URSS.
20 ans plus tard, alors que le centre de
gravité du monde se déplace vers l’Asie
et la Chine, l’Occident américano-centré
traverse une crise économique qui l’a
considérablement affaibli sur la scène
internationale. Pendant ce temps, à mi
chemin entre l’Occident et l’Asie, la
Russie s’est redressée pour redevenir
aujourd’hui la puissance principale
d’Eurasie.
Le monde multipolaire qui prend forme
devrait vraisemblablement prendre
l'aspect d'un monde d’alliances. Les
grands états de ce monde sont tous dans
des logiques de regroupements
économiques, politiques et militaires,
que ce soit au cœur de l’Europe, par
dessus l’Atlantique, en Amérique du sud
ou encore en Asie. Ces alliances
pourraient rapidement voir l’émergence
de blocs souverains tant sur le plan
militaire, qu’économique ou politique,
et la fragmentation du monde en zones
d’influences souveraines.
Pourquoi les nations d’Eurasie
n’auraient elle dès lors pas le droit de
procéder à une intégration régionale
approfondie? Les menaces américaines
contre une alliance volontaire de pays
souverains semblent éloigner
considérablement les possibilités d’un
réel reset russo-américain. Le désaccord
sur l’Affaire Syrienne, pays que l’Union
Douanière envisageait du reste
d’intégrer à une zone de libre échange
il y a encore quelques mois, accentue
encore le malaise.
Voila donc des propos belliqueux en
provenance d'Amérique et prononcés à
Dublin, alors même que le chef de l’état
russe a pourtant récemment rappelé que
la Russie devait trouver sa place
géopolitique dans le monde de
façon pacifique et que l’intégration
eurasiatique devait elle se faire dans
le respect de la souveraineté des états.
Un principe de
souveraineté nationale bien mis à
mal durant l’époque unipolaire mais qui
constitue tant le point névralgique du
développement des BRICs (lire
cette analyse a ce sujet) que le
cœur de la politique internationale
russe, notamment en Syrie.
Souveraineté VS interventionnisme,
Unilatéralisme VS Multilatéralisme. Ces
deux conceptions du monde diamétralement
opposées vont-elles relancer la bataille
pour l’Eurasie?
© 2012
RIA Novosti
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