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Opinion
Kazan l'orientale
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 8 juin 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Parmi les villes atypiques en Russie qu’il faut absolument
visiter, je pense que Kazan est définitivement en tête de liste.
Kazan, il faut bien le reconnaître, n'est pas une ville comme
les autres. Elle n’est pas seulement la capitale du Tatarstan,
cette incroyable province d'Eurasie qui a une histoire riche et
ancienne.
Kazan est plus que cela, elle est au 21ème siècle un miracle
d'harmonie, de fusion et de paix, a l’heure ou les tensions
inter-communautaires et interreligieuses empoisonnent la vie
dans bon nombre de pays, en Europe et ailleurs. Le Tatarstan se
situe à l’est de Moscou, sur les rives de la Volga, juste avant
l’Oural, c'est-à-dire près de cette frontière que certains
attribuent
à tort à l’Europe. L’histoire de la région est complexe,
elle est bien à l’image assez incroyable de ce qu’est le
Tatarstan d’aujourd’hui. La province est ancienne,
vraisemblablement créée par les Bulgares de la Volga, ce peuple
qui migra des rives de la mer noire pour constituer un état
organisé dès le 8ème siècle sur le territoire de l’actuel
Tatarstan.
L’islam s’y implante au 10ème siècle, introduit par des
missionnaires du proche orient, mais les autres religions
continueront d’y être pratiquées. En 1238 l’invasion des mongols
de la horde d’or détruit définitivement la Bulgarie de la Volga.
Le Khanat de Kazan est créé en 1438, il perdure un peu plus d’un
siècle, jusqu'en 1552, date à laquelle le tsar russe
Ivan le Terrible annexe la région et fait du Tatarstan une
province russe. Symbole de cette conquête militaire, la fameuse
église Sainte Basile, construite devant le Kremlin de Moscou
et qui est encore considérée aujourd’hui comme un des symboles
de l’architecture russe.
Ainsi, depuis 1552, les histoires du Tatarstan et de la
Russie ne font plus qu’une. Depuis prés de 5 siècles le
Tatarstan est donc une province russe. Comme la Carélie, dont
elle est une sorte de miroir inverse, le Tatarstan a le statut
de république. Comme sa cousine du nord, elle représente
l’exemple de l’unité administrative la plus décentralisée
possible au sein de la fédération de Russie.
Les républiques russes sont en effet des entités très
autonomes, ayant leurs constitutions, leurs présidents et même
leurs langues officielles. A ce titre au Tatarstan tout est
écrit en tatar et en russe.
Parmi toutes les républiques de la Fédération de Russie, le
Tatarstan est sans doute celle qui représente et symbolise le
mieux l’aspect pan-eurasiatique et
multiculturel de la Russie d’aujourd’hui. Le Tatarstan est
une république mosaïque dans laquelle cohabitent nombre de
peuples et de religions. Les Tatars ethniques sont 50% de la
population, les russes 40%, mais de nombreuses autres minorités
y résident:Tchouvaches, Oudmourtes, Ukrainiens, Maris,
Bachkires, Azéris, Biélorusses, Arméniens ou encore des
minorités juives. Cette diversité ethnoculturelle traduit toute
la réalité et la variété de la steppe.
La visite de Kazan, capitale du Tatarstan, déclenche en
général une avalanche d’étonnements, de sentiments et de
sensations aussi contradictoires qu’inattendus. La ville a bien
sur sans doute beaucoup changé depuis que ses premiers colons
sont venus s’y installer il y a plus de 13 siècles. Kazan est
une ville en travaux, comme toutes les villes de la Russie
d’aujourd’hui. Les immeubles neufs côtoient les vieilles maisons
en bois, symbole de la cohabitation entre l’ancien et le nouveau
monde. La modernité s’installe, les infrastructures se
développent, notamment le magnifique
métro, inauguré en 2005 pour les 1.000 ans de la ville. Le
centre ville de Kazan est traversé par une artère piétonne, qui
mène au Kremlin. C’est un ensemble architectural unique en
Russie, mais aussi unique au monde. La mosquée Qolcharify, plus
grande mosquée d’Europe, y
trône à côté de la cathédrale de l’Annonciation. Ce Kremlin
exceptionnel est d’ailleurs au patrimoine mondial de l’Unesco.
Il est le cœur d’une ville qui est totalement multiculturelle et
multiethnique, dans laquelle on peut voir un centre islamique,
41 mosquées, 26 églises orthodoxes, mais également des églises
catholiques, protestantes, une synagogue, un centre pour la
consécration de Krishna et même un centre de prière du Bahaïsme!
Assis en terrasse dans le centre ville, le visiteur a du mal
à distinguer les différentes influences, asiatiques, orientales
et Slavo-chrétiennes, mais également postsoviétiques, tant elles
semblent imbriquées et fusionnées. Observer la foule qui passe
dans la rue permet de faire des observations étonnantes. L’été à
Kazan apporte quelque chose de nonchalant, on s’y
sent à mi chemin entre l’Asie et l’Europe, ou plutôt entre
l’Europe et l’orient. Kazan pourrait faire penser à Sarajevo,
mais sa variante eurasiatique est bien particulière. La fusion
des identités ethno-religieuses ne semble aucunement porter
atteinte aux traditions russes, par exemple sur le plan
vestimentaire. Il n’est pas rare de croiser, par exemple, deux
jeunes femmes musulmanes marchant ensemble, l’une en foulard et
l’autre en minishort.
Kazan est l’avant-poste des
polémiques vestimentaires, mais visiblement, sans que cela
ne crée aucune tension visible. Les deux communautés principales
de Kazan, Tatars et Russes, semblent vivre paisiblement leurs
différences et leurs identités culturelles et religieuses, sans
se les opposer, ni les imposer à leurs voisins. Depuis 500
ans bien sur, on imagine que toutes les communautés ont appris à
vivre ensemble. Cette harmonie est du reste assez visible via le
grand nombre de familles mixtes, qui vont au contraire de la
communautarisation des peuples, du Tatarstan. En
2009, Hillary Clinton a d’ailleurs visité le Tatarstan pour
s’inspirer des méthodes de cohabitation harmonieuse entre
communautés. Elle a qualifié cette république russe de "modèle
de cohabitation entre ethnies et religions différentes",
déclarant même son intention de consulter le président de
l’époque Mintimir Chaïmiev sur les méthodes employées au
Tatarstan pour régler d’éventuels conflits
intercommunautaires.
La ville n’est pas seulement une vitrine de paix et
d’harmonie humaine. Un récent rapport économique d’Ernst et
Young affirmait que Kazan était l’une des villes
les plus propices au business en Russie. Symbole de cette
réussite, la Fédération internationale du sport universitaire
(FISU) a retenu, Kazan, pour l'organisation de
l'Universiade
d'été de 2013, une compétition internationale universitaire
multisports organisée par la Fédération internationale du sport
universitaire.
Clin d’œil d’actualité et à l’image de la réussite du
Tatarstan, la devise de la République est: "Bez Buldırabız! (We
can!)".
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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