Tribune
Pussy Riot :
pourquoi une telle médiatisation ?
Alexandre Latsa
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Alexandre Latsa
Mercredi 8 août
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
La presse étrangère s’est passionnée
pour un fait divers pourtant
relativement sans importance : le dit
procès des
Pussy Riot. Reprenons les faits. Le
21 février 2012, 3 jeunes femmes
encagoulées et déguisées envahissent la
cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou
avec guitares et matériel sonores, et y
entament une sorte de prière sous forme
de chanson, blasphématoire et grossière
(Avec des paroles telles que "Sainte
Marie mère de Dieu, deviens féministe"
ou encore "merde, merde, merde du
Seigneur"), politiquement dirigée contre
le candidat a l’élection présidentielle
Vladimir Poutine, mais également contre
le patriarche orthodoxe accusé de
"croire en Poutine plus qu’en dieu". Les
jeunes femmes sont rapidement
interpellées, arrêtées et déférées
devant un tribunal qui ordonne leur mise
en détention préventive en attendant
leur procès, qui a lieu actuellement.
L’église orthodoxe a de son côté réagi
en organisant une grande manifestation
autour de cette même cathédrale en avril
dernier, manifestation dédiée à "a
correction de ceux qui souillent les
lieux sacrés et la réputation de
l’Eglise" et a laquelle ont pris part
des dizaines de milliers de fideles pour
afficher
leur soutien à l’église et au
patriarche.
Le main Stream médiatique a largement
surmédiatisé cette affaire. Pour
certains la Russie "retournerait
au moyen âge", quand d’autres
estiment que le pouvoir "durcit
sa répression" qui serait dirigée
contre la « société civile qui se
mobilise». Enfin la majorité des
commentateurs ont estimé que les 3
jeunes femmes seraient en prison à cause
de leur "prière
anti-Poutine". Le groupe Pussy Riot
s’est créé en 2011 quand il a semblé
clair à ces jeunes femmes que la Russie
manquait cruellement d’émancipation
politique et sexuelle. L’une des trois
jeunes femmes arrêtée, Nadezhda
Tolokonnikova, est par ailleurs une
militante active LGBT (Lesbiennes, gays,
bisexuels et transgenres). Les chansons
du groupe traitent principalement des
ravages de la routine dans la vie
quotidienne, des conditions de travail
difficiles pour les femmes et de la
bonne façon de réprimer les hommes.
Si beaucoup de journalistes français
présentent les jeunes filles comme les
victimes d’une Russie quasi-totalitaire,
il faut néanmoins rappeler que les Pussy
Riot ont plusieurs fois durant les
derniers mois organisé des actions "coup
de poing" portant atteinte à l’ordre
public (voir par exemple
ici ou
la). Pussy Riot n’est en outre pas
seulement un groupe de rock, mais le
volet musical d’un groupe anarchiste du
nom de
Voina (la guerre) et qui ces
derniers mois a revendiqué de nombreuses
actions que l’on peut ne pas trouver ni
"drôles" ni "subversives". Parmi elles
l’organisation d’une
orgie sexuelle avec des femmes
enceintes dans un musée (le nom de
l’action étant
une insulte violente adressée au
président Medvedev), se montrer en
public nul
et couvert de cafards, se
masturber avec une carcasse de
poulet dans une épicerie et en sortir en
marchant avec la carcasse enfoncée dans
les parties génitales, l’attaque à
l’urine sur des policiers ou encore de
tenter d’embrasser sur la bouche des
représentants de l’or
dre du même sexe. Ajoutez à cela de
dessiner à la peinture des
penis géants sur les routes ou
encore la
destruction de véhicules de police.
Bien sur donc, celles-ci ne sont pas en
détention provisoire et jugée pour des
délits d’opinion, contrairement a ce que
l’on peut être amené à croire en lisant
la presse internationale, mais parce
qu’elles font face à une accusation de
hooliganisme, punie de jusqu’à 7 ans de
prison en Russie. Les commentateurs
français qui lèvent les yeux au ciel
lorsqu’ils prononcent cette durée de
peine feraient bien de relire le code
pénal français, et surtout l’article
322-3-1 qui punit de sept ans de prison
et 100.000 € d’amende la dégradation
d’un bien culturel exposé dans un lieu
de culte. A ce jour, si aucune
dégradation n’a cependant été (à ce
qu’il semble) constatée lors de leur
intervention, il est plausible que les
Pussy Riot soient condamnées pour
dédommager "les profondes blessures
morales infligées à des chrétiens
orthodoxes" et ce malgré l’intervention
en leur faveur de Vladimir Poutine. Mais
surtout et probablement à titre
d’exemple pour créer un précédent
destine à ne pas déstabiliser la société
russe. La Russie est un pays
multiconfessionnel, pluriculturel, et
qui sort de relatives tensions
interreligieuses et intercommunautaires
à la dislocation de l’Union-Soviétique.
C’est un pays encore aujourd’hui victime
du terrorisme fondamentaliste et qui
maintient assez habilement et une
cohabitation entre des groupes religieux
et ethniques très variés, sur un
territoire gigantesque. Plus que cela,
au sortir de presqu’un siècle de
dictature athéiste, le renouveau de la
foi est quelque chose de
particulièrement sensible.
Leur procès qui a débuté le 30 juillet
2012, passionne sans doute plus les
commentateurs étrangers que russes. De
nombreuses figures de la société civile
et de l’intelligentsia libérale russe
ont manifesté leur soutien aux Pussy
Riot, tout comme l’internationale du
Show-bizness, allant des stars de
musique internationalement connues comme
Madonna, Sting, Patty Smith ou encore
des acteurs américains comme Danny de
Vito. En face, l’église orthodoxe fait
relativement front unique, le
porte-parole du patriarcat (le très
conservateur Vsevolod Tchapline)
affirmant même que les jeunes femmes
avaient commis un "crime pire qu’un
meurtre" et devaient être "punies". Le
département d’état américain, via le
porte-parole de la diplomatie américaine
Patrick Ventrell, a enfin lui déclaré
que du point de vue des États-Unis,
l'affaire Pussy Riot était politiquement
motivée et que Washington la considérait
comme un harcèlement de l'opposition.
Récemment c’est donc le président russe
Vladimir Poutine lui-même est lui-même
interv
enu, appelant à la clémence et jugeant
que les Pussy Riot avaient obtenu ce
qu’elles souhaitaient, à savoir un
battage médiatique fort. Ce faisant, il
coupe l’herbe sous le pied à ceux qui
ont affirmé que les Pussy Riot étaient
enfermées pour des raisons politiques,
car elles s’en seraient prises à lui via
les paroles de leurs chansons. Mais
malgré l’énorme battage médiatique qui
est consacré à ce procès, seuls
15% des Russes sondés à ce sujet
souhaitent que ces dernières soient
amnistiées.
Je reste donc perplexe face a cette
affaire et doute par ailleurs très
sincèrement que nombre de commentateurs
puissent trouver "drôle
et subversive" une action similaire
dans une mosquée, une synagogue ou un
temple bouddhiste, notamment en France.
On peut du reste se demander ce qui
pousse des gens quels qu’ils soient à
aller importuner des croyants quels
qu’ils soient et porter atteinte à
l’intégrité de lieux de cultes quels
qu’ils soient.
Preuve de l’utilité certainement unique
de leur action, un journaliste au pseudo
de Dick Riot accompagne désormais chaque
événement politique de l’opposition en
tentant de discuter et de poser des
questions, le visage vêtu d’une cagoule
noire, tout comme les Pussy Riot.
Visiblement, les leaders de l’opposition
interrogés, qui soutiennent pourtant
tous très activement les Pussy Riot,
n’apprécient guère la plaisanterie (voir
ici).
Deux poids deux mesures ?
Article publié sur
RIA Novosti
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