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Opinion
Vladimir ou Dmitri ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 11 mai 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Beaucoup de bruits circulent actuellement sur des tensions
entre le président Dmitri Medvedev et le premier ministre
Vladimir Poutine à moins d’un an des élections présidentielles.
Après les huit ans de gouvernance Poutine de 2000 à 2008, la
presse étrangère s’était empressée d’affirmer que celui-ci
allait sans aucun doute modifier la constitution pour
s'autoriser un troisième mandat. Il n'en a rien été.
Après la candidature de Dmitri Medvedev et son élection, la même
presse avait affirmé que Poutine allait sans doute faire
démissionner Medvedev pour pouvoir le remplacer. Là encore il
n'en a rien été. Ces mêmes spécialistes spéculent aujourd'hui
sur une hypothétique tension entre les deux hommes. Medvedev,
nous dit-on, symboliserait une Russie plus ouverte et tournée
vers l'ouest alors que le retour de Poutine à la présidence
symboliserait au contraire le maintien d'un système
politico-économique autoritaire et archaïque. Sans surprise,
cette position est défendue par un certain entourage libéral
proche de Dmitri Medvedev qui ne fait pas mystère de ses
réticences à un éventuel retour de Vladimir Poutine au pouvoir.
La presse étrangère et notamment française n’a, il est vrai,
cessé de spéculer sur la personnalité de Dmitri Medvedev,
d’abord présenté comme une marionnette de Vladimir Poutine, puis
comme un vrai libéral aux mains liées. Pourtant Dmitri Medvedev
n'est pas cet homme mou ni libéral que la presse française nous
décrit. Durant l’été 2008 c'est en tant que président qu'il
prend la décision d'envoyer l'armée défendre les casques bleus
russes et la population ossète, face à l’agression militaire de
l'armée géorgienne.
A la fin de la même année, il menace sèchement de couper
l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine, si celle-ci ne règle
pas ses impayés. Inlassablement, Dmitri Medvedev continue la
même politique que celle entamée par Vladimir Poutine. Les deux
hommes du reste s'échangent les rôles du bon et du méchant,
achevant de rendre totalement opaque leur relation tout
comme leurs intentions pour 2012, qui sont devenues un réel
casse tête pour les observateurs étrangers. Vladimir Poutine
avait pourtant prévenu les occidentaux lors de l'élection de
Dmitri Medvedev: "ne pensez pas que ce sera plus facile avec
lui".
Dmitri Medvedev n'est pas, il faut le rappeler, issu d'une
quelconque structure de sécurité, mais de la société civile. Âgé
de seulement 46 ans, il est d’une autre génération, ce qui
explique son style plus moderne et plus jeune. D’un président à
l’autre la Russie a toujours les mêmes objectifs: renforcer sa
position sur la scène internationale en agissant pour la
création d'un monde multipolaire, tout en développant son
économie, encore trop dépendante des matières premières.
La Russie opère également un réel replacement géostratégique qui
vise à la rapprocher de l’Europe. Le pouvoir de la nouvelle
Russie n’a du reste cessé de rappeler l’appartenance du pays à
la civilisation européenne. En ce sens, les propositions de
Dmitri Medvedev de constitution nouvelle architecture de
sécurité européenne, alternative à l’Otan, sont complémentaires
des propositions formulées par Vladimir Poutine de création d’un
marché économique continental commun.
Il faut bien comprendre la forme de continuité entre le pouvoir
russe de Eltsine (embryon de démocratisation et volonté avortée
de lutte contre la corruption), le redressement de la décennie
Poutine (destiné à arrêter l'effondrement et remettre la Russie
en ordre) et la période Medvedev (volonté de modernisation et
développement). Bien sûr, la présidence Medvedev entre une
guerre en 2008, une crise financière qui a sévèrement frappé le
pays en 2008 et 2009 et un cataclysme climatique qui a touché
l'économie en 2010 n'a pas été consacrée qu'à la modernisation.
Également, la stabilisation économique et politique issue de la
gouvernance Poutine est acquise, et ne représente plus
réellement un projet à établir, tout au plus à maintenir. Ainsi
les principaux think-tanks du pouvoir ont très récemment publiés
des projets de développement économique et social dans le cadre
du plan de développement 2020. Contrairement à certaines
affirmations, la scène politique russe, bien que pour
l'instant majoritairement dominée par le parti Russie Unie n'est
pas du tout figée ou rigide. Le parti dominant à en son sein une
réelle diversité, et de nombreux courants politiques, mais
également des courants d'intérêts s'y font face. Le pouvoir n'a
cessé par un système de vases coulissants d'intégrer des hommes
de sensibilité politique différente, qu’il s’agisse de
transfuges des divers principaux partis ou même à des
personnalités issues de l'opposition libérales comme par exemple
Nikita Belykh, nommé début 2009 gouverneur de la région de
Kirov.
Ces élargissements qui devraient continuer, et peut même
concerner d’autres franges non politiques de la société,
oxygènent Russie Unie en évitant ainsi que le parti ne se coupe
d'une potentielle tendance politique concurrente, et émergente.
La Russie n'est plus l'Union Soviétique et la liberté
d'expression y existe désormais. Il n'est donc pas anormal et
même plutôt sain que des opinions diverses s'expriment, même
autour du pouvoir. Il serait totalement irréaliste d'imaginer
que des personnalités issues de tendances étatistes, voire anti
occidentales, puissent toujours être sur la même longueur d'onde
que des personnalités issues de la société civile et de
tendances très libérales et pro-occidentales.
L'existence de désaccords politiques, d'une opposition des idées
et des genres est une des conditions sine qua non du dialogue
mais également de l'expression de la démocratie. Bien sur,
nombre de commentateurs sont à l’affût d'une tension qui
démontrerait "enfin" une hypothétique faillite d’un système
Poutine, qui pour certains semblait évidente, que ce soit lors
des dernières séries d’attentats ou lors des incendies de l’été
dernier. Malheureusement pour ces analystes et comme l'a
récemment affirmé Jean Radvanyi, directeur du centre
franco-russe des sciences humaines et sociales à Moscou, à
propos de la rivalité entre les deux hommes : "La rivalité se
manifeste plus dans les commentaires de la presse que dans la
réalité". Au jour d’aujourd’hui, il semble que le tandem
fonctionne toujours parfaitement, les deux hommes étant
parfaitement complémentaires.
Personne ne peut aujourd’hui prédire qui sera candidat en
2012. Une chose est certaine, comme le rappelait récemment
l’expert Vladimir Frolov, Medvedev s'il souhaite être réélu en
2012 a impérativement besoin du soutien de Poutine et du parti
Russie Unie et pas l’inverse. En 2018, Dmitri Medvedev
n'aura en outre que 53 ans, soit l'âge de Poutine lorsque
celui-ci a entamé son second mandant en 2004. Sa carrière
politique est donc, quoi qu’il arrive, sans doute très loin
d'être terminée.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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