Tribune
Pourquoi Vladimir
Poutine ?
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 29 août
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Source:
RIA Novosti
Récemment ma mère a croisé une de ses
amies dans le rayon fromage du
supermarché de la capitale dans laquelle
elles résident toutes les deux. Cette
amie est une française d’environ
soixante ans, catholique et d’un bon
niveau social. Elle a beaucoup voyagé,
surtout en Europe et c’est une personne
plutôt ouverte d’esprit. Celle-ci donc,
croisant ma mère, lui demanda la chose
suivante: "ce n’est pas trop dur pour
ton fils en Russie avec Poutine"?
L’homme vient justement de fêter ses
60 ans dimanche dernier. Soixante ans
c’est seulement deux ans de plus que
François Hollande ou François Fillon, et
3 ans de plus que Nicolas Sarkozy. Pour
un homme politique européen c’est
convenable. Pourtant Vladimir Poutine a
déjà derrière lui une carrière politique
impressionnante: deux mandats de
président et un de premier ministre,
soit déjà 12 ans à la tête du plus vaste
pays du monde, désormais sixième
économie de la planète.
Son anniversaire est passé
relativement inaperçu en Russie, mais a
suscité nombre de commentaires venimeux
dans la presse française, qui a par
exemple qualifié son anniversaire de
célébration à la
nord Coréenne, au seul motif que des
mouvements de jeunesse russe auraient
célébré l’évènement en lui offrant une
vidéo et en organisant ici ou là
quelques démonstrations de soutien.
Diantre!
Il est vrai que l’homme ne laisse pas
indifférent, en Russie comme ailleurs.
Mais n’en déplaise à certains
commentateurs et/ou journalistes
étrangers, Vladimir Poutine a fêté son
anniversaire avec sobriété, en famille,
et par ailleurs sa côte de popularité
reste très élevée en Russie. Pour
«l’indice de confiance du peuple russe»,
il reste clairement le numéro un parmi
tous les hommes politiques du pays.
Après 12 ans à la tête de l’état, malgré
l’usure politique naturelle et
inévitable, malgré deux guerres et une
crise financière, malgré surtout une
incroyable pression géopolitique,
politique et médiatique, Vladimir
Poutine est toujours là et semble plus
solide que jamais. Après avoir été élu
pour la troisième fois à la présidence
du pays avec 63% des voix au premier
tour, il bénéficie toujours d’une
popularité supérieure à celle de tout
homme politique européen même au
lendemain de son élection. Un sondage
confirmait récemment que sa côte de
popularité restait stable autour de
50% alors qu’une femme russe
sur cinq se dit même prête à
l’épouser.
De toute évidence, le soutien dont il
dispose au sein de la population russe
est inversement proportionnel à la gêne
qu’il suscite et à l’incompréhension à
laquelle il fait face en Occident.
Souvent, ses manières brusques et son
franc parlé populaire lui sont
reprochés, et force est de constater que
le style Poutine est à 1.000 lieues de
celui des énarques français par exemple,
tout autant que de celui des
fonctionnaires de la commission
européenne. Jamais le patron de la
Russie ne s’est en effet encombré de
phrases incompréhensibles ou d’un style
trop formel. Il est sportif et le
montre, comme par exemple Jorg Haider à
son époque, et tout comme les présidents
Américains, il n’hésite pas à monter à
bord d’un avion de chasse. Jamais enfin
le président russe n’hésite à se montrer
tel qu’il est, torse nu et biceps
saillants, que ce soit au fin fond de la
nature russe ou encore en sportswear
lors d’une fête de jeunes militants de
groupes de jeunesses patriotiques. Bien
sur cette communication est organisée à
la perfection, mais elle semble bien
coller au personnage: Vladimir Poutine
est fondamentalement un homme de
terrain, ce que ne sont plus les
dirigeants de l’Union Européenne, qu’il
s’agisse des politiques ou des hauts
fonctionnaires.
Récemment, une de mes amies, une
jeune femme Turque qui réside en Russie
depuis longtemps, me disait la même
chose d’Erdogan, qu’elle remerciait en
quelque sorte d’avoir redonné de la
fierté et de la dignité aux Turcs. "Nous
ne sommes plus à genoux à supplier pour
devenir ce que nous ne somme pas… Notre
avenir est en orient" me disait-elle. Je
ne peux m’empêcher de comparer cette
réflexion avec le tropisme "Est"
qui gravite depuis longtemps dans les
pensées des élites russes. Un tropisme
économique certes, mais également sans
doute et de plus en plus
fondamentalement civilisationnel,
accentué par la crise systémique de
l’occident. Cette similitude
d’orientation entre les deux pays
s’accompagne d’ailleurs d’une similitude
de style de gouvernance mais aussi de
principe. Vladimir Poutine, comme du
reste les dirigeants des BRICS, de la
Turquie ou du Venezuela placent la
souveraineté (politique et économique)
comme la clef de voute de leur
"gouvernance". Pour quelles raisons?
Un analyste français, Xavier Guilhou
(par ailleurs spécialiste de la Syrie) a
mis le doigt au cours
d’une émission radio sur ces
différences fondamentales entre Vladimir
Poutine ou Recep Erdogan et la majorité
des dirigeants européens: les premiers
sont en quelque sorte pour lui des
combattants et des guerriers, les
seconds absolument pas. Bien sur on peut
se dire que cela n’a aucune importance
et que des leaders politiques
transparents, hauts fonctionnaires, vont
pouvoir tranquillement faire face aux
enjeux incroyables des prochaines
années, mais on peut aussi sincèrement
en douter. Regardons les choses en face:
le printemps arabe laisse place à un
hiver Salafiste, la Russie voit
fatalement son flanc sud devenir plus
instable, que ce soit dans le Caucase ou
en Asie centrale, et cette instabilité
devrait s’accentuer avec le départ
prochain des troupes occidentales
d’Afghanistan. Avec la crise financière
en surplus je crois qu’il y a des
raisons de comprendre l’inquiétude des
élites russes. Cette prévisible
instabilité explique peut être, et sans
doute, le retour de Vladimir Poutine
pour ce mandat présidentiel, en lieu et
place de Dimitri Medvedev.
Si j’avais été avec ma chère mère
dans le rayon fromage français de se
supermarché, je pense que c’est en gros
ce que j’aurais répondu a cette amie
"éclairée". Je lui aurais dit qu’on peut
être plutôt content qu’un capitaine
aguerri tienne le gouvernail Russe car
s’il faut de la force et de l’autorité
pour diriger cette machine chaotique
qu’est la Russie, il faut aussi beaucoup
d’énergie pour maintenir harmonie et
cohésion au sein des russiens. Mais
surtout, on peut légitimement penser
qu’un "combattant" soit plus apte à
diriger un pays, lorsque celui-ci fait
face a des défis historiques, ce qui
dans les prochaines années devrait être
le cas non seulement de la Russie, mais
également de la majorité des pays du
continent.
© 2012
RIA Novosti
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