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Opinion
Divine Carélie
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 12 janvier 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
"Alexandre, tu passes le Nouvel an avec nous?", m’ont demandé
mes proches amis dans le courant du mois de décembre. J’avais
une autre idée : passer les fêtes dans le Nord, à Petrozavodsk,
capitale de la Carélie.
C’est à 1.000 kilomètres de Moscou, en direction de la mer
Blanche, l’endroit où je passe le plus de temps, en dehors de la
capitale. On y croise encore peu de touristes francophones et
pourtant cette destination mérite le voyage pour ceux qui
recherchent le dépaysement et des impressions nouvelles.
La
République de Carélie, grande comme
1/3 de la France métropolitaine, n’est peuplée que de 680.000
habitants. Elle représente l’exemple de l’unité la plus
décentralisée possible au sein de la fédération de Russie
puisqu’elle a le statut de république, comme la Tchétchénie ou
le Tatarstan.
Les républiques russes
sont des entités très autonomes, ayant leurs constitutions,
leurs présidents et même parfois leurs langues officielles.
Mais contrairement aux autres républiques russes, toutes
fondées sur des peuples minoritaires ayant un territoire et des
spécificités tant culturelles que religieuses ou linguistiques,
en Carélie c’est le peuple indigène qui y est minoritaire. Les
Caréliens ethniques représentent en effet moins de 10 % de la
population, les Russes ethniques plus de 76 % et les Ukrainiens
et Biélorusses 8 %. La décentralisation y est donc uniquement
politique, institutionnelle et non basée sur des principes
ethno-religieux. Cette particularité donne à la République de
Carélie une personnalité assez unique en Russie.
La population de Carélie est donc très majoritairement slave
orthodoxe, mais il y a aussi de nombreux Finlandais qui
représentent près de 2% de la population de la République. A
Petrozavodsk, on a l’habitude de dire que l’influence
finlandaise est présente dans la gastronomie, dans le calme et
dans le civisme des Caréliens, notamment au volant de leur
voiture ou encore dans leur attachement parfois excessif à la
propreté et à la nature.
Petrozavodsk, la capitale de la République, avec moins de
268.000 habitants fût construite par Pierre le Grand en 1703,
lors de la grande guerre du Nord qui opposa la Russie à une
coalition germano-scandinave. La ville était à l’origine bâtie
autour d’une usine qui fabriquait des canons. Maintenant, elle
est tournée vers son lac, le lac Onega, l’un des deux plus
grands d’Europe avec son cousin, le lac Ladoga. Cette immensité
d’eau calme est difficile à imaginer, on pourrait y plonger
toute la Corse et il resterait de la place.
L’été, des bateaux de croisière énormes s’arrêtent à
Petrozavodsk. Ils vont de Saint-Pétersbourg à Moscou en
traversant les lacs et en suivant le réseau de canaux
gigantesque créé à l’époque soviétique. Dans la ville, le bord
du lac est une promenade dans la verdure l’été et une piste de
ski de fond l’hiver. En ville on trouve des bâtiments de style
stalinien, mais aussi des hôtels de qualité, des centres
commerciaux et un nouveau complexe hospitalier ultramoderne.
Dans le centre, le réseau Wifi est accessible quasiment partout.
Dans les restaurants on peut déguster une cuisine typiquement
carélienne, délicieuse, composée notamment de poissons grillés
et salés ou de viande de renne, d’élan ou d’ours, accompagnée de
sauces aux baies de Carélie.
La République de Carélie avec ses 60.000 lacs, ses 27.000
rivières et son territoire recouvert à 85 % par la forêt donne
l'impression d'être entièrement verte et bleue. Sur cette terre
d’eau et de verdure, ce qui frappe le visiteur c’est avant tout
le calme, la sérénité et l’absence d’agitation qui y règnent.
La Carélie est une riviera du nord, sans frasques, sans
touristes bruyants, sans excès, une immense réserve d’air pur
avec une nature préservée. Il faut rouler et sortir de la ville
pour arriver à de petits villages composés de maisons et
d’églises bariolés de couleurs vives, villages régulièrement
visités par des ours, loups et lynx. Les pêcheurs du coin ne s’y
trompent pas, ils emportent une carabine quand ils vont à la
pêche aux truites saumonées.
L’hiver c’est une tout autre affaire, l’hiver carélien est
réellement froid car venté et très humide. C’est un froid
glacial, blanc, immaculé, polaire. La moto neige remplace le
4x4, les lacs sont gelés et dans le port de Petrozavodsk les
bateaux de transport de bois sont figés dans la glace. Cette
glace pourtant n’arrête pas les pêcheurs, qui bravent le froid
et la neige au profit de leur activité préférée. Dans le
centre-ville de Petrozavodsk les habitants sont toujours aussi
calmes et chaleureux, bien qu’emmitouflés dans des combinaisons
de ski en polaire, pour se protéger.
Le patriarche de toutes les Russies Alexeï II avait dit avant
sa mort que le nord de la Russie était son cœur spirituel. On
comprend mieux cette phrase après être allé en bateau, sur le
lac Onega, de Petrozavodsk à l’île de Kiji. Cette traversée
révèle toute la majesté de la nature en Carélie. En été
seulement, le bateau de type Comèta file à 30 nœuds et il faut
presque une heure et demie pour atteindre l’île. L’apparition
des bulbes des églises, à l’horizon, au milieu d’une nature qui
semble sans fin est simplement indescriptible.
L'île de Kiji, ce chef-d’œuvre de l’art religieux, est
connue pour ses deux églises entièrement en bois, assemblées
sans clous, vis ni aucune pièce métallique. Cet ensemble
paroissial est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le
visiteur francophone sera agréablement surpris de pouvoir
entendre le prêtre orthodoxe de l’île, le père Nicolas,
s’exprimer dans un français parfait.
Si je devais conseiller ou aller à un étranger qui visite la
Russie pour la première fois, je lui conseillerais la Carélie.
L’influence finlandaise procure un aspect très européen à cette
république pourtant si russe, mais qui a su préserver son
identité régionale. Le renouveau récent de cette identité
régionale, qui n’entre absolument pas en conflit avec l’identité
fédérale russe est sans doute un modèle pour l’Union Européenne
au sein de laquelle l’agencement des relations entre régions,
euro-régions, Etats et institutions européennes sont souvent
délicates.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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