Tribune
La Russie
d'aujourd'hui: nationalisme VS
patriotisme ?
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 7 novembre
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Source:
RIA Novosti La Russie a célébré
dimanche 4 novembre la fête de l’unité.
Il y a 400 ans, le prince Pojarski et le
citoyen Minine levèrent une armée pour
chasser de Moscou les envahisseurs
polonais et lituaniens. Les deux héros
historiques ont
leur monument sur la Place Rouge, à
deux pas du Kremlin, sur lequel on peut
lire les mots suivants: "Au citoyen
Minine et au prince Pojarski la Russie
reconnaissante ".
A l'origine, ce monument était au
centre de la Place Rouge mais en 1936 il
fut déplacé devant la cathédrale pour
des raisons pratiques car jugé peu
compatible avec les défilés de l'armée
rouge. Il est aujourd’hui situé devant
la cathédrale Basile-le-Bienheureux.
L’action de Pojarski et Minine a mis fin
à la période de troubles du début du
17ème siècle, période pendant laquelle
la Russie a connu une grande
instabilité, minée par l’effondrement du
pouvoir des tsars, le démembrement du
pays, un embryon de guerre civile et une
invasion étrangère. Durant les quinze
années de la période des troubles, la
Russie aurait perdu un tiers de sa
population, preuve s’il en est que le
sujet de
la démographie russe a toujours été
un problème d’actualité brulant pour la
Russie et fondamentalement dépendant du
contexte politico-économique du pays.
En 2005, c’est le président Vladimir
Poutine qui a
réinstauré un certain nombre de
fêtes nationales russes, y compris celle
du 4 novembre. Le but de cette journée
est officiellement d’unir tous les
Russes et de sauvegarder les valeurs
ethniques, historiques et culturelles du
pays. Célébrant le bicentenaire de 1812
le président Vladimir Poutine
appelait récemment le pays à
l’unité, affirmant que c’est seulement
lorsque les nations de Russie ont été
unies que le pays a pu prospérer en
paix". Plus tôt dans l’année, il avait
prôné le patriotisme comme "seul
ciment possible pour unir l’ensemble
multiethnique qu'est la Russie".
Pourtant, un sondage récemment publié
par le
centre Vtsiom montre que plus de 50%
des Russes sont sceptiques quant à
l'unité nationale de la Russie. Ce
sondage surprenant est à comparer avec
le
fort soutien populaire (60% des
sondés) qu’a le slogan "la Russie aux
Russes".
De façon très surprenante, le 4
novembre est la seule journée de l’année
où la rue appartient aux mouvances
ultranationalistes, puisque chaque 4
novembre des milliers de nationalistes
manifestent dans toute la Russie.
Dimanche dernier, ce sont près de
20.000 radicaux qui se sont
rassemblés à
Moscou et quelques milliers dans 40
autres villes du pays. Les défilés
ont été accompagnés de slogans
viscéralement anti-caucasiens,
anti-Poutine, pour la défense des Russes
ethniques et appelant à cesser de
nourrir le Caucase. En province, dans
certaines manifestations, on a appelé
par contre à
cesser de nourrir Moscou (!).
Rappelons que les leaders politiques des
mouvements ultranationalistes russes ont
soutenu depuis le début les mouvements
de contestation que la capitale a connus
depuis les élections législatives de
2011. Alexandre Belov a, par exemple,
accusé le président Poutine de génocide
contre son propre peuple, se basant sur
la baisse de population de la Russie ces
dernières années. Vladimir Tor, le
leader du mouvement
national-démocrate, a lui appelé à
cesser de nourrir le Caucase et à
arrêter l’immigration vers Moscou.
Chaque année cette journée semble
donc mettre en opposition deux
conceptions de la Russie, une conception
nationaliste et identitaire qui tend à
penser et imaginer la Russie comme une
nation-Etat, et une conception
patriotique et pluriethnique, tendant à
penser la Russie comme un
Etat-nation/civilisation. La question de
l’identité russe, depuis la chute de
l’URSS et le redressement russe qui est
en cours depuis 2000, est toujours une
question sans réponse. Très étonnamment,
alors que les crispations identitaires
ne semblent jamais avoir été aussi
fortes, les "Russes ethniques" n’ont
pourtant jamais été aussi majoritaires
dans leur propre pays. Que l’on en juge:
en 1901, ils ne représentaient que 46%
de la population de l’Empire russe, en
1990, officiellement 51 % de la
population de l’URSS, alors
qu’aujourd’hui ils sont 71% de la
population de la Fédération de Russie.
Cette question identitaire est sans
doute directement liée à la définition
du territoire et des peuples concernés.
En Amérique, on dit que c’est le "rêve
américain" qui sert de ciment à ce pays
multiethnique, quand au "rêve russe", il
est sans doute totalement à définir. En
Europe de l’ouest, le "rêve européen" et
le "patriotisme européen" ont du mal à
émerger. Les questions identitaires sont
elles plus que jamais réapparues sur le
devant de la scène, via
l’affaiblissement des Etats nations,
l’émergence des identités régionales,
l’intégration dans l’Union Européenne
mais aussi les nouvelles vagues
d’immigrations extra-européennes. Un peu
comme en Russie finalement, après la
réorganisation postsoviétique et les
nécessaires aménagements et redécoupages
ethno-territoriaux qui ont eu lieu.
Mais si en Europe, la volonté
politique de contenir la forte poussée
des courants nationalistes / populistes/
séparatistes est destinée, nous dit-on,
à tenter de préserver une paix sociale
et une cohabitation pacifique entre des
populations autochtones et des
populations allogènes, ce n’est pas le
cas en Russie. En Russie, le patriotisme
est destiné à cimenter les peuples
autour de l’Etat. Et si le patriotisme
semble bien être la solution en Russie,
celui-ci est toujours diabolisé au cœur
d’une Union Européenne qui ne propose
pourtant aucune alternative à ce jour,
ni à l’échelle nationale, ni à l’échelle
communautaire. En y regardant de plus
près ce patriotisme supranational russe
pourrait être une source d’inspiration
pour une Europe qui semble incertaine
face à la profonde mutation qu’elle
connaît depuis quelques décennies.
Qu’en est-il de la spécificité russe?
Une bonne définition, me semble t-il, a
été donnée ici: "L’Etat russe considère
le Russe ethnique comme étant à
l’origine de l’Etat historique et comme
le peuple qui transcende les
régionalismes en une culture unique et
des valeurs communes propres à la
civilisation russe (…) À l’image de la
Chine ou de l’Inde, la Russie future
serait donc une civilisation
supranationale à l’intérieur d’un
Etat-civilisation".
Ne serait-ce pas finalement et peut
être tout simplement un projet identique
que l’Union Européenne devrait viser,
afin d’harmoniser les divers niveaux
d’identité (régionaux, nationaux,
communautaires) mais aussi et surtout
afin de pouvoir se donner les moyens de
devenir un pôle de puissance dans ce
siècle ?
© 2012
RIA Novosti
Le sommaire d'Alexandre Latsa
Les dernières mises à jour
|