Tribune
Depardieu est
devenu russe:
pas si fous ces Gaulois !
Alexandre
Latsa
©
Alexandre Latsa - RIA Novosti
Mercredi 9 janvier
2013
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Source:
RIA Novosti
Le 3 janvier 2013 est apparu
un texte assez surprenant sur le
site du Kremlin, annonçant que le
président Poutine attribuait la
nationalité russe à l’acteur français
Gérard Depardieu.
Ce décret présidentiel vient après
une polémique entre l’acteur et les
autorités françaises suite à l’adoption
d’un projet de loi pour taxer à hauteur
de 75% les très hauts revenus dans
l’Hexagone.
L’acteur avait alors fermement
critiqué ce projet de loi, avant de
choisir d’émigrer en Belgique, puis de
rendre son passeport pour avoir vu son
acte qualifié de "minable" par le
premier ministre français Jean marc
Ayrault. L’affaire a rebondi lorsque les
autorités russes ont invité l’acteur à
s’installer dans le pays, en lui
promettant que le régime d’imposition de
13% ne serait pas modifié. Dernier
rebondissement de cette affaire donc :
l’attribution souveraine par le
président de la nationalité russe à
l’acteur. Celui-ci a ensuite écrit une
incroyable
lettre d’amour au peuple russe et à
son président, affirmant également:
"qu’en Russie il faisait bon vivre".
Le 5 janvier au soir, l’acteur russe à
donc
reçu son nouveau passeport à Sochi
des mains mêmes du président et dès le
lendemain il s’est vu proposer un poste
de ministre de la culture d’une région
du centre de la Russie Européenne, qu’il
a humblement refusé.
Le mainstream médiatique français
s’est évidement déchainé de façon
compulsive dans les jours qui ont suivi
cette déclaration positive sur le
président russe. Pour Rue89 Obélix
serait désormais
l’ami des Tyrans, pendant que chez
Médiapart on se
félicite du départ d’Obélix et
"qu’un citoyen français qui affirmait
que la Russie était une grande
démocratie n’allait pas nous manquer".
Pour le
Nouvel Obs, être naturalisé par le
peu recommandable maitre du Kremlin
prouverait que le premier ministre
français a raison et que "Depardieu
serait donc bien un minable" (sic)
ou encore que la véritable patrie
d’Obélix "serait surtout son compte en
banque" et enfin que cette faveur d’un
quasi-dictateur (SIC) "rendait
l’acteur indéfendable". Certains
donneurs de leçon et autres moralistes
autoproclamés ont même estimé nécessaire
de
rappeler à l’acteur que non la
Russie n’était pas une démocratie, on
aimerait cependant les entendre avec
autant de ferveur sur la situation en
Arabie Saoudite, en Corée du nord ou au
Zimbabwe… Enfin pour
le Figaro l’acteur aurait de
"sulfureuses relations" en Eurasie,
puisqu’il a fait l’éloge du président de
la république de Tchétchénie Ramzan
Kadyrov et est aussi proche de la
famille présidentielle ouzbèke. Le
Figaro rappelle cependant que l'acteur
fait aussi de la "publicité pour des
banques d'oligarques kazakhs ou encore
la compagnie aérienne arménienne Armavia,
et promeut également la cuisine
azerbaïdjanaise".
On aurait souhaité que le Mainstream
médiatique français rappelle qu’Obélix
n’est cependant pas encore grand prince
d’Eurasie mais plutôt que ses liens avec
l’ex-espace soviétiques sont anciens et
réels. Celui-ci a par exemple
acheté l’année dernière des
vignobles en Crimée, fait des
dons à des hôpitaux de
Saint-Pétersbourg en 2011, a tourné dans
la série Raspoutine et est surtout très
populaire en Russie, notamment par sa
présence régulière lors de galas et
évènements mondains en Russie. Il a même
été membre du jury du festival du film
de Moscou.
On s’étonne du reste de l’émoi que
suscite chez certains journalistes le
départ de Gérard Depardieu de France,
lui qui ne fait que suivre la route de
la très grande majorité des fortunes et
célébrités françaises: Yannick Noah,
Johnny Halliday, Florent Pagny, Alain
Delon, Paul Loup Sulitzer, Marion
Bartoli, Richard Gasquet, Gilles Simon,
Jo-Wilfried Tsonga, Sébastien Loeb,
Amélie Mauresmo ou encore les familles
Meunier (Carrefour), Castel (Nicolas,
Vichy Célestins), Weirtheimer (Chanel),
Mulliez (Auchan et Décathlon), Bernard
Arnault ou encore de Christian Clavier
exilé à Londres. La liste n’est pas
exhaustive.
En outre, beaucoup de français ne
savent pas que nombre de stars
françaises séjournent régulièrement en
Russie, que ce soit
Alain Delon, Patricia Kaas, Pierre
Richard, Mireille Matthieu ou
Lara Fabian, preuve s’il en est que
le pays leur sied un minimum et que la
culture française à un public fidèle en
Russie. Quand aux proches de Masha Méril,
ils ont eux tout simplement
accepté les passeports russes
offerts par les autorités russes. Mais
on pourrait aussi se demander pourquoi
aucun journaliste n’a jugé utile de
répondre aux propos de David Cameron qui
il y a 6 mois incitait
ouvertement et publiquement les
français et les entreprises françaises à
venir s’exiler fiscalement en Angleterre
en affirmant simplement que: "nous
déroulerons le tapis rouge pour
souhaiter la bienvenue aux entreprises
françaises qui paieront maintenant des
taxes en Grande-Bretagne et financeront
nos services publics et nos écoles".
Mais évidemment, la Belgique et
l’Angleterre ne sont pas la Russie et
dire du bien de Poutine et de la Russie
est un sacrilège moral qui déclenche
systématiquement la fureur des médias,
ce sans aucune logique ni aucun
discernement.
En Russie, quelques rares voix
dissidentes se sont aussi élevées contre
cette décision du Tsar Poutine, preuve
s’il en est que chacun peut s’y
exprimer. C’est le cas par exemple du
très rebelle Edouard Limonov qui s’est
félicité de cette naturalisation par
son pire ennemi en espérant qu’Obélix
l’accompagne tous les 31 du mois aux
manifestations contre le Kremlin, un vœu
dont on peut imaginer qu’il restera
pieux. Mais Edouard Limonov, qui a été
naturalisé français lors de la
cohabitation de 1987, sait sans doute
mieux que quiconque de quoi il parle,
lui qui vient également justement de
rendre son passeport français pour
pouvoir se présenter aux dernières
élections en Russie. Quand au
journaliste
Matvei Ganapolski sur la radio
d'opposition Echo Moskvy il affirme
"qu’on n'oubliera et on ne lui
pardonnera jamais cette phrase: c'est
une grande démocratie".
Pour d’ailleurs bien se rendre compte
du ridicule des attaques contre Obélix,
il est maintenant reproché à l’acteur de
vouloir acheter une maison dans le sud
de Moscou sous prétexte que le district
hébergerait un
hôpital psychiatrique, ou encore
d’avoir accepté une maison en Mordovie
sous prétexte que le territoire
hébergerait une colonie pénitentiaire.
La région russe est même qualifiée de
"Pétaouchnok" russe, l’auteur de
cette brillante analyse ayant
visiblement oublié de mentionner que
cette simple région est à elle seule
presque de la taille de la Belgique.
Gérard Depardieu est même désormais
accusé d’être un
agent du KGB, on se demande ou cela
va encore pouvoir aller. Mais pour
certains
analystes, c’est aussi son rejet de
la ville et son attrait pour la Russie
profonde (la Mordovie et les bouleaux)
qui lui vaut la haine de beaucoup de
commentateurs qui s’intéressent
d’habitude plus à la Russie
manifestante, urbaine et occidentalisée,
qu’à la Russie des campagnes et des
traditions.
Cette affaire donne cependant à
réfléchir et pas seulement sur
l’agression médiatique médiocre qui vise
le plus célèbre Gaulois tout autant
qu’une décision souveraine et légale du
président démocratiquement élu du plus
grand pays du monde. Les questions à se
poser concernent à mon avis plutôt le
village gaulois duquel Obélix lui-même a
fini par partir. La triste vérité est
que la France est devenue un pays
fiscalement étouffant, et aussi un pays
à l’économie ralentie avec plus de
9 millions de personnes ne
travaillant pas à temps plein, soit 30%
de la population active, et que
Depardieu ne fait que rejoindre les
quelques millions de français déjà
présents à l’étranger. Celui-ci n’est
sans doute pas du reste parti pour des
raisons uniquement fiscales, mais
aussi pour fuir un climat politique
et moral simplement
détestable, et ne parlons pas du
climat médiatique.
Mais quoi d’étonnant finalement à
cela puisque nos élites poussent depuis
des décennies à la création d’une Europe
sans frontières, dans laquelle chacun
est libre de s’installer et vivre ou il
veut? On ne peut du reste que s’étonner
des discours à consonances patriotiques
accompagnant les critiques du départ de
Depardieu, alors même que la notion de
patrie est vilipendée en France au moins
autant que celle de frontière. Certains
hommes politiques français ont du reste
dans cette affaire pu montrer leur vrai
visage. Daniel Cohn-Bendit a carrément
traité notre Obélix national de
"crétin fini" pendant que Jean
Christophe Cambadélis lui
rappelait avec humour (?) que
"Depardieu voulait déjà devenir belge.
Donc je me suis dit que Poutine n'était
pas la Grande Catherine et que Depardieu
n'était pas Diderot ou Voltaire".
Plus récemment d’ailleurs c’est
Brigitte Bardot qui pour d’autres
raisons vient de menacer de demander
elle aussi la nationalité russe et de
quitter la France à jamais. Le ministre
de l’économie Benoît Hamon a déclaré en
plaisantant qu’elle "pourra
demander Gérard Depardieu en mariage, ce
sera formidable! " ce qui lui a
valu en retour d’être traité "d’imbécile
écolo" par la célèbre actrice. De
nombreux autres élus se sont eux
lâchés sur Twitter comme on dit, je
laisse les lecteurs seuls juges.
On se demande ce que la planète doit
penser d’un tel niveau d’échanges entre
les politiques et les artistes français.
Une chose est certaine: les français
n’aiment pas qu’on insulte leurs
artistes et le gouvernement français va
sans doute payer très cher cette
affaire. Notre gouvernement aurait du
reste sans doute préféré que ce projet
de loi sur la fiscalité ne devienne pas
un sujet de conversation planétaire,
faisant par ricochet de la France le
pays le plus impopulaire chez les riches
de ce monde. La question que tout le
monde se pose est désormais de savoir si
l’on va assister à un exil de riches (et
de moins riches) Gaulois vers la Russie
de Poutine. Beaucoup de Français
l’ignorent, car leurs journalistes n’en
parlent pas, mais rien qu’en 2010, ce
sont plus de
4.500 Français qui ont pris la
nationalité russe selon le journaliste
Youri Kovalenko qui a pris ce chiffre
dans l’institut Eurostat. Certes on peut
imaginer qu’un bon nombre d’entre eux
ont sont d’origine russe, mais
certainement pas tous. Obélix est
seulement celui qui a bénéficié de la
plus grande médiatisation.
L’hexagone n’a du reste pas vraiment
de quoi se réjouir, ayant perdu
Depardieu et risquant de perdre Brigitte
Bardot, la patrie de Voltaire n’a en
retour l’année dernière hérité que des
FEMEN, pendant que certains leaders
écologistes français
souhaitent tout simplement que les
Pussy Riot soient naturalisées
françaises et même élevées au rang de
citoyennes d’honneur de la ville de
Paris. Pour les lecteurs qui ne savent
pas de qui on parle, je leur conseille
de lire
ceci. Un son de cloche par ailleurs
absolument identique à celui de nos
syndicalistes nationaux, notamment
le leader de FO Jean Claude Maillard qui
a déclaré "Je trouve cela triste de
dire, comme il l'a dit, que la Russie
est une grande démocratie. Je préfère
Pussy Riot à Gérard Depardieu dans le
cas présent". Préférer les Pussy
Riot à l’un des plus grands acteurs
français est une pirouette mentale dont
de toute évidence seuls
certains membres de la gauche
plurielle française ont le secret, sans
doute tout comme Panoramix seul a la
formule de la potion magique.
Depardieu et Bardot contre les Femen
et Pussy Riot? On peut se demander si la
république y gagne au change ou si, par
Toutatis, le ciel n’est pas simplement
tombé sur la tête de certains
journalistes, politiques et
syndicalistes. Comme le relève très bien
Jacques Sapir (ici
et
la): "la réalité russe s’avère,
une fois de plus, bien différente des
apparences. L’affaire Depardieu, en
réactivant les fantasmes de toute nature
ainsi que le fond antirusse d’une partie
de la presse française, ne contribue pas
à un examen objectif de cette réalité".
Alexandre Latsa
est
un journaliste français qui vit en
Russie et anime le site DISSONANCE,
destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
© 2013
RIA Novosti
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