Opinion
Affaire Breivik,
la piste russe?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 10 août 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
L’Europe n'a décidément pas de chance.
Alors qu'elle est en pleine crise
politique, démographique, morale et
monétaire, voila que la foudre de la
haine s'abat sur un petit pays
scandinave considéré comme un émirat du
nord: la Norvège. Ce pays de 4,7
millions d'habitants compte aujourd'hui
parmi les plus riches du monde, avec une
politique sociale très développée. La
Norvège est classé première pour
l'indice de développement humain et est
membre fondateur de l'Otan. Sa
prospérité est en grande partie due aux
matières premières, et le pays ne fait
pas partie de la zone euro, mais il fait
partie de l’espace Schengen. Comment
a-t-on pu en arriver au drame du 22
juillet dans ce pays?
La Scandinavie n'est pas étrangère
aux actions violentes. En
septembre 2008 en Finlande par
exemple, un déséquilibré avait ouvert le
feu dans son lycée, sur le modèle de ces
serial-killers américains, qui
confondent réalité et jeux vidéo. Mais
cette fois le profil du tueur norvégien
étonne. Il se dit chrétien protestant,
néoconservateur, franc-maçon et il
a décidé de passer à la lutte armée
contre le nouveau multiculturalisme
européen. Tout aussi étonnant, le calme
dont il fait preuve jusqu'à présent tout
du moins, alors qu'il risque au minimum
21 ans de prison, et qu'une accusation
de crime contre l'humanité pourrait être
retenue contre lui.
Breivik, qui avait entamé il y a déjà
plusieurs années une désocialisation
destinée à lui laisser le temps de
passer à l'acte et se préparer à devenir
un martyr, ne semble pas avoir été
victime d'un excès de jeux vidéos, mais
au contraire d'une profonde révolte
contre la société, qu'il a exprimée en
semant la mort autour de lui. La haine
de Breivik ne s'est pas retournée contre
les immigrés mais contre le principal
parti de gauche du pays, jugé à ses yeux
responsable de la politique migratoire
qui aurait défiguré sa Norvège en lui
imposant un modèle de civilisation
multiculturel. C'est une chose que
beaucoup de gens ignorent : La Norvège
est l'un des pays les plus généreux et
les plus ouverts de l'union européenne,
et l’un de ceux qui a accueilli le
plus d'étrangers, qui représentent près
de 12% de la population, avec un taux
proche de 30% dans la capitale Oslo.
La radio
"Voix de la Russie" m'a demandé mon
opinion sur les probabilités d'une telle
explosion en Russie et aussi ce que je
pensais de ces sites internet
extrémistes qui prennent ouvertement la
défense de Breivik, tant sur la
plateforme Livejournal que sur Vkontatke,
le Facebook russe. N’a-t-on pas en effet
lu un peu partout dans la presse
française que Breivik
appréciait Poutine et la démocratie
dirigiste russe? Celui-ci n’a-t-il pas
clairement dit dans son manifeste que le
mouvement de templiers libérateurs qui
devaient sauver l’Europe devait
s’apparenter à la structure de jeunesse
russe
Nashi?
Il y a là une source de confusions et
d’amalgames qui viennent à la fois de
ces articles de presse et des
déclarations de ce serial killer. Quel
rapport avec le régime politique de la
Russie ou avec le mouvement Nashi? Il
semble évident que Breivik ne connait
pas du tout la Russie. S’il avait
observé l’organisation Nashi, il aurait
constaté que c’est un mouvement plus
patriote que nationaliste, qui se
revendique comme une structure
démocratique et antifasciste, bien
intégrée dans la vie politique du pays.
Les Nashi défendent la Russie plurielle
et l’état, comme en témoigne leur
attitude lors de la marche russe ou ils
déploient des drapeaux de chaque
province du pays. Ou encore
l’organisation de milices antifascistes
pour prévenir les agressions contre les
immigrés lors des journées à risques.
Leur
site est clair à ce sujet, avec de
nombreuses photos qui ne laissent aucun
doute sur l’orientation réelle du
mouvement. Ils ont du reste violemment
démenti les accusations à leur égard
suite aux citations de Breivik.
Quand à Vladimir Poutine, il a
inlassablement
défendu la Russie multiethnique
depuis son élection en affirmant que "La
Russie est un État multiethnique, et
c'est précisément ce qui fait sa force.
Ceux qui torpillent ces fondements de
l'État, quoi qu'ils en disent,
déstabilisent, sans conteste, le pays".
On est donc bien loin des fantasmes de
Breivik. Visiblement, l’abus d’une
certaine presse mal informée et qui
désinforme (par incompétence ou de façon
involontaire) nuit gravement à la santé
et Breivik en est la première victime.
On peut du reste se demander pourquoi il
n’y a que si peu d’articles consacrés
aux autres références du Norvégien, que
ce soit
Winston Churchill, ou encore
Nicolas Sarkozy, jugé par Breivik
"pas mauvais" dans sa lutte contre
l’islamisation de la France.
Peut-on alors imaginer qu’un fou
ouvre le feu dans la rue en visant des
innocents en Russie pour mêmes
raisons que Breivik? Il me semble qu’il
y a des différences fondamentales entres
les nations européennes, dont la
population vieillissante se crispe face
à une immigration souvent massive et
récente, bouleversant les modes de vies,
et la Russie, qui est un pays
"multiculturel
de souche". Bien sûr il est très
facile de créer des pages Facebook et
d’envoyer des commentaires anonymes pour
donner l’illusion d’une masse active,
comme cela avait été le cas en
décembre 2010 lors des émeutes à
Moscou. Bien sûr il y aura toujours une
minorité de radicaux pour se réjouir
d’un acte de violence contre un système
qu’ils jugent coupable de tous les maux.
Mais le problème est surtout que
personne ne peut empêcher un fou de
procéder à un acte criminel de cet
ordre, comme c’est le cas très
régulièrement aux Etats-Unis. Aucun pays
n’est donc à l’abri, à l’heure
d’internet et alors qu’il est possible
de se procurer des armes à peu près
partout dans le monde.
Je ne crois pas que l’affaire Breivik
ait un rapport quelconque avec la
Russie. Par contre elle est sans doute
le signe d’un dérèglement au sein d’une
Europe en totale mutation et qui fait
face à une modification profonde de son
environnement et de son identité. Comme
l’a
précisé récemment le Directeur de
l’Institut des pays de la CEI,
Konstantin Zatouline: "l’Europe perd son
identité et sa culture". Plus
significatif peut être, des députés et
sénateurs européens
Italiens et
Roumains ont déjà dédouané en
quelque sorte certaines idées du soit
disant templier Breivik. Sans une
reprise économique solide et surtout la
mise en place d’une politique migratoire
digne de ce nom l’union européenne se
prépare visiblement des périodes de
forte instabilité.
Article publié sur RIA Novosti
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