Opinion
Printemps arabe:
l'échec de la démocratie en Orient ?
Alexandre Latsa
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Alexandre Latsa
Mercredi 10 juillet 2013
Source:
RIA Novosti
L'armée égyptienne est finalement
intervenue pour déposer le président
Mohamed Morsi, pourtant premier
président démocratiquement élu du pays.
Le printemps arabe, né en Tunisie fin
2010, a atteint l’Egypte dès le début
2011 et a abouti au départ du président
Moubarak qui dirigeait l'Egypte depuis
trente ans.
Les revendications d’une grande
partie de la jeunesse égyptienne qui a
mené cette révolution dite du Nil ou du
Papyrus sur la place centrale du Caire
(la place Tahrir) ont abouti à des
élections libres qui ont vu une
déferlante islamique.
En effet, aux premières élections
législatives de l’après Moubarak, qui a
vu une participation de 55%, les frères
musulmans ont obtenu 44.6 % des voix,
concurrencés seulement par les plus
radicaux qu’eux, les salafistes, qui ont
obtenu 22,5% des voix, le premier parti
pseudo libéral obtenant seulement
7,8% des voix. A l’élection
présidentielle de 2012, la scission du
pays en deux (Islamo-conservateurs
contre réformistes) était palpable et
l’élection s'est résumée à un duel
politique entre un homme de l’époque
Moubarak et le candidat des frères
musulmans, le scientifique Mohamed Morsi,
qui a notamment étudié aux Etats-Unis.
Celui-ci remportera l’élection avec
51,73 % des voix (la participation
s’élevant à seulement 45%) et sera
investi en juin 2012.
Un an plus tard, il sera donc déposé
par l’armée après de nouvelles et
immenses manifestations (plusieurs
millions de personnes) place Tahrir et
ailleurs en Egypte. Les opposants lui
reprochent principalement sa piteuse
gestion de la situation économique du
pays. Ce Week-end, plusieurs centaines
de milliers de partisans du président
déchu sont eux aussi descendus dans la
rue, invoquant eux à juste titre le
respect des urnes et la démocratie. Les
manifestations ont tourné à
l’affrontement entre partisans de
Mohamed Morsi et l’armée et en ce 10
juillet 2013 on parle déjà de dizaines
de morts et de centaines de blessés.
Il y a là des dilemmes visiblement
insolubles pour l’Egypte, pour les pays
du printemps arabe et pour la communauté
internationale.
La démocratie du printemps arabe a vu
l’émergence et la prise de pouvoir de
mouvements islamo-conservateurs
(principalement les frères musulmans)
qui étaient soit interdits, soit tenus à
l'écart de la vie politique par les
anciens pouvoirs laïcisants issus de la
guerre froide. Ce retour au pouvoir des
clergés et d’un Islam politique a
accentué les batailles d’influences
trans-territoriales entre confréries,
menant à la situation que l’on connaît
par exemple en Syrie. Ce pays fait en
effet face à une
guerre au niveau régional et
confessionnel, ou le courant sunnite
régional le plus radical tente de mettre
à mal le croissant chiite en s’attaquant
à sa composante la plus hérétique selon
lui mais aussi la plus laïque selon les
critères occidentaux. La Syrie est ainsi
devenue le
champ de bataille par ricochet d’une
coalition Russo-chiite qui est en
conflit ouvert avec un axe Occidentalo-sunnite.
Le mythe d’un Islam compatible avec
la démocratie semble remis en cause.
Les victoires électorales des Frères
musulmans en Egypte, en Tunisie ou en
Libye, qui auraient pu amener à des
cohabitations entre charia et
démocratie, ne semblent plus viables. Il
y a une crise culturelle profonde qui
traverse les sociétés arabo-musulmanes.
Les nouveaux régimes issus des élections
semblent avoir du mal à bien intégrer la
pluralité, qu’elle soit
ethnico-culturelle, religieuse ou
comportementale. Hormis en Tunisie ou
les islamistes composent, la situation
économique de tous les pays concernés
par ces nouveaux régimes est d’ailleurs
plus que catastrophique et qui semble
inévitablement génératrice de
protestations dans un avenir proche,
comme c’est le cas en Egypte
aujourd’hui.
Les coups d'état militaires et les
juntes au pouvoir ont toujours été
fermement condamnés par les pays
occidentaux, que ce soit en Birmanie, en
Grèce ou en Argentine. La mollesse des
réactions occidentales face au coup
d'état militaire en Egypte démontre bien
le dilemme, entre armée et islamisation.
Le chef de la diplomatie turque Ahmet
Davutoglu a lui tenté d’empêcher une
intervention de l’armée contre le
président égyptien, en avertissant les
capitales européennes hébétées mais cela
a échoué.
L’armée apparaît pourtant de plus en
plus comme un nouveau pouvoir (ou contre
pouvoir) seul à même de maintenir une
forme d’équilibre national et de
protéger l’équilibre communautaire (et
les minorités) face à une islamisation à
outrance des pays concernés. Cette
tendance n’est pas nouvelle. En Algérie,
la victoire des islamistes fut annulée
en 1991, plongeant le pays dans une
guerre civile de 10 ans durant laquelle
l’Armée affronta, jusqu'à sa victoire en
2002, divers groupes islamistes. En
Turquie, Recep Erdogan, depuis son
élection en 2003, a lui mené
d’intensives campagnes pour désactiver
l’armée et faire mettre en prison les
officier qui auraient pu s’opposer à
l’islamisation lente que le pays
connaît, entrainant l’inquiétude des
minorités et des laïcs qui ont manifesté
récemment. En Syrie, l'armée parait être
aujourd’hui le seul garant du
rétablissement de l’ordre
constitutionnel mis à mal.
Parmi les nombreux manifestants
Egyptiens place Tahrir, certains
brandissaient aussi des drapeaux syriens
et des portraits de Bashar-El-Assad,
traduisant ainsi leur bonne
compréhension des événements
géopolitiques régionaux mais aussi peut
être leur profonde intuition que Syrie
et Egypte doivent être unis et non en
guerre. Il faut se souvenir
qu’historiquement, Egypte et Syrie ont
déjà été un seul et même état, pour
faire face a la menace communiste d’un
coté (qui n’existe plus aujourd’hui) et
américaine de l’autre. Est-ce la raison
pour laquelle de nombreux manifestants
place Tahrir brandissaient également des
pancartes dénonçant le soutien américain
au candidat Morsi?
Il est certain que des groupes
radicaux ne vont pas tarder à menacer
l’armée Egyptienne d’un conflit pour le
rétablissement du pouvoir islamique
arrivé au pouvoir par les urnes. On peut
se poser la question de savoir si
l’Egypte va désormais connaître une
guerre civile larvée sur le modèle de
l’Algérie quand les élections de 1991
ont été annulées par l'armée.
Alors que le monde arabo-musulman
risque de traverser au cours de ce
siècle sa grande guerre interne,
politique, confessionnelle et
générationnelle. Pour les américains, il
semble que l’agenda de remodelage du
grand moyen orient soit remis aux
calendes grecques. Il faut maintenant
essayer d’imaginer quelles seront les
conséquences directes des ces
bouleversements pour les états de la
région, et les conséquences possibles et
imaginables pour la France, l’Europe et
la Russie.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
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