Tribune
Quelques
réflexions sur les résultats de
l'élection municipale anticipée de
Moscou
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 11 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
Moscou a donc voté et les résultats
sont sans doute mi figue mi raisin, tant
pour le kremlin que pour l’équipe de
campagne d’Alexeï Navalny. Les résultats
définitifs sont désormais connus, le
maire actuel a remporté l'élection au
premier tour avec 51,37% des voix,
l’opposant blogueur Alexeï Navalny a lui
récolté 27.24%, le candidat communiste
10,69%, le candidat de l’opposition
libérale Iabloko 3,51% des voix, le
candidat du parti nationaliste LDPR
2,86% et enfin le candidat du parti
Russie Juste 2,79%.
Plusieurs enseignements peuvent être
tirés de ce scrutin.
Tout d’abord la très faible
participation (32%) qui a fortement
avantagé le candidat Navalny dont les
électeurs, plus militants et motivés, se
sont fortement mobilisés. Malgré l’enjeu
et une excellente campagne de terrain,
ce dernier n’a pour autant réussi à
mobiliser que 630.000 électeurs, bien
loin du réservoir de 868.000 voix que le
Candidat Prokhorov avait obtenu à Moscou
lors de l’élection présidentielle de
2012. Ce Ghetto quantitatif / électoral
de l’opposition dite libérale reste
stable a Moscou depuis 1999 si l’on
pense par exemple aux 510.0000 voix de
Serguey Kirienko (ex-Premier ministre)
ou les quelques 500.000 voix d’Alexandre
Lebedev en 2003.
Le pouvoir central peut lui savourer
une nouvelle victoire au premier tour
d’un de ses candidats mais cette fois il
s’en est fallu de peu qu’un second tour
ne soit nécessaire. Le maire élu aura
donc peu mobilisé et obtenu dans la
capitale 1.193.178 voix, à comparer aux
1.994.300 voix obtenu par Vladimir
Poutine à l’élection présidentielle de
2012.
Cette faible participation affaiblit
la légitimité de l’élection, moins du
tiers des électeurs inscrits est allé
voter. Dans cette confrontation
électorale, si on rapporte les résultats
des deux premiers candidats au nombre
d’inscrits, 17% ont donné leur voix au
maire contre 9% à Alexeï Navalny. Les
russes montrent qu’ils sont de moins en
moins passionnés par la vie politique,
mais tout de même sensibles à une
authentique campagne de terrain comme
celle qu’a mené l’équipe de Navalny.
A contrario l’absence totale de
campagne politique du maire actuel
semble avoir pesé lourd sur la
mobilisation des électeurs. Est-ce du à
la certitude et à l’idée communément
admise que de toute façon, il serait
forcément élu? Ou que ce dernier n’a pas
su faire preuve de suffisamment de
charisme pour motiver des électeurs?
Pour le pouvoir russe le message semble
clair: la période où il suffisait de
présenter un candidat pour qu’il soit
adoubé par le collège électoral est
plausiblement terminée. Une équation
problématique alors que le président
russe Vladimir Poutine vient justement
d’affirmer que les villes devaient être
dirigées non par des politiques mais des
techniciens capables.
Le pouvoir central a tout fait pour
que Alexeï Navalny puisse se présenter:
attribution des signatures nécessaires,
intervention clairement politique contre
son incarcération immédiate suite à sa
condamnation ou encore les nombreuses
phrases du maire actuel pour qu’aucun
candidat ne soit éliminé de la course à
l’élection et ce malgré les nombreux
scandales de financement ayant entaché
la campagne d’Alexeï Navalny. Le calcul
du Kremlin était visiblement de pousser
ce dernier vers une défaite électorale
qui aurait pu être encore plus
symbolique si la participation avait été
plus importante. Au passage, Serguey
Sobianine, le maire élu, voyait sans
doute dans ce scrutin un moyen de
légitimer sa prise de contrôle de la
capitale via une élection réussie, sans
fraudes (même d’après
l’opposition) et face à de vrais
opposants.
Or ce calcul a en partie échoué et
Alexeï Navalny peut désormais affirmer
avoir transformé l’essai de sa
candidature, en ayant obtenu un résultat
bien meilleur que celui des autres
ténors de l’opposition. Dans l'opinion
publique, le candidat Navalny est passé
du statut de blogueur à celui de
politicien. Pourtant, pour l’opposition
libérale représentée par le candidat
Navalny, le bilan est malgré tout amer.
Son réservoir de voix, issu des
manifestations de 2011 ne fait pas
seulement face à un plafond quantitatif
comme expliqué plus haut mais souffre
également de se retrouver dans un ghetto
géographique tout comme le candidat
milliardaire Prokhorov en 2012 lors de
la présidentielle.
Il suffit pour s’en convaincre de
regarder les correspondances
territoriales et géographiques entre les
zones ou le vote pour Navalny est élevé,
et celles celui ou le vote Prokhorov
était élevé en mai 2012 au moment de la
présidentielle: Ces zones sont
les mêmes, le détail des résultats
par rayons de la capitale permet de
confirmer cette évidence: les
quartiers populaires, dans le sud et
l'est de la capitale ont le moins
voté Navalny pendant que les quartiers
les plus aisés (du centre et du sud
ouest) ont eux votés le plus pour lui,
et même plus que pour Serguey Sobianine,
notamment dans le très huppé quartier
Gagarinskii. On pourrait presque parler
de "vote libéral bourgeois"
Il reste que malgré une intense
campagne de terrain réalisée par le
candidat Navalny la majorité des
moscovites n'ont pas souhaité voir leur
ville basculer dans l’opposition, à
contrario par exemple de villes comme
Iekaterinbourg ou Petrozavodsk qui
dimanche, lors des élections,
ont vu des candidats d’opposition au
Kremlin et à Russie-Unie arriver
largement en tête.
Les médias français ont curieusement
été très discrets sur l’autre élection
clef de ce dimanche 8 septembre, à
savoir l’élection du gouverneur du
district de Moscou. Elle y opposait
également un ténor du Kremlin, Andrei
Vorobiev, et un ténor de l’opposition
très présent lors des manifestations des
marais de fin 2011, Guennadi Gudkov.
L’élection était importante également
d’un point de vue symbolique car le
candidat de Russie Unie, Andrei Vorobiev,
remplace Serguey Choïgou nommé fin 2012
ministre de la défense suite au
limogeage d'Anatoli Serdioukov pour de
lourdes suspicions de corruption.
L’élection a vu la large victoire du
candidat de Russie Unie avec 79% des
voix devant le candidat communiste
(7,7%), le candidat de l’opposition des
marais n’obtenant lui que 4,41%.
Ce scrutin municipal Moscovite permet
cependant de tirer des conclusions
politiques plus larges Tout d’abord le thème de la
corruption a rapporté des voix à Alexeï
Navalny. C'est surement l'attitude de
divers apparatchiks et fonctionnaires
de diverses institutions qui a
contribué à sensibiliser l'électorat
à cette rhétorique. Il y a près d’un an,
j’écrivais que la lutte contre la
corruption, vitale, avait sans doute
commencé en Russie sous l’impulsion
du chef de l’état. Le résultat des
élections à Moscou traduit sans doute un
lourd avertissement: Sur ce sujet, dans
cette lutte, il y a urgence et le
pouvoir fédéral doit maintenant passer à
la vitesse supérieure.
Ensuite le score incroyablement bas
des différents partis politiques
d’opposition classique (Parti
Communiste, LDPR et Russie Juste) est
l’illustration certaine de ce que
devrait être leur avenir politique et
électoral, sans leurs charismatiques
leaders respectifs. La facilité avec
laquelle un novice en politique, avec
l’aide de centaines d’autres novices et
des réseaux sociaux a pu se hisser en
seconde position devant le Parti
Communiste de la fédération de Russie en
dit long sur la coupure totale entre les
russes et leurs représentants
politiques. Les partis politiques russes
fonctionnent encore "à l'ancienne" et ne
sont vraisemblablement plus capables de
communiquer directement avec leurs
électeurs.
L'affaiblissement des grands partis
de l’ancienne époque en Russie devrait
accompagner la baisse de Russie-Unie et
par conséquent laisser un vide
idéologique sur l’échiquier politique.
La période politique des années 90 avait
vu la scène politique russe déchirée
entre des partis radicaux : libéraux,
nationalistes et communistes. La période
des années 2000 à elle vu la scène
politique russe fonctionner selon
l’équation suivante: un parti centriste
et conservateur de gouvernance et un
parti communiste d’opposition.
On peut se demander quelle sera la
prochaine étape et il y a de nouvelles
hypothèses. En janvier 2012 j’avais
envisagé l’apparition d’une nouvelle
idéologie qui émanerait des
manifestations de fin 2011. Je
l'imaginais "Nationale-démocrate",
réussissant l’alliance improbable entre
les démocrates/libéraux et les courants
plus nationalistes.
L’élection de Moscou du 08 septembre
2013 a peut être confirmé cette
prédiction et laisse
envisager que dans l’avenir la scène
politique russe soit partagée entre un
bloc centriste/Etatiste (concentré
autour du Front populaire Russe?) et un
bloc libéral/nationaliste.
L’opinion exprimée dans cet
article ne coïncide pas forcément avec
la position de la rédaction, l'auteur
étant extérieur à RIA Novosti.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
© 2013
RIA Novosti
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